Nous sommes à la veille de plusieurs commémorations qui rappellent le sens du sacrifice de nos soldats que ce soit dans la défaite ou le succès. La semaine qui vient verra la légion commémorer le combat de Camerone du 30 avril 1863 au Mexique. Pour ma part, j’évoquerai la guerre d’Algérie menée par les paras-commandos de l’air à travers un ouvrage publié récemment.
Je rappellerai en préambule quelques chiffres cités dans cet ouvrage. A l’époque, les opérations en Algérie correspondent à 12% du budget de l’Etat. 22 100 militaires européens dont 7 917 tués par accident de la route ou par armes à feu sur 1 340 000 millions d’appelés et 407 000 engagés dans les départements algériens disparaissent dans ce conflit. 3 500 militaires locaux, 2 788 civils européens et 30 000 civils algériens seront tués. Le FLN perdra 140 000 combattants. L’aventure algérienne s’achèvera avec 3 700 Français condamnés pour activisme et leur participation à l’OAS, dont 18 peines de mort, entre le 8 mai 1961 et le 25 février 1963 par les juridictions d’exemption créées en application de l’article 16 de la constitution de la Vème République.
Sicut Aquila (« comme l’aigle »), insigne des paras-commandos de l’air
Préfacé par Jean-Dominique Merchet, « Sicut Aquila, Histoire des paras-Commandos de l’armée de l’Air » (www.editions-pantheon.fr) a été écrit par le commandant (R) Bernard Lart, ancien commando de l’Air lui-même. Il a servi au Tchad, en ex-Yougoslavie, en Maurétanie, au Liban. Disposant d’une forte expérience opérationnelle, ce qui expliquera ses quelques commentaires un peu sévères envers ceux qui y en auraient peu, il raconte l’épopée de cette spécialité créée lors de la guerre d’Algérie.
Cet ouvrage publié fin 2013 est dense (476 pages). L’auteur fait souvent le lien entre la société de l’époque de la guerre d’Algérie et celle d’aujourd’hui ce qui ne manque pas d’intérêt. Il évoque aussi les difficultés rencontrées pour mener ses recherches en raison du manque d’archives au service historique de la défense. Il s’appuie en revanche sur de nombreux ouvrages publiés par les combattants survivants qui ont témoigné. Il accompagne son texte par de nombreuses notes de bas de page qui apportent une riche documentation sur les hommes de cette guerre.
Le commandant Lart a en effet entrepris un énorme travail non seulement pour donner une image de la guerre d’Algérie sur le terrain mais aussi pour expliquer la vie des soldats au quotidien, leur vocabulaire, les réactions de ces jeunes hommes dont nombreux sont morts au combat. Leurs noms s’égrènent au fur et à mesure des pages, ultime devoir de mémoire envers ces jeunes Français ayant combattu pour la France d’abord, pour leurs camarades sans aucun doute ensuite dans cette solidarité de groupe qui caractérise toute force combattante dans l’épreuve.
Les morts, les blessés que le soldat a côtoyés forgent la solidarité des combattants bien après les guerres, avec cet aveu sans doute toujours d’actualité : « Pourquoi être plus français que la France ? » en assumant jusqu’au bout les engagements que celle-ci n’a pas la volonté de maintenir dans la durée ?
L’histoire des paras-commandos de l’air
L’idée de créer les fantassins de l’air émerge à l’été 1955 chez le général de Maricourt, saint-cyrien de la promotion 1927-1929 « Maréchal Gallieni », (pour la petite histoire, promotion-marraine à 50 ans de la mienne) qui choisit l’armée de l’air à la sortie de saint-Cyr. Beaucoup de saint-cyriens ont été en effet les premiers pilotes de l’armée de l’air. Pour ne pas revivre les incompréhensions de l’armée de terre et de l’armée de l’air en Indochine, la première vocation de ces troupes est avant tout d’établir le lien en opération entre ces deux armées.
Cette unité comprendra beaucoup d’appelés volontaires. Chacun des quatre commandos a théoriquement 175 personnels mais seulement environ 135 quand tout va bien (blessés, malades, permissionnaires). L’expédition de Suez de 1956 aspirant les unités parachutistes de l’armée de terre permettra aux commandos de l’air d’être employés opérationnellement en Algérie et de faire leurs preuves.
En avril 1965, la dernière compagnie est dissoute et remplacée par les commandos fusiliers de l’air pour protéger les dix bases nucléaires créées à l’époque. Ils seront encadrés par une partie des cadres des paras-commandos.
Dans le domaine tactique, le commandant Lart retient cette nouveauté du combat héliporté avec les premiers hélicoptères achetés par l’armée de l’air. Certes, il critique leur emploi général par l’armée de terre, car utilisés avant tout comme « camions de transport ». Il constate avec sévérité l’incapacité à l’époque des forces terrestres à utiliser correctement l’arme aérienne sous toutes ses formes notamment pour prendre en compte la mobilité de l’ennemi.
Cependant le sens de l’innovation tactique du lieutenant-colonel Bigeard le remplit d’aise avec cette première opération du bataillon de parachutistes coloniaux le 8 mars 1956. Les hélicoptères Pirates (hélicoptères armés en appui feu) voient le jour. Une doctrine d’emploi est élaborée par le colonel Brunet.
Au 1er janvier 1959, l’armée de l’air engage 625 aéronefs dont 122 hélicoptères armés par 31 000 hommes sur une armée de l’air à l’époque de 138 000 hommes. On peut encore rêver devant ces effectifs et ces moyens.
Sur la contre-insurrection
Il faut effectivement réagir à un ennemi qui ne veut pas appliquer les documents d’emploi de l’armée française (ce qui est un peu normal…). Cet ennemi initialement appelé « hors-la-loi » deviendra le « fellagha » pour la troupe.
