Depuis le lointain Extrême-Orient, jusqu’à nos portes, de nombreux conflits larvés sont susceptibles d’un jour dégénérer en conflits majeurs. À titre d’exemple, le GBR (2S) Dominique TRINQUAND nous propose un petit tour du monde des lieux de tensions aujourd’hui les plus sensibles.
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Après la fin de la guerre froide, qui préparait un affrontement majeur, de nombreux conflits ont émaillé la carte du monde : Yougoslavie, Somalie, Soudan, Sahel…Ceux-ci se sont tenus à la périphérie de nos intérêts majeurs et, de fait, ont d’ailleurs été souvent « délégués » à l’ONU sous forme d’opérations de maintien de la paix. Depuis, la résurgence ou l’affirmation « d’États-puissance » (Russie, Chine, Turquie) a fait apparaitre des formes différentes de conflictualité.
Pour l’instant elles ont créé des tensions nouvelles, mais sans conduire à une conflagration majeure. Toutefois le danger d’un dérapage ou d’une escalade n’est pas à exclure. Pour illustrer ces nouvelles formes de conflits, il convient d’envisager les tensions en cours dans trois régions : l’étranger proche de la Russie, la mer de Chine et la Méditerranée avec la Libye.
L’étranger proche russe
Les « conflits gelés » ne sont pas seulement une figure liée à la dissolution de l’URSS, avec les cas bien connus de la Transnistrie, du Haut-Karabakh et l’Abkhazie, mais bien l’illustration d’un mode d’action contemporain de la Russie. Il a pour but de garantir un glacis de zones instables mettant la Russie à l’abri de liens géographiques directs avec l’Europe et l’OTAN.
L’Ukraine est à cet égard l’exemple le plus actuel de ce mode d’action. Alors que les pays d’Europe de l’Est occupés par l’Union soviétique constituaient un glacis naturel dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci se réduisit rapidement lors de la chute du mur de Berlin et l’adhésion de ces pays à l’OTAN, puis à l’UE. L’Ukraine et la Biélorussie devinrent les seuls pays importants constituant des « États tampons » pour donner un peu de profondeur stratégique à la Russie.
La crise de 2013-2014 est une bonne illustration de la nouvelle méthode utilisée par la Russie. En mars 2014, une insurrection armée non identifiée[1] prend le pouvoir dans la région autonome ukrainienne de Crimée et réclame le rattachement à la Russie. Après l’organisation d’un référendum local, la région signe un traité avec la Russie pour sceller son appartenance à la fédération. Le résultat du référendum n’est reconnu ni par l’Ukraine, ni par l’Union européenne. Les révoltes prennent de l’importance dans la région orientale de l’Ukraine, le Donbass, jusqu’à l’intervention de l’armée ukrainienne pour lutter contre une insurrection armée pro-russe. Les premiers combats éclatent alors que les districts (oblast) de Donetsk et Louhansk, qui à elles deux forment le Donbass, s’autoproclament « républiques populaires » indépendantes, respectivement le 7 et le 27 avril 2014.
Aucun État ne reconnaît ces déclarations d’indépendance, pas même la Russie. Les accords de Minsk et le cessez-le-feu négocié en 2015 n’ont jamais réellement été appliqués, transformant ce conflit en « conflit gelé ». En septembre 2019, KIEV parvient elle-même – pour la première fois – à s’entendre directement avec la Russie pour procéder à un échange de prisonniers. L’Ukraine et des représentants séparatistes s’entendent également, le 1er octobre, pour proposer un texte de loi au Parlement ukrainien qui permettrait de mettre en œuvre la formule STEINMEIER (accord d’un statut spécial aux régions séparatistes en échange du retrait des troupes pro-russes). Un autre échange de prisonniers a lieu en décembre 2019 durant lequel plus de 200 personnes sont échangées. Dès lors, l’objectif suivant serait la tenue d’élections libres dans les régions séparatistes, le retrait des troupes russes et un apaisement des tensions à la frontière orientale, avant l’autonomisation progressive de ces provinces.
Dans les faits, récupérer les régions séparatistes semble difficile pour l’Ukraine, qui devrait composer avec une population souvent favorable à la Russie. C’est d’autant plus le cas en Crimée, où la Russie investit massivement, à l’instar d’un gigantesque pont entre la région et le continent russe, inauguré en 2018. La situation est légèrement différente dans un Donbass épuisé par la guerre, où la pauvreté prend le pas sur la crise politique. Depuis le lundi 27 juillet 2020, un cessez-le-feu est en vigueur pour suspendre le conflit militaire entre les forces ukrainiennes et les rebelles soutenus par la Russie. Reste à confirmer si celui-ci sera respecté par les partis.
