dimanche 21 juillet 2024

Frank LUKE Jr., l’Américain tueur de Drachen

Frank LUKE Jr est né le 19 mai 1897 à Phoenix en Arizona, parmi une nombreuse fratrie, comptant neuf frères et sœurs, issue d’une famille modeste d’origine allemande. Grand sportif, il pratique la boxe et l’athlétisme tout en travaillant dans une mine de cuivre locale. Son caractère têtu et vif en fait un adversaire redoutable sur le ring et plus tard dans le ciel…

Peu de temps après l’entrée en guerre des États-Unis le 6 avril 1917, Frank LUKE s’engage le 25 septembre 1917 dans l’US Signal Corps à Tucson dans l’Arizona. Le jeune homme souhaite devenir mécanicien et commence sa formation de base, cependant il est trop tard pour être enrôlé avec sa classe d’âge en section mécanique et se voit offrir la possibilité de rejoindre la formation de pilote dans laquelle il reste des places. C’est grâce au hasard que Frank LUKE s’oriente donc dans l’aviation. Il rejoint l’école d’aéronautique militaire d’Austin au Texas où il termine en sept semaines le programme d’instruction. Au cours de sa formation, il s’avère être un excellent pilote, le premier de sa promotion, mais son caractère difficile, son inconscience et sa tendance à prendre des risques inconsidérés ne le rendent pas populaire auprès des cadres et autres élèves. Il est d’ailleurs puni d’interdiction de vols à plusieurs reprises pour avoir fait des acrobaties et figures dans les airs pendant ses vols en solo. Malgré ces péripéties, le jeune aviateur est breveté le 23 novembre 1917 et promu sous-lieutenant du Signal Officiers Reserve Corps le 23 janvier 1918. Afin de perfectionner son entraînement, il est envoyé en France sur la base du 3e Centre d’Instruction Aéronautique à Issoudun puis à Orly.

Le 26 juillet 1918, Frank LUKE est affecté au 27th Aero Squadron appartenant au 1er Groupe de Chasse (Poursuit Group) basé à Saints, près de Coulommiers, depuis le 9 juillet 1918. Cette unité est équipée de Sopwith Camel, Nieuport 28, SPAD XIII et porte l’aigle américain pour insigne. Mais la monture du LUKE est le SPAD XIII, dernier né et fleuron de l’industrie aéronautique française qui doit permettre aux alliés de balayer le ciel de France grâce à ses performances aussi remarquables que ses lignes sont pures. Il s’agit en effet d’un appareil particulièrement apprécié des pilotes alliés pour sa vitesse, sa maniabilité, sa robustesse qui lui permet d’atteindre des vitesses formidables en piqué pour frapper son ennemi de manière fulgurante et sa puissance de feu avec deux mitrailleuses Vickers de 7,7 mm synchronisées. Tel un pur-sang, le SPAD XIII est difficile à prendre en main, ce qui accroît d’autant le prestige de l’avoir pour monture, les FONCK, GUYNEMER, RICKENBACKER, BARACCA ou NUNGESSER remporteront la plupart de leurs succès à ses commandes.

Le 27th Aero Squadron est commandé par le Major Harold E. HARTNEY puis le Captain Alfred A. GRANT. Pendant les premières semaines suivant l’affectation de LUKE, l’escadrille est chargée de missions de reconnaissances et de patrouilles. Une routine qui ennuie vite l’ardent LUKE Jr venu en France pour en découdre avec l’ennemi. Son mauvais caractère et son insubordination reprennent le dessus et le jeune pilote s’éloigne des itinéraires tracés afin de provoquer la rencontre avec l’ennemi. Dans le courant du mois d’août, il repère pendant sa patrouille un aérodrome allemand avec six Albatros qui regagnent la piste et saisit l’occasion pour en abattre un. Cependant, cette première victoire n’a pas été comptabilisée faute de témoins alliés. En effet, les Américains utilisent le système français d’homologation des victoires qui est le plus stricte de tous les belligérants, pour qu’une victoire soit accréditée au palmarès d’un pilote il faut que l’appareil abattu tombe du côté allié pour y être formellement identifié ou que sa destruction dans les lignes ennemies soit attestée par au moins deux témoins amis ; les vols solitaires derrières les lignes ennemies sont donc peu payant pour enrichir son tableau de chasse, René FONCK, l’as des as français, aurait ainsi remporté 32 victoires en plus de ses 75 homologuées. À la suite de cet exploit solitaire, LUKE ne cesse de se vanter auprès de ses pairs ce qui n’arrange pas ses relations avec ces derniers.

