De la guerre, non pour reprendre le titre du fameux ouvrage de Von Clausewitz qu’il faut encore lire malgré les affirmations de quelques stratèges en chambre, mais simplement pour rappeler à nos concitoyens et à nos politiques qu’elle est bien là et pour longtemps.
Un ennemi nous impose la guerre, un ennemi extérieur au Moyen-Orient, un ennemi intérieur qui s’efforce de s’installer par la subversion des uns, la bien-pensance de certains éduqués dans l’illusion de la paix perpétuelle, enfin la lâcheté, l’aveuglement utopiste ou l’ignorance des autres.
De la guerre extérieure ou la remise en cause de l’ordre international
La guerre extérieure aujourd’hui est représentée par un engagement massif, déterminé et sans état d’âme de la Russie de Poutine contre les ennemis de Bachar Al Assad. La marine russe renaît et frappe les opposants notamment djihadistes en Syrie à partir de la mer Caspienne et non de la Méditerranée. Elle engage son aviation sans état d’âme sur des cibles syriennes.
En Afghanistan, les Etats-Unis sont soumis au dilemme de soutenir le gouvernement en place ou d’accepter l’échec de leur engagement militaire cette fois attribuable à Obama. La perte de Kunduz, même si elle a été reprise, est grave et symbolique. L’affaiblissement américain conduit au renforcement de la Russie. Devant la menace talibane sinon islamiste, la Russie renforce ses forces armées au Tadjikistan en hélicoptères de combat face à la dégradation de la situation en Afghanistan.
Tout en notant qu’elle est aussi engagée sur un troisième front face à l’Ukraine, l’armée russe s’engage avec détermination, s’entraîne en condition réelle, affirme une puissance retrouvée et surtout montre qu’elle est un instrument indispensable à la force d’un Etat au XXIe siècle.
Je constate par ailleurs qu’à nouveau deux armées formées par l’Occident et les Américains en particulier ont échoué : Afghanistan, Irak, Syrie. Cependant, je me souviens de ces images en 2007 dans Envoyé spécial. Les soldats afghans encadrés par des conseillers militaires français combattaient les Talibans mais c’étaient ces mêmes cadres français qui, par leur exemple, leur présence, leur combativité assuraient l’engagement réel des soldats afghans.
Si nous voulons gagner aujourd’hui contre daech, nous devrions encadrer directement ces forces au combat qui doutent de leur encadrement, bien souvent corrompu. Nous avons su encadrer des forces locales hier. Il est manifeste aujourd’hui que, dans leur grande majorité, malgré des qualités militaires de base, la faiblesse de ces forces est celle de l’encadrement qui devrait insuffler la motivation, former, entraîner et amener au combat. Dans ce contexte, nos intérêts sont communs. Prenons notre place dans cette complémentarité opérationnelle.
Quant à la guerre sous sa forme d’actions terroristes, une troisième intifada semble se réveiller en Palestine. Un attentat suicide est déjoué en Israël. Deux attentats suicides sanglants ont endeuillé la Turquie mais n’est-ce pas le résultat de la politique ambiguë et dictatoriale de son président, Erdogan, en Syrie et vis à vis des Kurdes ? Je m’étonne d’ailleurs qu’il ait pu organiser un meeting électoral ce 4 octobre à Strasbourg devant la communauté turque. Nos dirigeants le font-ils dans d’autres pays hors des enceintes diplomatiques, dans ce cas considérées « territoire national » ? Encore une entorse à notre souveraineté et une complaisance à un Etat bien peu démocratique.
Je conclurai sur ce défilé très médiatisé au pas de l’oie des forces armées de Corée du Nord, après celles de la Chine, de la Russie… Ces affirmations successives de la puissance militaire de ces Etats qui se succèdent depuis plusieurs mois ne peuvent-elles pas interpeller nos dirigeants, nos concitoyens sur les changements graves du monde d’aujourd’hui et à venir ?
D’une nécessaire évolution du droit international
Quant à la conduite des combats, une ONG comme MSF peut toujours dénoncer un crime de guerre dans la frappe aérienne qui a touché son hôpital. La notion de crime de guerre laisse supposer que la volonté de tuer des personnes innocentes était affirmée. Ce n’était pas le cas mais cela n’empêche pas de déplorer la perte de personnes innocentes.
Sa communication agressive et disproportionnée a bien pour objet d’instrumentaliser l’article 57 de la convention de Genève sur la proportionnalité des actions militaires. Cette instrumentalisation des mots comme la disproportion ou la proportionnalité vise à entraver l’action militaire et à donner le droit à des acteurs non compétents en temps de guerre à juger de la légalité ou de la légitimité d’une opération de guerre.
Je rappellerai donc cet article 57, du protocole 1 de 1977 des Conventions de Genève : « le principe de proportionnalité commande de s’abstenir de lancer une attaque dont on peut s’attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou une combinaison des pertes ou dommages qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ». La partie à prendre en compte est celle de « l’avantage militaire concret et direct attendu » qui justifie l’action.
Pour prendre l’exemple de l’hôpital de Kunduz, les forces militaires évitent toujours ces lieux pour combattre. Cela devrait être le cas pour les autres belligérants dont nous savons qu’ils utilisent hôpitaux, mosquées, sites historiques, zones civiles pour se protéger et mener des opérations militaires sans que cela ne suscite une quelconque indignation. En outre, la première responsabilité d’une ONG serait de s’assurer qu’aucun combattant n’utilise un lieu protégé.