La Russie craint le rapprochement des anciennes républiques soviétiques avec l’Union européenne, ainsi qu’une éventuelle adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qu’elle voit comme une organisation concurrente. Dès lors, l’influence exercée par la Russie sur les régions séparatistes ukrainiennes est un moyen de peser sur la politique internationale de KIEV, afin de garder l’Ukraine dans la sphère panrusse ou, au moins, maintenir un glacis dans l’Est de l’Ukraine. Après avoir récupéré la Crimée et le port stratégique de SÉBASTOPOL en mer Noire, la Russie veut que la Biélorussie et l’Ukraine continuent à faire tampon.
En septembre 2012, un « briefing paper » de Chatham House soulignait que « si un pays se dirige vers le système politico-économique de l’Ouest, la Russie le rendra ingouvernable ; si l’Ouest ne parvient pas à un accord avec la Russie sur les questions de sécurité européenne, la Russie rendra l’Europe moins sûre. » La position allemande et française qui a consisté à refuser la candidature de l’Ukraine à l’OTAN est de nature à atténuer les tensions. Le statut spécial pour le Donbass permettrait de soulager les populations et rassurer MOSCOU. En tout état de cause, l’utilisation des « petits hommes verts » et de forces paramilitaires en Ukraine a permis à la Russie de mettre en œuvre sa politique sans provoquer de conflagration majeure.
Le grignotage en mer de Chine
Les revendications chinoises en mer de Chine sont la source de nombreuses tensions entre la Chine et ses voisins, particulièrement le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et le Japon, mais aussi les États-Unis. En effet, cette zone regorge de ressources naturelles et représente aussi un intérêt stratégique de poids avec un tiers du trafic maritime mondial. Depuis 1947, la Chine revendique la souveraineté de la ligne des neuf traits, qui recouvre plus de 80 % de la mer de Chine, ce qui engendre des tensions notamment autour des îles Paracels, des îles Spratleys et des récifs de Scarborough que la Chine est accusée de poldériser et de militariser.
Depuis plusieurs années, les pays voisins ont signalé plusieurs démonstrations de force chinoises autour des îles et îlots contestés avec une grande mobilisation de chalutiers et de bâtiments de guerre pour assoir l’hégémonie chinoise en mer de Chine. Profitant de sa montée en puissance militaire et de l’affaiblissement de la présence américaine dans la région, la Chine a mené au cours des dernières années l’aménagement de plusieurs îlots et récifs, malgré une sentence de la Cour arbitrale de LA-HAYE en juillet 2016. Les États-Unis considèrent la position de la Chine comme contraire au droit de la mer et comme une entrave grave au principe de la liberté de circulation (Convention de Montego Bay). Récemment les crispations sont devenues d’autant plus fortes que les États-Unis viennent de renforcer leur présence et, que face à l’expansionnisme chinois, ils multiplient les exercices et les démonstrations de force. De nombreux incidents ont d’ailleurs eu lieu entre des bâtiments chinois et des bâtiments américains dans la zone.
Plutôt que de chercher une confrontation directe avec ses voisins ou avec les Américains, PÉKIN entretient le sentiment d’insécurité dans la région en utilisant les « zones grises » concernant les revendications en mer de Chine et maintient la tension avec ses voisins. La stratégie d’insécurité de PÉKIN est d’autant plus efficace qu’aucun des pays de la zone n’est capable de faire le poids contre la marine chinoise. Seuls les États-Unis pourraient contre attaquer en cas d’agression chinoise en mer de Chine ou contre un pays dont ils assurent la sécurité. La stratégie chinoise vise essentiellement à s’approprier progressivement des îlots ou des espaces maritimes stratégiques et à les militariser pour asseoir ses revendications territoriales dans la ligne des neuf traits.
