Article que j’ai publié dans le Monde du 18 juillet 2017
« Je suis votre chef » a déclaré le président Macron publiquement ce 13 juillet 2017 en s’adressant indirectement au général de Villiers, chef d’état-major des armées. Le CEMA avait exprimé son mécontentement devant les parlementaires face à des décisions budgétaires défavorables aux armées.
Chacun peut comprendre qu’il faille réduire le déficit budgétaire, dû quand même en partie à un manque de sincérité du gouvernement précédent. Cependant, une limite inacceptable a été franchie. En effet, le budget de la défense s’élève en 2017 à 32,7 milliards d’euros. 2,7 milliards d’euros ont été gelés. 850 millions d’euros devraient maintenant être assurés par les armées au titre du surcoût des OPEX. Le budget 2017 sera réduit de 8% à 10% si les décisions sont validées.
Le coût des opérations est au cœur de ce débat. Le budget des armées du temps de paix est un budget de fonctionnement et d’investissement qui permet notamment de former et d’entrainer nos forces pour le temps de guerre. Selon les circonstances, une opération militaire peut être décidée par le politique. Cela crée des coûts exceptionnels mais « qui décide, paie » comme cela est la règle.
N’y-a-t-il pas aussi une profonde contradiction à évoquer l’Europe qui protège, la sécurité des Français comme à Nice ce 14 juillet alors que les forces armées sont affaiblies budgétairement ? La communication et les discours pourront-ils longtemps dissimuler une réalité et des promesses difficiles à tenir ?
Pourtant être chef, en particulier dans les armées, signifie tenir sa parole pour mobiliser et faire adhérer. Ce contrat moral, de confiance, est au cœur même des relations entre le politique et le militaire. Je peux comprendre que le chef des armées exprime son autorité que nul n’a d’ailleurs remise en question. Je peux cependant attendre qu’il ne soit pas mis dans la situation de l’affirmer : soit il y a eu tromperie sur cette nouvelle coupe budgétaire, soit il y a eu un dysfonctionnement dans son gouvernement.
Le président Macron a donc entaillé ce pacte de confiance attribuant le mécontentement du général de Villiers à un hypothétique « lobby militaro-industriel », comme si le chef d’état-major des armées y serait sensible s’il existait. C’est bien mal le connaître. Quant à sa liberté d’expression, le général de Villiers était dans son rôle. Quel décideur militaire peut accepter cet affaiblissement des capacités aux conséquences importantes pour la vie de nos soldats en opération ?
L’intérêt de cette crise ouverte est cependant de clarifier les rapports entre politique et militaire en ce début de mandat. Malgré la communication présidentielle qui pouvait laisser espérer une réelle considération envers les militaires, le voile est tombé. Le divorce est-il consommé ? A voir dans les semaines ou les mois qui viennent. Cependant, qui peut croire dans ce contexte à la promesse électorale des 2% du PIB consacrés à la défense pour 2025… envisagés lors d’un éventuel deuxième mandat présidentiel ?
Les armées et leurs personnels ont changé. Si les équipements ne sont pas à la hauteur, si les budgets ne permettent pas l’entraînement, deux conditions à respecter pour vaincre, le chef politique sera responsable. Au Royaume-Uni, des familles de militaires morts au combat ont porté plainte contre le gouvernement britannique qui n’avait pas donné les équipements nécessaires pour mener dans de bonnes conditions la guerre en Irak.
Un chef des armées doit donc faire ses preuves. Le président Macron a échoué à ce premier test budgétaire. Un chef qui humilie un grand subordonné et serviteur de l’Etat laisse aussi place au doute et à la méfiance dans la communauté militaire.
Or, disposer d’une armée crédible, forte, motivée permet de s’imposer auprès de ses alliés comme les Etats-Unis. Elle est un support essentiel du rang international d’un Etat. Le président Macron a la grande chance que le CEMA ait pu préserver un tel instrument de puissance. Si ce rang ne peut plus être tenu, il faut en tirer toutes les conséquences. La nouvelle imputation budgétaire correspond peu ou prou aux dépenses annuelles de l’opération Barkhane. Soyons cohérents. Quittons déjà le Sahel … et laissons nos alliés assumer la protection de l’Europe s’ils jugent cette mission utile.
Général (2S) François Chauvancy,
Animateur du blog « Défense et sécurité », il s’exprime en son nom propre.