Le 12 septembre 1918 débute la bataille de Saint-Mihiel visant à réduire le saillant du même nom et à servir de banc d’essai à l’armée américaine avant sa grande entrée dans la danse entre Meuse et Argonne. L’AEF commandée par le Général PERSHING reçoit pour mission d’encercler les défenseurs allemands en sectionnant le saillant à sa base, par un coup principal porté entre la butte de Montsec et la Moselle en direction de Thiaucourt et Vigneulles où les deux branches de la tenaille doivent se fermer. Le 27th AS précédemment déménagé au sud-ouest de Verdun à Rembercourt participe à la bataille et patrouille dans un secteur défini. Frank LUKE remarque pendant sa patrouille un objet volant, énorme et immobile. Il s’agit d’un Drachenballon allemand, un ballon d’observation qui permet le réglage et l’observation des tirs d’artillerie. Mis au point par August von PARSEVAL, ces ballons gonflés à l’hydrogène sont placés à quelques kilomètres en retrait des lignes de front afin d’observer les déplacements de l’ennemi mais surtout pour régler les tirs d’artillerie et de contre batterie. Ces postes d’observation sont reliés à l’aide d’un câble au sol et les équipages sont équipés de parachutes, ce qui n’est pas le cas des pilotes d’avions. Malgré un aspect lourd et inoffensif, ces ballons sont très bien défendus car leur importance tactique est considérable, le résultat de leurs observations influant directement sur le cours de la bataille ; ils ont ainsi à leur disposition une DCA particulièrement étoffée comprenant canons et mitrailleuses et bénéficient en outre de la protection spécifique de patrouilles d’avions. Il est donc très dangereux de s’attaquer aux Drachen et la plupart des pilotes les délaissent prudemment. Pourtant, cela n’effraie pas Frank LUKE qui rentre à la base de Rembercourt pour rendre compte de sa découverte et demande l’autorisation de tenter la destruction du ballon. Après avoir obtenu l’accord pour cette dangereuse entreprise, LUKE décolle accompagné du lieutenant Joe WEHNER qui lui servira d’ailier. La silhouette caractéristique du ballon se détache à l’horizon, le pilote prend de l’altitude afin de l’attaquer en piquer. Sa première tentative échoue, sa mitrailleuse s’enraye mais rapidement il revient à l’assaut et mitraille le Drachen. Lentement, l’engin s’embrase et s’affaisse et c’est ainsi que Franck LUKE obtient sa première victoire aérienne sur un ballon, qui va devenir sa proie favorite.

Le 14 septembre, Frank Luke escorté par d’autres pilotes abat à nouveau deux ballons et le lendemain trois autres. Ces nouvelles victoires renforcent Luke et le confortent dans le fait de prendre plus de risques pour détruire ces ballons. Sous l’effet de ces destructions en chaîne, les patrouilles aériennes de défense sont renforcées à proximité des Drachen. Au cours de sa dernière sortie, le SPAD de Luke est très endommagé par la DCA et l’appareil est déclaré hors d’usage à son retour à la base. Il en faut plus pour décourager le jeune pilote qui repart dès l’après-midi avec Wehner qui l’accompagne désormais souvent. Ce dernier est chargé de l’escorter ainsi que d’occuper les chasseurs pour laisser la voie libre à LUKE pour la destruction des ballons. Ils développent ensuite ensemble une nouvelle tactique : attaquer le soir les ballons en manœuvre de retour au sol. Cette idée est approuvée par le commandant de l’escadrille et le 16 septembre, les deux jeunes hommes décollent ensemble pour mettre en pratique leur idée. La soirée est fructueuse : trois ballons sont abattus. Le Colonel William MITCHELL, pionnier de la pensée aéronautique américaine, témoigne lui-même de cet exploit : « l’un des faits d’armes les plus remarquables dans la carrière militaire d’un jeune homme pour le moins époustouflant ».

