S’engager en politique au niveau national est une vraie aventure dans un milieu finalement mal connu du militaire, même s’il est d’usage de le fréquenter tout au long de nos périodes de commandement. Sollicité, c’est ce à quoi s’est essayé le général d’armée (2S) Bertrand RACT MADOUX. Il nous conte ici cette expérience.
Aujourd’hui, en 2020, plusieurs de nos camarades s’engagent dans l’aventure des élections municipales…
Mesurant les difficultés de l’exercice et l’importance de l’enjeu, je leur souhaite un plein succès dans cette démarche qui se veut avant tout au service de nos concitoyens.
Quant à moi, je souhaite évoquer dans cet article ma brève expérience politique à l’occasion des législatives de 2017, les éléments qui l’ont motivée et certains enseignements que j’en ai retirés.
J’étais engagé dans la belle mission de Gouverneur des Invalides depuis près de deux ans, quand, au printemps 2016, mon épouse et moi-même sommes invités à déjeuner à l’Assemblée nationale par le député de Valence et sa suppléante… Ce déjeuner restera dans nos mémoires, car après quelques échanges de politesse, le parlementaire m’indiquera que depuis quelques mois il travaillait sur un projet consistant à me proposer d’être candidat à Valence pour briguer sa succession ! Sa suppléante, par ailleurs maire d’une commune de l’agglomération valentinoise, se portait quant à elle volontaire pour me suppléer.
Le moment de surprise passé, et après de nombreuses questions et explications, je compris leur raisonnement somme toute assez simple, n’ayant pas de candidat qui s’imposait : les militaires sont très bien vus dans le pays et certains Valentinois ont encore un bon souvenir de l’ancien chef de corps de Spahis que je fus… La gauche semblant à cette époque « hors course », c’est aux extrêmes qu’il faudrait surtout résister… Un ancien officier devrait y parvenir…
Ayant demandé un délai de trois mois avant de donner réponse à leur proposition, je fus abondamment pourvu en statistiques et prévisions démontrant que la circonscription était « gagnable » et que je bénéficierais par ailleurs de leur soutien total durant toute la campagne. En résumé, pour eux, c’était « une offre unique que l’on ne pouvait refuser… ».
Ayant toujours pensé qu’il n’y avait trop peu d’anciens militaires à l’Assemblée, je me décidais donc à me lancer dans l’aventure, non sans avoir fixé que je resterai le plus longtemps possible en poste auprès des chers pensionnaires des Invalides (que j’étais, bien sûr, assez honteux d’abandonner deux ans avant la fin de mon mandat, prévue en 2019).
Portant les couleurs LR-UDI, j’assistais à la désignation du candidat François FILLON que je soutenais, puis à son « explosion en vol » au premier tour des élections présidentielles. Cette défaite douloureuse dès le premier tour a eu un effet néfaste sur l’alliance de la droite, frappée dès lors d’une quasi- « extinction de voix », notamment à l’occasion des élections législatives…
À la fin d’avril 2017, j’avais demandé au Président de la République de bien vouloir mettre fin à mes fonctions de Gouverneur des Invalides à la date du début de la campagne officielle des législatives, à la mi-mai. J’en avais alors informé le ministre de la Défense, comme les textes le prévoient pour un général en deuxième section. Je reçus d’ailleurs un bon accueil, mêlé de curiosité…
J’entrais donc réellement en campagne à Valence au début mai 2017, pour une période sans doute trop courte mais absolument passionnante. Nous avons mené une multitude de réunions électorales dans les villes et villages avoisinants, sans, il faut le dire, attirer les foules… Nous avons effectué de nombreuses tournées dans les différents marchés, où le contact avec les électeurs potentiels n’était pas toujours des plus simples… en effet, c’est un réel changement pour un officier que de venir solliciter ses concitoyens – alors qu’ils sont occupés à autre chose – pour vanter les mérites de sa candidature !
Puis vint le jour du premier tour, où je terminais deuxième derrière la candidate d’En marche. Je fus ensuite battu au deuxième tour, le 18 juin, avec une différence comparable. Je m’étais pourtant permis un peu d’humour en appelant les électeurs à répondre au général qui lançait un « deuxième appel du 18 juin » !
Permettez-moi d’évoquer maintenant quelques constats ou enseignements que j’ai pu retirer de cette brève expérience.
Tout d’abord, le meilleur est bien dans la richesse des rapports humains dont j’ai pu bénéficier au cours de la campagne de la part des militants ou des partisans de notre cause. Même s’il y avait assez peu de jeunes, en réalité des gens de tous âges et de tous milieux, j’ai dit – et je pense toujours – que j’ai ressenti avec eux des impressions très comparables à celles que l’on ressent avec nos soldats en opération… Beaucoup de dévouement, de détermination, d’enthousiasme et de fidélité : nombre d’entre eux sont aujourd’hui toujours des relations agréables dans la région de Valence.
À l’inverse, j’ai rapidement fait le triste constat que « tout était permis » dans la lutte politique… J’en prendrai deux exemples.
