Cette semaine se tenait un colloque à l’école militaire de Paris. Organisé par l’institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), il avait pour thème « Défense et sécurité : quelles continuités ? ». Regrettons qu’il se soit déroulé sur deux jours, ce qui permet à peu d’auditeurs dans la vie active d’assister à toutes les interventions. J’attends avec impatience les actes du colloque pour en prendre connaissance.
Sujet bien sûr d’actualité, ce colloque était opportun après les attaques salafistes de 2015, les nombreuses mesures prises ou à prendre depuis, l’intense débat démocratique les encadrant et le retour des armées, en particulier de l’armée de terre, sur le territoire national.
Les interventions évoquaient le rôle des armées sur le territoire national aussi bien par une approche historique que contemporaine. Il est vrai que les uns et les autres ne connaissent pas toujours l’histoire de nos institutions, de la place des armées dans la sécurité publique, sans oublier la crainte sous-jacente d’une armée qui serait trop impliquée dans le fonctionnement de l’Etat au point d’en menacer le caractère démocratique.
Car de quoi s’agissait-il sinon de la place et du rôle des armées au XXIe siècle au sein des institutions : rôle dans la protection de la Nation sur le territoire national, pouvoir donné aussi au ministère de l’intérieur et aux forces de police, coordination entre ce ministère et celui de la défense face à la menace, sujets que j’ai abordés à de nombreuses reprises sur mon blog. C’était d’ailleurs les thèmes de mes premiers billets en août 2011 (Cf. A titre de réflexion, un billet publié le 15 mars 2011 sur un autre site et mis en ligne sur celui-ci).
Cependant, ce que j’ai particulièrement apprécié, est l’intervention d’ouverture de Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Quand les propos sont réellement du niveau stratégique avec des bases concrètes, on ne peut que les apprécier.
Il est intéressant que Louis Gautier ait largement fait référence au comte de Guibert, théoricien militaire du XVIIIe siècle, peu connu sauf de ceux qui s’intéressent à la stratégie (Cf. Wikipedia). Pourtant, Jaurès, selon le général Poirier dans « Généalogie de la stratégie militaire » (2006), le reconnaissait comme un vrai penseur du XVIIIe siècle. Guibert a donc aussi écrit en 1790 « De la Force publique considérée dans tous ses rapports », un essai qui séparait dès son premier chapitre la force publique en deux forces, « la force du dehors et la force du dedans »
Dans le contexte d’aujourd’hui, Louis Gautier a rappelé justement ce continuum sécurité intérieure – sécurité extérieure en se référant aux acteurs non étatiques déjà présents dans le Livre blanc de 1994. Il a surtout fait un survol perspicace de cette absence de conscience des réalités de nos sociétés européennes et finalement de leur déliquescence, terme non utilisé, qui a permis en particulier la remise en cause de la citoyenneté nationale et le développement de la « multiappartenance » bénéficiant aux organisations criminelles ou terroristes.
Je traduirai plutôt cela par l’absence de loyauté du citoyen, loyauté envers la société et les institutions que la société n’est plus capable d’imposer. D’ailleurs protéger les lanceurs d’alerte n’est-il pas aussi une incitation à la déloyauté, même je peux comprendre que cette action d’alerte puisse avoir lieu quand tous les autres moyens internes n’ont pas abouti pour une situation de gravité extrême.
Louis Gautier a rappelé que la notion de frontières n’est pas seulement physique mais aborde aussi d’autres domaines comme par exemple juridiques. Faire face à un ennemi qui ne respecte pas nos règles pose aussi problème. Cependant, la France a multiplié les mesures antiterroristes depuis la création du plan Vigipirate dans les années 90, mis en œuvre pour la première fois en 1995 mais adapté 15 fois dans le premier semestre 2015. Ce qu’il a surtout souligné est ce retour des forces armées, essentiellement terrestres, sur le territoire national pour assurer sa sécurité. Certes, cela était envisagé dans les Livre blanc de 2008 et 2013 dans le cas de l’urgence et en projection intérieure, donc d’une manière exceptionnelle en paradoxe avec les pays voisins où l’appel aux forces armées est naturel en cas de menace intérieure. Je soulignerai pour ma part qu’il y avait surtout une volonté du pouvoir civil d’affaiblir et de marginaliser les armées dans les institutions, l’armée ne devrait plus servir à grand-chose et coûtant chère.
Pourquoi faire appel aux armées aujourd’hui selon Louis Gautier ? Celles-ci, encore aujourd’hui et juste à temps avant l’application de la LPM dans son ancienne version, constituent un réservoir important de forces, disponibles, réactives, nombreuses à la différence de fait de forces civiles de sécurité intérieure qui répondent à d’autres normes. Ensuite le retour de l’armée de terre dans la protection de la France permet de redonner une cohérence interarmées dans cette mission première et fondamentale, au même titre que l’armée de l’air et la marine.
Deux sujets restent cependant l’orateur du domaine de la réflexion : l’état d’urgence au XXIe siècle qui n’est pas l’état de guerre, car il impose le respect du droit avec une réquisition des armées par le pouvoir civil. Pour ma part, cela ne doit pas exclure le cas ultime notamment de la mise en œuvre de l’état de siège. Nul ne peut exclure que demain les armées n’aient pas la responsabilité de la protection de la Nation. Non que cela soit souhaitable mais cela ne doit pas être exclu dans le cas d’une crise majeure. Les armées et les institutions devraient s’y préparer intellectuellement.
Le deuxième sujet évoqué par Louis Gautier est la définition de la mission à donner aux armées par l’autorité civile, la planification des moyens, le contrôle de leur mise en œuvre et surtout la place du CEMA auprès du pouvoir politique. Il est le conseiller « défense » du gouvernement. Pour ma part, je considère que sa fonction doit être affirmée et consolidée malgré le recul subi depuis 2012. Est-ce grave aujourd’hui ? Je ne le pense pas car les hommes en place semblent se faire confiance et travailler en harmonie. Mais demain ? Seul un CEMA, commandant opérationnel des forces, pourra éviter des dérives dans d’autres configurations politiques et humaines. Le facteur humain à ce niveau est un élément qui peut dépasser bien souvent la fonction.