Frank LUKE, « Arizona Baloon Buster », dispose déjà de huit victoires homologuées après seulement deux semaines de service au front. Le 18 septembre, l’as s’envole en fin de matinée toujours en compagnie de WEHNER afin de trouver de nouvelles cibles dans le secteur. Rapidement, ils repèrent près de Labeuville un groupe de ballons et décident de les attaquer. Le premier est touché et prend feu rapidement mais l’escorte de Fokker DVII arrive sur place pour chasser les Américains. Un deuxième ballon est touché et s’effondre mais WEHNER est en difficulté face aux chasseurs allemands, il est rapidement abattu par l’un d’entre eux. LUKE désormais seul engage le combat avec les Fokker et parvient à abattre deux avions, les autres prennent la fuite face à la fureur de LUKE. Il décide de rejoindre la base et rencontre sur son chemin un avion de reconnaissance allemand : il l’abat d’une courte rafale et l’avion s’écrase. De retour à Rembercourt, Frank Luke écrit dans son rapport :

« Le lieutenant WEHNER et moi avons quitté l’aérodrome à 16 heures pour aller à la recherche de ballons ennemis. Dans le secteur de Saint-Mihiel, nous avons repéré deux ballons près de Labeuville. Nous nous sommes aussitôt dissimulés dans les nuages puis nous leur avons foncé dessus, et les avons abattus tous les deux. C’est alors que nous avons été attaqués par plusieurs avions ennemis. La plupart d’entre eux s’en sont pris à WEHNER qui se trouvait au-dessus de moi, sur le côté. J’ai commencé à grimper pour me mêler au combat lorsque deux avions m’ont attaqué par l’arrière. Je leur ai fait face, et j’ai ouvert le feu sur le leader. Nous nous sommes rapprochés face à face jusqu’à ce que nous soyons plus qu’à quelques mètres l’un de l’autre. C’est alors que mon adversaire a dégagé en plongeant et que je l’ai vu percuter le sol. Je me suis alors tourné vers un autre sur lequel j’ai tiré une courte rafale. Il a viré est parti en piqué. J’ai vu un certain nombre d’avions ennemis au-dessus de moi mais je n’ai pas pu trouver le lieutenant WEHNER. J’ai donc fait demi-tour pour regagner nos lignes. Ce combat a eu lieu à proximité de Saint-Hilaire. Lorsque j’ai atteint notre propre ligne de ballons, j’ai mis cap à l’est. »

Au cours de cette journée, LUKE gagne cinq nouvelles victoires mais perd son cher ami WEHNER.

Après tant de succès spectaculaire, il obtient une permission qu’il passe à Paris comme la plupart de ses pairs, il y reste quelques jours mais s’y ennuie vite et décide de retourner sur le front. Le 26 septembre 1918 débute alors l’offensive Meuse-Argonne, composante américaine à l’offensive générale du maréchal FOCH qui implique plus de 200 divisions et dont l’objectif précis est de couper vers Sedan l’axe stratégique majeur que constitue la ligne Sedan-Metz pour enfermer en Belgique et dans le nord de la France le gros de l’armée impériale. Le 27th Aero Squadron est mis à contribution dans le cadre de cette immense bataille pour participer à la conquête de la supériorité aérienne. Le 28 septembre, Luke s’élance dans la fournaise et abat un avion d’attaque au sol Hannover CL.III puis dans la même journée, un nouveau ballon qui lui rapporte sa 15e victoire. Le lendemain le jeune pilote toujours aussi indiscipliné est puni et interdit de vol. Cependant, LUKE fait fi de sa punition en dérobant illégalement un SPAD disponible et s’envole sans autorisation pour le front. En fin d’après-midi, il fait halte sur un terrain d’aviation près de Verdun, fait le plein de carburant pour son appareil. Peu de temps après, il largue un message à destination des troupes américaines stationnées dans le nord-ouest de Verdun : « Regardez bien les trois ballons allemands au-dessus de la Meuse ! ». LUKE s’offre des spectateurs pour contempler son exploit illicite, avec un avion volé et sans permission de vol. Au milieu d’une nuée de Fokker et sous le feu de la DCA, Frank LUKE abat les trois ballons d’observation sous les yeux des soldats du secteur. Cependant, cet exploit est le dernier pour le « Arizona Baloon Buster ». Pris en chasse par les Fokker, son avion est touché et lui-même blessé, vraisemblablement par un tir de DCA. Survolant les lignes ennemies, il mitraille au passage les positions allemandes y faisant une dizaine de victimes. Il termine sa course près de Murvaux où il parvient à poser son appareil. LUKE, tente de s’enfuir vers les bois pour échapper à la captivité mais il est rapidement encerclé par les soldats allemands qui le somment de se rendre, celui-ci refuse et dégaine son colt 1911 pour se défendre. Il blesse ainsi encore plusieurs soldats avant d’être tué d’une balle en pleine poitrine. Enterré au cimetière de Murvaux, il y est récupéré deux mois plus tard par les forces américaines pour être inhumé au cimetière militaire de Romagne sous Montfaucon, où on peut encore venir lui rendre hommage.