Ensuite, rendre distinct ce lieu, pas uniquement par coordonnées GPS, aurait pu empêcher cette frappe. Dans le combat lui-même, un avion occidental ne frappe qu’à partir des éléments reçus du sol. Il a été conduit sur la cible. Hormis l’erreur toujours possible sur des coordonnées GPS, il a obéi aux ordres. Un signe distinctif visible du ciel aurait pu sans doute permettre au pilote de se faire confirmer l’objectif et donc de ne pas tirer.
Dans cette réflexion sur le droit de la guerre ou du droit humanitaire, la question des « ennemis » prisonniers peut aussi être évoquée. Guantanamo posait le même problème et a été férocement combattu. Que faire de ces gens qui nous combattent à mort et qui ne sont pas les soldats d’un Etat avec ce que cela implique dans l’application traditionnelle du droit de la guerre. Alors combattants ou terroristes (Cf. Le Monde du 10 octobre 2015 et mon billet du 21 septembre 2014 sur l’aveuglement politique concernant la menace djihadiste) ?
Le fait de ne pas dénommer juridiquement la Syrie comme un théâtre de guerre entrave la sanction envers nos djihadistes. J’ai proposé plusieurs fois depuis les années 2000 de créer une situation juridique dite de crise, intermédiaire entre la guerre et la paix, justement pour prendre en compte ces guerres non déclarées et impossibles à déclarer juridiquement lorsque l’on combat par des moyens militaires des groupes non étatiques à l’étranger. Cependant le droit s’y appliquant, nos Etats sont en « asymétrie juridique défavorable ». Il est temps que le droit français s’adapte et permette à la France au moins, de faire face à de nouveaux types d’ennemis.
Quant à la légitime défense, évoquée par la France pour frapper en Syrie, elle est contestée bien sûr par au moins la fédération internationale des droits de l’homme si je lis bien l’entretien avec l’avocat Patrick Baudouin, président d’honneur. Or, la légitime défense existe dans la charte des Nations unies et l’Etat est seul juge, pas des associations. Il est vrai que la France n’a pas utilisé cet argument depuis bien longtemps. J’avais proposé de s’y référer pour intervenir en Méditerranée contre les passeurs (Cf. Mon billet du 6 septembre 2015) dans l’attente, à mon sens illégitime et inutile, d’une résolution de l‘ONU votée seulement cette semaine. L’intervention militaire peut s’appuyer désormais sur le retour de cette nouvelle notion tombée en désuétude.
De la guerre intérieure
La guerre intérieure continue. La justice sévit enfin. Cinq franco-étrangers ont été déchus de leur nationalité française pour cause de terrorisme. Il reste à régler le cas des nationaux. Oui, être apatride est condamné par le droit international. Il est temps pourtant de trouver une nouvelle solution et de faire évoluer le droit pour l’adapter aux réalités du XXIe siècle. Comment accepter ces personnes haïssant la France et bénéficiant de notre nationalité (Cf. mes billets du 8 juin 2014 sur la trahison, du 1er mars 2015 et du 24 octobre 2011 sur la déchéance de la nationalité) et des valeurs qu’elles incarnent, sinon de leur protection ?
Cependant, la justice a aussi ses travers en donnant une permission de sortie à un détenu djihadiste et délinquant. Celui-ci commet un braquage et met un policier entre la vie et la mort. Je ne suis pas le seul à m’être étonné de cette réaction irréaliste de Christiane Taubira de faire accompagner par des policiers tout « permissionnaire ». Quelle preuve de naïveté ! Et puis quelle charge en personnels cela devrait-il imposer ? Heureusement le Premier ministre a le sens des réalités, ce dont la garde des sceaux manque, événement après événement.
Le gouvernement rétablit l’autorité parentale de sortie du territoire national pour les mineurs qu’il avait sans doute par idéologie antifamiliale supprimée en 2013. « Heureusement », que nous avons les attentats terroristes pour contraindre nos dirigeants à prendre des mesures ! Une nouvelle campagne de communication contre la radicalisation a été lancée. Nous aurions pu aussi avoir une campagne sur les mesures de sécurité à prendre par les citoyens contre la menace djihado-terroriste comme au Royaume-Uni.
Pour lutter contre le djihadisme, encore faut-il pouvoir être renseigné ? Comme nous pouvions nous y attendre, nos ardents défenseurs de la liberté que sont les journalistes (Association de la presse judiciaire) et les avocats (ordre des avocats de Paris) ont engagé début octobre 2015 une procédure contre cette loi au niveau du CEDH. Il sera intéressant de voir en cas de succès si l’Etat applique la décision dès lors qu’il ne l’applique pas en justice pour l’indépendance du Parquet.
Pour conclure
L’intervention militaire est à nouveau une solution pour résoudre un conflit dans la mesure où elle contraint la partie adverse à accepter des négociations ou affaiblit suffisamment sa capacité de nuisance. Aider au développement d’un Etat ne suffit pas. La sécurité devient indispensable et doit être imposée. Il faut donc assumer la Guerre quand elle devient nécessaire pour notre sécurité lointaine ou proche avec l’éternel dilemme : quand, pour combien de temps, avec quelle détermination, pour quel résultat acceptable ? (Cf. Le Monde du 11octobre 2015, « Oui l’interventionnisme militaire est souvent nécessaire » par JB Jeangène Vilmer). Elle reste bien l’expression de la volonté d’un Etat à vouloir protéger sa population.