Le second volet de ma réflexion (Cf. Mon billet Le ministre de la défense au contact du personnel du ministère, du 23 février 2014) est bien entendu une réflexion à chaud sur les événements de la semaine écoulée.
Une révolution en Ukraine
En Ukraine, l’insurrection a réussi contre les autorités légales qui n’étaient plus légitimes aux yeux d’une partie de la population. Quelques facteurs déterminants peuvent être identifiés :
- Une zone géographique focalisant l’attention médiatique et devenant un symbole (Kiev) ;
- Des personnes déterminées qui s’équipent d’armes à feu, les utilisant « légitimement » car au service de la démocratie ;
- Un soutien international et surtout, certes pacifique mais réel, à une opposition correspondant aux valeurs occidentales ;
- Des pertes humaines relativement importantes qui deviennent des martyrs de la révolution ;
- La diffusion en temps réel des combats sur les réseaux sociaux ;
- Le refus de l’armée d’intervenir ;
- la défection progressive des policiers sans doute usés par des journées d’affrontement, le poids de la responsabilité des morts civils, sans doute la pression de leurs familles.
Cette liste n’est pas exhaustive. Elle n’est que le reflet d’une situation de crise dans un pays donné, avec un gouvernement légalement élu mais devenu autoritaire dans son comportement envers les citoyens.
Une fragilisation des relations sociales au sein de la nation ?
La corruption était très présente en Ukraine et a accentué les inégalités, les ressentiments. Cette situation a conduit au franchissement de la ligne qui sépare l’acceptation du dialogue démocratique du recours à la force illégale. Celle-ci apparaît alors légitime sous toutes ses formes. Elle devient un facteur accentuant le rejet des élites ce dont nos sociétés occidentales ne sont pas exemptes. La France pourrait être concernée si je me réfère au rapport du conseil de l’Europe du 27 janvier 2014 (Cf. Rapport du Conseil de l’Europe) sur la lutte contre la corruption.
Aujourd’hui, le recours à la violence des opposants en France est de fait toléré certes en fonction du type de manifestants, certains étant plus dangereux ou plus pacifiques. Ainsi, après bien d’autres manifestations toute aussi violentes pour des questions socio-économiques, nous avons assisté à la révolte massive et violente contre l’écotaxe il y a quelques semaines. Les violences sont avant tout matériels, donc à la charge des contribuables déjà surtaxés (mais à quoi servent des impôts nouveaux si c’est pour réparer la destruction des biens publics ?).
Les affrontements physiques contre les personnes restent aujourd’hui contrôlés et acceptables. Cependant ce week-end, les affrontements physiques, violents, contre le futur aéroport de Nantes montrent la fragilité de ce mode de relations sociales. Quand le pouvoir politique n’est plus suivi par des parties de plus en plus importantes de la population, pour des raisons diverses, l’inquiétude peut régner.
Une fragilisation de la nation et des élites ?
Je prendrai pour exemple l’annonce du président de la République de faire entrer au Panthéon quatre résistants de la seconde guerre mondiale. La campagne pour faire entrer des personnalités exemplaires au Panthéon battait son plein depuis des mois notamment dans les colonnes du Monde. Choisir les quatre candidats, forme de non-choix finalement, aurait dû permettre de satisfaire toutes les sensibilités.
Or, un des élus au moins, Jean Zay, pourrait bien faire polémique en cette année de commémoration du sacrifice de millions d’hommes pendant la Première guerre mondiale. En effet, il circule sur internet un poème écrit dans sa jeunesse au lycée en 1924 et rendu public en 1932. Intitulé « Le drapeau », sa lecture donne froid dans le dos par sa haine du drapeau et son antimilitarisme. Je ne le mettrai pas en ligne pour ne pas lui donner une publicité qu’il ne mérite pas. Bien d’autres internautes l’ont diffusé. Il pourrait être interprété comme une erreur de jeunesse. Ses actions sans ambiguïté lors de la seconde guerre mondiale plaident pour son engagement républicain et patriote jusqu’à son assassinat par la milice française
Cependant, si je relie ce poème aux débats récurrents sur le respect dû à la Marseillaise et au drapeau français, je crains que nous n’assistions à un nouveau clivage dans la société française. Alors que celle-ci devait retrouver la sérénité et la confiance dans l’avenir, ce choix politique ne pourra pas laisser indifférent. Elle n’avait pas besoin de cela.