Les réponses initiales semblent effectivement se limiter à « plus de moyens » (on entend cela aussi quotidiennement pour toutes les branches de la fonction publique. Rien de neuf donc). Ainsi, début 1958, le général Salan demande à Chaban-Delmas des effectifs supplémentaires avec l’adage évoqué par le commandant Lart, « quand les généraux n’ont pas d’idées, ils réclament des effectifs supplémentaires ». Commentaire intéressant qui mériterait sans doute une réflexion plus approfondie aussi pour d’autres professions.
Certes, gagner une guerre est-ce donc une question d’effectifs ? Le général Ely disait que « l’inadaptation des effectifs engendre l’inadaptation opérationnelle » au sujet de l’Indochine mais parce qu’ils étaient insuffisants. En Algérie, les effectifs étaient là, la victoire militaire aussi mais seulement lorsque la stratégie militaire a été rénovée.
Il est clair qu’hier comme aujourd’hui, la réflexion pour faire différemment est une tâche ardue en France afin de lutter contre les habitudes, le confort et les avantages acquis, justifiés hier et pas forcément aujourd’hui. Il s’agit de développer une démarche proactive de remise en cause, sinon de révolution permanente pour surprendre et garder l’initiative.
Cela ne signifie pas qu’il faille tout remettre en cause. Les principes de la guerre de Foch semblent ainsi toujours pertinents malgré sans doute quelques évolutions possibles. Il faut être capable néanmoins d’identifier ce qui doit être maintenu ou doit évoluer, ce qui doit être changé radicalement grâce à l’appui des décideurs… qui doivent décider.
Avant d’évoquer les effectifs, il faut donc d’abord penser « stratégie militaire » et en déduire les effectifs. Une autre question est de savoir si le nombre d’hommes peut compenser le manque de préparation opérationnelle ou des équipements insuffisants ou inadaptés. Enfin, ce n’est pas le coût financier qui doit déterminer les capacités. Dès lors qu’un conflit est engagé, il doit être gagné ou alors il ne faut pas s’y engager.
Ce sera la tâche du général d’armée aérienne Challe, saint-cyrien, nommé le 12 décembre 1958 par le général de Gaulle comme chef des forces françaises en Algérie, certes en perdant la casquette civile de son prédécesseur, le général Salan, au profit d’un délégué général. Il faut noter que celui-ci, Paul Delouvrier, et le général Challe auront un cabinet commun. Cette organisation permettra la mise en œuvre du plan Challe, version à l’époque de que nous appelons aujourd’hui l’approche globale pour la résolution des crises.
Le plan Challe rendra les frontières hermétiques, réinséra toutes les forces dans le combat actif et non passif contre l’insurrection, notamment en mettant en place dans chaque régiment un commando de chasse, mission seulement remplie jusqu’à là par les régiments parachutistes ou autres forces spécialisées.
Reconstruction et présence des SAS
La conquête des cœurs et des esprits est largement développée dans le chapitre 8 qui cite la bibliographie de référence de l’époque (Trinquier, Lacheroy, Hogard, Galula et d’autres), la création du premier centre d’instruction de la pacification et de la contre-guérilla (CIPCG en 1956) puis du second en 1958 dans lesquels viendront se former les commandos.
« Nous ne pacifierons pas l’Algérie sans les Algériens », déclarait le général Challe. A cet effet, en appui des opérations militaires, il ajoute au volet militaire de la pacification un volet civil, le plan de Constantine à la fois de développement économique et de développement social qui s’appuie notamment sur de grands travaux. Fin 1961, auront été réalisés 90 000 km de routes goudronnées, 4 350 km de voies ferrées et 32 aérodromes.
Pourtant dès le 26 septembre 1955, les sections administratives spécialisées qui doivent conduire le développement économique dans les campagnes algériennes (765) avaient été créées : un officier, un instituteur, une assistante sociale, un fonctionnaire métropolitain, une unité locale de protection. Cette force représentera en permanence 21 600 personnels dont 300 officiers (1/3 de carrière, 1/3 de réservistes, 1/3 d’appelés), 570 sous-officiers et 2 850 attachés civils. 4 000 officiers et 2 000 sous-officiers ont ainsi servi dans les SAS sans compter les nombreux civils de métropole et d’Algérie.
Préfacé par le général de corps d’armée Cann de la promotion Union française (pour la petite histoire encore, promotion-marraine à 25 ans de la mienne dans la tradition saint-cyrienne), cette autre aventure est racontée dans « Un béret rouge en Képi Bleu : mission en Kabylie 1956-1961 », publié par Georges Oudinot, 2007, un officier SAS. Cet ouvrage imposant de 703 pages est tout passionnant à la lumière des conflits actuels.
En effet, l’auteur a été le chef d’une section administrative spécialisée en Kabylie pendant six ans de 1956 à 1961. Il s’engage à fond comme un certain nombre de militaires français dans la mission que leur avait donné le gouvernement : l’Algérie devait rester française. Dans l’esprit de Lyautey et de Gallieni, le rôle des SAS a été aussi très important pour construire la modernité dans un pays où finalement le développement n’avait pas été la priorité.
Pour conclure
Outre leur dimension historique, ces deux ouvrages sont aussi un témoignage sur la capacité d’engagement de Français, et aussi de ceux qui voulaient l’être, au service d’une certaine idée de la France, généreuse en opposition sans aucun doute avec une France égoïste et parfois veule. Ce sont ces deux facettes de la France que nous pouvons distinguer par ces lectures et qui conduisent à une certaine humilité quant aux leçons à donner au monde.