Le premier est la façon dont le député sortant qui me soutenait a, à son tour, « explosé en vol » au premier jour de la campagne officielle, le lundi 22 mai matin. Le journal local avait en effet choisi son bord et titrait donc en première page que le député sortant avait tenu des propos choquants et inappropriés… Pour cela, le journal a utilisé un enregistrement clandestin effectué par un militant sans scrupule pendant un déjeuner avec ce député au mois de mars précédent… Le journal a exploité ce thème durant une semaine en demandant chaque jour aux différents partis politiques ce qu’il pensait de pareilles déclarations…
Interviewé à mon tour, je n’ai pu que déclarer que « malgré ses propos regrettables, le député sortant était très courageux », puisqu’il venait, sous la pression médiatique, de démissionner de son poste de président du conseil départemental ! On comprendra aisément que, privé de mon principal soutien, je me sois senti un peu seul pour mener cette courte campagne…
L’autre exemple intéressant, et assez d’actualité, est l’utilisation de la question des retraites comme arme politique. Des militants se sont sans doute passé le mot pour me demander à plusieurs reprises sur différents marchés, ce que je comptais faire de ma pension de retraite, si d’aventure j’étais élu… J’imagine que dans leur esprit je devais y renoncer ?
Mon adversaire principal a, quant à elle, attendu que nous soyons face à des représentants agricoles et à un agriculteur retraité qui évoquait ses 750 euros de retraite, pour me demander en public si cela était comparable aux retraites des militaires… J’ai compris ce jour-là que nous, qui n’avions eu toute notre vie que ce qui nous suffisait pour vivre, étions clairement classés de nos jours dans la catégorie des nantis, qui plus est « grâce à leurs impôts »… Je conseille donc à ceux de nos camarades qui s’aventurent dans ce monde particulier de la politique de bien étudier la réponse à cette question.
Un autre enseignement, par ailleurs assez évident, est que pour un militaire il est difficile, après une carrière marquée par une grande mobilité, d’apporter la preuve d’un enracinement local suffisant, surtout si vous n’avez pas un soutien minimum sur le plan médiatique. Un adversaire, très à droite de l’échiquier, lui-même ancien militaire, m’a ainsi provoqué avec la complaisance du journal local, en me traitant de « parachuté », ce qui n’était bien sûr pas totalement infondé… et pas anormal non plus pour un militaire… J’ai eu beau arguer de mon séjour à Valence comme Spahi, d’une présence familiale importante dans la vallée du Rhône et en Drôme notamment, ainsi que de la participation de mon père, alors dans le maquis FFI de la Drôme, à la libération de Valence le 31 août 1944… sans relais médiatique, ce fut tâche ardue.
Or, force est de constater que, dans la dynamique de l’élection présidentielle, un « rouleau compresseur médiatique » s’était mis en route face à nous. Radios et chaînes de télévision d’information continue étaient en campagne… Ainsi, mon adversaire l’a emporté avec pourtant des salles de réunions électorales encore moins remplies que les nôtres !
Face à ce déséquilibre médiatique évident, je comptais beaucoup sur les fameuses professions de foi que les candidats adressent aux électeurs, via les services de la Préfecture, pour me faire connaître… Il faut croire que ce n’était vraiment pas « la bonne année », car au premier tour, les professions de foi n’ont tout simplement pas été distribuées en temps utile par la société privée auprès de laquelle la Préfecture avait sous-traité la mission ! Malgré nos protestations, et une deuxième version améliorée de notre profession de foi, la distribution fut tout aussi désastreuse et aléatoire pour le second tour ! J’ai dit au soir des résultats du second tour ce que j’en pensais au Préfet, qui s’en est simplement excusé. Le recours déposé pour cette raison par certains candidats battus n’a pas abouti.
En conclusion, je souhaiterais dire que, même si ce ne fut pas couronné de succès, je ne regrette rien de cette aventure. Vivant maintenant dans la Drôme, j’apprécie beaucoup de connaître mieux la population, qui est accueillante et détendue. Je sais par ailleurs, pour les avoir rencontrés occasionnellement depuis, que les pensionnaires des Invalides ne nous en ont pas trop voulu de cet abandon et je suis heureux que mon successeur s’occupe d’eux avec tout le soin voulu.
J’ai aussi apprécié la réaction de notre institution militaire ; le soutien sympathique de nombreux jeunes camarades et l’attitude compréhensive de mes amis et de mes anciens.
Je persiste donc à penser qu’il serait sain pour notre pays que l’institution militaire soit mieux représentée au Parlement, mais j’en mesure bien sûr les difficultés… J’ai eu, pour ma part, le sentiment d’avoir bénéficié d’une opportunité assez exceptionnelle mais dont la mise en œuvre s’est déroulée au cours d’une « annus horribilis » à bien des égards pour la droite.
Dans la vie politique aussi, il faut un peu de chance…
Texte tiré du dossier n°25 du G2S Le militaire et la société