C’est ainsi que ce termine la brève mais prodigieuse carrière de pilote de Frank LUKE Jr. Pour ce dernier exploit, le jeune homme de 21 ans reçoit à titre posthume la Medal of Honor, remise à son père, plus haute distinction américaine pour fait de guerre exceptionnel, et fut le premier pilote américain à la recevoir.

 


Crédit photo : Camille Harlé-Vargas

Hommage

Frank LUKE Jr est décoré de la Medal of Honor avec cette citation :

«  Après avoir détruit plusieurs avions ennemis dans un délai de 17 jours, il s’est volontairement engagé dans une patrouille à la suite de ballons d’observation allemands. Bien que poursuivi par 8 avions allemands qui protégeaient la ligne de ballons ennemie, il a sans hésitation attaqué et abattu en flamme 3 ballons allemands, étant lui-même sous le feu nourri des batteries au sol et des avions hostiles. Gravement blessé, il est descendu à moins de 50 mètres du sol et, volant à cette altitude basse près de la ville de Murvaux, a ouvert le feu sur les troupes ennemies, faisant 6 morts et autant de blessés. Forcé de faire un atterrissage et entouré de tous côtés par l’ennemi, qui l’a appelé à se rendre, il a dégainé son pistolet automatique et s’est défendu héroïquement jusqu’à ce qu’il tombe foudroyé d’un tir à la poitrine. »

Cette citation particulièrement élogieuse est à l’origine de la légende Frank LUKE. Sa véracité historique a été plusieurs fois remise en question, notamment sur la phase d’attaque en rase motte de la tranchée allemande même si cette scène a été rapporté par des témoins français. Deuxième as américain de la grande guerre après RICKENBACKER qui dira de lui : « c’était l’aviateur le plus audacieux et le plus grand pilote de toute la guerre. Sa vie est une des plus belles gloires de notre service aérien. Il s’est déchaîné est a abattu quatorze aéronefs ennemis, dont dix ballons, en huit jours. Aucun autre as, même le redouté RICHTHOFEN ne s’était jamais approché de cela. » ; plusieurs bases aériennes et d’entraînement ont porté son nom, qui reste attaché aux pionniers de l’aviation militaire américaine comme un exemple d’intrépidité et d’héroïsme.

https://youtu.be/e012TO98ne8
Camille HARLÉ VARGAS
Camille HARLÉ VARGAS
Auteur et spécialiste de l'histoire des conflits et de la mémoire du XXe siècle. Chargée de mission à l'ONaCVG de la Marne dans le cadre du Centenaire de la Grande Guerre (programme pédagogique, médiation et mise en place de projets). Engagée dans la vie associative visant à faire connaître au public l'histoire et les sites de la Première Guerre mondiale (Main de Massiges). En collaboration avec des historiens pour la rédaction d'articles et d'ouvrages sur les deux guerres mondiales.
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