L’innovation semble être devenue un thème particulièrement important dans les déclarations récentes des autorités du ministère des Armées : le discours tenu illustre à la fois une ambition forte et une volonté de faire bouger les lignes. À juste titre car elle est la condition première du changement, des remises en cause, des progrès à accomplir pour demeurer en mesure de remplir les missions confiées, dans un environnement en perpétuel renouvellement. L’innovation n’est pas le simple synonyme de l’évolution technologique ; car la technologie n’est ni le seul vecteur, ni le seul objet de la transformation innovante des armées.
L’innovation est bien plus que cela : elle est un état d’esprit, une culture, dont l’objectif est la performance accrue dans tous les domaines. Elle repose sur la remise en cause, la curiosité, l’imagination, l’ingéniosité, l’esprit pratique. Elle traite des équipements, des organisations, des processus, des outils… Elle s’adresse à des domaines aussi variés que les capacités militaires, les soutiens, les ressources humaines, l’infrastructure, la santé ou l’organisation du commandement.
La haute technologie en constitue certes un des axes majeurs. On présente parfois la haute technologie comme une fatalité subie ou comme une forme de surenchère coûteuse. Elle est en fait tirée par le besoin d’efficacité des forces : mieux percevoir, mieux comprendre, décider plus vite, être plus précis, se déplacer plus rapidement, disposer de plus de puissance d’agression, être mieux protégé…
Elle vise en règle générale à donner un avantage décisif, sur le terrain, dans chaque duel tactique. Sachant que ces avantages ne sont toujours que relatifs et temporaires. Ce qui pousse à vouloir en permanence explorer de nouvelles pistes, pour maintenir un écart significatif avec l’adversaire.
La transformation numérique, pour sa part, est probablement le principal moteur de l’innovation des années à venir. Tous les secteurs d’activités de notre pays sont touchés et tous ont compris qu’elle est incontournable pour rester compétitifs.
Il convient en premier lieu de dire ce qu’elle n’est pas : il ne s’agit pas d’une simple numérisation des processus ou des méthodes existants ; il ne s’agit pas de remplacer le papier et le crayon par l’ordinateur pour exécuter des tâches identiques ; car cela a déjà été fait. Il s’agit de profiter des opportunités offertes par le numérique pour transformer nos méthodes et gagner en efficacité. Ce n’est pas une révolution des outils, c’est une révolution des mentalités, des manières de faire ; c’est une transformation des forces armées en profondeur et en devenir.
Elle doit s’appliquer dans deux directions :
- Organique, pour fluidifier au quotidien les tâches de la vie courante dans tous les domaines (RH, soutien, organisation…) ;
- Opérationnelle, car elle est susceptible de provoquer une véritable transformation de la guerre, en particulier au niveau tactique.
Elle s’appuie sur quatre piliers désormais connus :
- La connectivité : elle va permettre de généraliser l’Internet des objets, y compris sur le terrain, avec la mise en place à terme d’un véritable réseau des « objets connectés du champ de bataille » ; ces « objets » seront aussi bien les plates-formes que les capteurs ou les armes, mais également les hommes qui les servent ;
- L’intelligence artificielle : ses deux applications majeures pour les armées sont l’aide à la décision et la robotisation ; elle permet d’aller vers le temps réel pour conduire à la fois les tâches de réflexion tactique et celles d’exécution, en acceptant des modes automatisés lorsque le tempo de la manœuvre l’impose ;
- Le « Big Data Analytics » : c’est une technologie qui a pour objet de faciliter le traitement des masses de données produites ; ses attendus sont essentiels pour la tenue de situation opérationnelle et pour le renseignement : comprendre plus rapidement, disposer d’une vision plus claire de la situation, extraire les signaux faibles, synthétiser et fusionner les informations pertinentes…
- Les technologies cyber : elles sont indispensables car sans elles les trois autres piliers peuvent se transformer en fragilités ; elles doivent être envisagées à la fois en mode défensif, pour assurer la résilience de nos forces, et en mode « actif », pour intervenir sur les capacités de commandement de l’adversaire.
Le « combat collaboratif » est le fruit attendu de cette transformation. On pourra rétorquer que le combat a toujours été collectif… Il faut donc préciser cette notion. Elle doit viser à transformer divers actes tactiques élémentaires en actes « réflexes », facilités par un bon usage des technologies numériques (protection mutuelle, suivi de situation amie, répartition des objectifs ou des appuis entre différents effecteurs…) afin de permettre aux chefs de concentrer leur réflexion sur ce qui fait l’essence de leur manœuvre et de l’atteinte de leur effet majeur.
L’innovation à mettre en œuvre dans les quinze ou vingt années à venir, au profit de l’armée de terre, doit s’appuyer sur la transformation numérique pour en faire un amplificateur d’efficacité guerrière, dans le but de conserver un avantage sur les adversaires qui lui seront opposés. C’est une transformation qui s’articulera autour des notions de temps réel, de collaboratif, de souplesse tactique, de réactivité accrue… Elle ne pourra pas s’affranchir d’une réflexion profonde sur la transformation du commandement opérationnel.
GCA (2S) Alain BOUQUIN