Après la récupération de Macao et Hong-Kong la mer de Chine est l’objet d’un grignotage reposant sur la faiblesse des pays de la zone. L’exemple le plus frappant concerne les Philippines. Les Philippines et la Chine se disputent la souveraineté des îles Spratleys, officiellement en partie dans la Zone économique exclusive (ZEE) des Philippines. Cependant, ces îles ont été militarisé par la Chine et des îlots artificiels ont été construits. La Chine revendique donc la souveraineté de ces ilots en raison de ces constructions sur place. Après avoir aménagé plusieurs récifs dans les îles Spratleys et Paracels, en y installant des pistes d’atterrissage voire des batteries de missiles, l’armée chinoise s’apprêterait à se lancer dans des travaux d’envergure dans les récifs de Scarborough pour y créer un avant-poste. Cet ensemble maritime revendiqué par MANILLE se trouve à 230 km des côtes philippines. Il est passé sous le contrôle de PÉKIN en 2012 quand la marine chinoise y a déployé ses navires sans que les Philippins, sous-équipés, parviennent à les déloger.
En 2013, face à l’empreinte chinoise sur son territoire, le gouvernement philippin de Benigno AQUINO a fait une demande d’arbitrage à la Cours Internationale de Justice de LA-HAYE. La CIJ rend son jugement en 2016 et donne raison à MANILLE. « Le tribunal juge qu’il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la ligne en neuf traits », a statué l’organe des Nations-Unies. Concernant les îles Spratleys, les juges ont estimé « qu’aucun des éléments revendiqués par la Chine ne pouvait générer une zone économique exclusive, le tribunal a conclu qu’il pouvait ― sans délimiter de frontières ― déclarer que certaines zones maritimes relèvent de la zone économique exclusive des Philippines, parce que la Chine n’y dispose d’aucun droit. » Le tribunal n’a pas statué sur la souveraineté des récits de SCARBOROUGH, mais a estimé que la Chine a bien violé les droits des pécheurs philippins en imposant un blocus. PÉKIN rejette catégoriquement les conclusions de la Cour internationale de justice (CIJ). Plus récemment, le retour de la flotte américaine en mer de Chine méridionale, mais aussi l’attitude plus conciliante des pays concernés, en particulier les Philippines depuis l’élection de Rodrigo DUTERTE, a conduit PÉKIN à se montrer moins agressif, tout en poursuivant ses opérations dans la zone.
Plusieurs analystes estiment que le changement de position de MANILLE par rapport à la Chine s’explique par le fait que le pays a le pouvoir de punir les Philippines en restreignant le commerce et le tourisme, en interdisant les zones de pêche utilisées par les Philippins et en harcelant ses navires de ravitaillement militaires. L’armée philippine n’est pas équipée pour dissuader l’intrusion chinoise. Dans le même temps, PÉKIN a offert aux Philippines des milliards de dollars d’investissements dans des infrastructures, inhibant ainsi l’une des voix les plus fortes contre sa position offensive. Rodrigo DUTERTE a minimisé les différends maritimes avec la Chine tout en s’éloignant des États-Unis.
En novembre 2017, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE / Association of Southeast Asian Nations [ASEAN]) a accepté le principe de l’établissement d’un code de conduite dans la zone très favorable aux intérêts chinois. Seul le Vietnam manifeste de fortes réserves. De nouvelles constructions chinoises sur les iles Spratleys, en 2019, ont engendré de nouvelles tensions entre les Philippines et la Chine. Selon Antonio CARPIO, ancien juge de la Cour suprême à MANILLE et expert respecté, la finalisation par la Chine de ses bases aériennes et navales est « pour bientôt ».
C’est la prochaine étape dans les plans de PÉKIN pour mettre en place une Air Defense Identification Zone (ADIZ / Zone d’identification de défense aérienne) en mer de Chine méridionale. Or, cette zone, avertit CARPIO, ne peut exister s’il subsiste à proximité du récif de SCARBOROUGH un « trou dans la couverture des radars, missiles et avions de combat de la Chine. » « SCARBOROUGH est la dernière pièce manquante du puzzle pour les Chinois. S’ils parviennent à mettre en place toutes leurs bases militaires, ils pourront totalement exclure militairement les autres pays de la mer de Chine du Sud. »
En mars 2020, la marine chinoise a mené des exercices en mer de Chine du Sud, utilisant pour la première fois des points d’appui dans les Spratleys et déployant des bâtiments de garde-côtes près du récif de SCARBOROUGH (qu’elle occupe depuis 2012), une provocation pour les Philippines. Toujours en mars, PÉKIN a installé deux « centres de recherche » sur les récifs de Fiery Cross et de Subi situés dans les îles Spratleys (revendiquées par les Philippines et le Vietnam). Officiellement, ces laboratoires seraient sous la juridiction de l’académie des sciences chinoise à des fins de recherche écologique, minérale et géologique. En réalité, soupçonnent des experts, une telle installation pourrait être destinée à des recherches plus « stratégiques » concernant la présence dans les fonds sous-marins de pétrole et de métaux rares… Ces deux récifs sont des îles artificielles « poldérisées » sur lesquelles les Chinois ont construit, il y a quelques années, des pistes d’atterrissage d’une longueur de 3 000 mètres où des avions de chasse et des bombardiers peuvent atterrir.