Pour mieux comprendre qui était Jean Zay, je vous invite à lire cet article « D’un drapeau l’autre, Jean Zay (1914-1944) » de l’historien Olivier Loubes, professeur en classes préparatoires. Il exprime aussi le rôle de l’école pendant la guerre de 1914-1918 et donc le contexte de l’écriture de ce poème pour aboutir à cet « enseignement de guerre ». Il étudie surtout l’impact de ce poème à l’époque de Jean Zay et bien sûr sur sa vie politique. Chacun puisse faire son jugement mais je retiendrai de l’analyse d’une culture de la guerre civile des années trente, ce qui n’est pas vraiment rassurant (Cf. Article d’Olivier Loubes).
Une fragilisation des relations entre les armées et la gendarmerie ?
Je conclurai sur la polémique survenue au sein de la Saint-cyrienne suite à la publication d’un article du Casoar « une veillée avec les veilleurs » (Cf. revue trimestrielle) par un jeune Saint-cyrien, capitaine de gendarmerie. Celui-ci expliquait comment son unité avait neutralisé les « adversaires » qu’étaient devenus pour lui les veilleurs, opposants au mariage pour tous (Cf. L’Opinion du 20 février 2014). Faisant suite aux propos précédents, il est intéressant de lire que ce capitaine évoque le pacifisme de ces catholiques lisant « des textes religieux et philosophiques notamment sur le thème de la résistance ».
Il a suscité une réaction forte sur le site de la Saint-cyrienne du général d’armée Dary (Cf. article en ligne), ancien gouverneur de Paris et organisateur « logistique » des manifestations de la « manif pour tous ». Son expression claire pose indirectement la problématique de l’affaiblissement du lien entre l’armée (certes plutôt « de terre ») et la gendarmerie, des modifications possibles de comportement dès lors que l’on sert dans les forces de sécurité intérieure.
Après s’être affaibli il y a une vingtaine d’années, le lien entre la gendarmerie et les armées s’est renforcée avec ce besoin pour la gendarmerie de préserver sa militarité. Un certain nombre d’officiers Saint-cyriens rejoignent en effet chaque année la gendarmerie. Cette militarité préserve le statut militaire de la gendarmerie au sein du ministère de l’Intérieur. Elle donne aussi un comportement différent des policiers et plutôt apprécié.
Le Casoar, revue des Saint-cyriens, a pour objet de permettre la libre expression des saint-cyriens d’active et de réserve. Pour ma part, j’y suis d’autant plus attaché qu’avec quelques camarades, nous avons bataillé dans les années 90 pour que les colonnes soient ouvertes et libres. Ce ne fut pas aisé. Ce fut la première réforme du Casoar, forme et contenu. Ce fut possible grâce au soutien du président de la Saint-cyrienne de l‘époque, le général d’armée de Dinechin. Son humanité était (et est) unanimement reconnue. Il a su créer l’alchimie positive pour que les jeunes (capitaines et commandants) et les anciens (colonels et généraux, souvent à la retraite) puissent agir ensemble pour la communauté Saint-cyrienne.
Outre membre du conseil d’administration pendant une vingtaine d’année, j’ai eu la fonction de Conseiller « communication » de l’association, premier « rédacteur-en-chef adjoint » d’active de la revue pour développer la liberté d’expression des officiers saint-cyriens. Une règle avait été établie. Les « anciens » devaient s’assurer que l’article des jeunes ne soit pas préjudiciable aux auteurs : le vrai travail de l’Ancien qui guide le jeune dans le respect de nos traditions.
L’article de notre capitaine de gendarmerie aurait donc sans doute mérité une attention soutenue compte tenu de la sensibilité du sujet au sein de la communauté militaire. Cependant, dans tous les cas, la liberté d’expression doit être préservée mais les commentaires des anciens contribuent aussi à la formation morale du jeune officier. C’est sans aucun doute ce qu’a fait le général Dary.
Pour conclure
Notre société montre des signes multiples de fracture. L’Etat et un gouvernement s’appuient non seulement sur le droit mais aussi sur la légitimité, y compris en démocratie. Légalité et légitimité conditionnent le loyalisme aux institutions. Or, nous sommes aujourd’hui dans une société qui privilégie la liberté de conscience individuelle avant toute adhésion au système, y compris démocratique. L’habilité des gouvernements aujourd’hui est d’éviter la convergence des oppositions et l’atténuation des mesures impopulaires en temps de crise tout en évitant qu’un détonateur entraine justement cette convergence des oppositions.
Dans ce contexte, les forces de sécurité sous toutes leurs formes et en nombre suffisant restent fondamentales pour permettre la liberté d’action politique. Leur formation morale est tout aussi importante. Cependant, leur mission est la protection de la population. Toute menace peut conduire à opposer la légalité d’un ordre à sa légitimité. C’est bien ainsi que les militaires sont notamment formés.