Taiwan reste le « gros morceau » qui n’est pas encore à portée de la Chine. Après la récupération des enclaves européennes de MACAO et HONG-KONG issues de guerres coloniales, le grignotage de la mer de Chine par un mélange de pressions diplomatiques, commerciales et militaires institue un état de fait chinois dans cette zone périphérique de l’Empire du Milieu. Depuis dix ans, cette méthode porte ses fruits et sans coup férir la Chine est en train de conquérir le contrôle d’une zone essentielle pour elle mais aussi pour la région et le monde.
La Libye et l’interventionnisme turc, la guerre aux portes de l’Europe
Depuis la chute du régime de Mouammar KADHAFI en 2011, la Libye est plongée dans un conflit aux multiples fronts, complexifié par la présence accrue d’acteurs internationaux. La Libye, qui dispose des réserves de pétrole les plus abondantes d’Afrique, est déchirée par une lutte d’influence entre plusieurs pouvoirs aussi bien au niveau international qu’au niveau local. En 2014, les libéraux remportèrent les élections législatives. Toutefois, la nouvelle assemblée (la Chambre des représentants) dut se replier dans l’est du pays, sous la pression de la milice Fajr Libya, composée d’éléments proches des Frères musulmans. Ceci conduisit à la formation de deux gouvernements rivaux : l’un, à TRIPOLI dit de « Salut national », l’autre établi à TOBROUK et issu du Parlement nouvellement élu. En décembre 2015, sous l’égide des Nations unies, les deux rivaux signèrent les accords de SKHIRAT (Maroc), lesquels prévoyaient l’installation d’un Gouvernement d’accord national (GAN), dirigé par Fayez el-SARRAJ. Toutefois la Chambre des représentants refusa de reconnaître ce dernier, alors que c’était l’une des conditions préalables à son installation à TRIPOLI.
Depuis, les deux camps s’affrontent dans une lutte pour le contrôle du pays. Plusieurs réunions internationales ont eu lieu pour trouver une solution au conflit et endiguer la spirale de la violence dans laquelle le pays semble s’enfoncer. Cependant la complexité du conflit, la diversité des acteurs impliqués (Turquie, Russie, Égypte, EAU, France, Italie…) et les intérêts divergents (migration, terrorisme, ressources naturelles…) n’ont pour le moment pas permis de trouver une solution durable. Le 21 août, deux communiqués distincts, de Fayez el-SARRAJ et d’Aguilah SALEH (Président de la Chambre des représentants), annoncent un cessez-le feu et la fin des combats sur le territoire ainsi que l’organisation d’élections. La communauté internationale et les acteurs du conflit se sont félicités de cette avancée. Cet évènement reste à confirmer par les actes, les précédents cessez-le-feu s’étant souvent soldés par des échecs et le maréchal HAFTAR a déjà fait savoir que ce cessez-le-feu n’était qu’un « coup médiatique » organisé alors que le GAN prépare une nouvelle offensive.
Les oppositions libyennes internes s’exacerbent par le renfort qu’elles reçoivent de l’étranger. Le Président turc ERDOGAN, en particulier, a vu dans le conflit libyen une occasion d’obtenir des avantages économiques, mais aussi de soutenir l’idéologie des frères musulmans entretenue par TRIPOLI. C’est donc à la fois une action économique, de politique de puissance extérieure, mais surtout de politique intérieure pour rassembler son électorat nationaliste. En novembre 2019, ANKARA et TRIPOLI signent un accord de « coopération militaire et sécuritaire » et un accord de délimitation maritime qui permet à la Turquie de faire valoir des droits sur de vastes zones en Méditerranée orientale, riches en hydrocarbures et convoitées par d’autres pays comme la Grèce et Chypre. Cet accord illégal au regard du droit international a été obtenu grâce à la complicité de Fayez el-SARRAJ[2] et en échange d’un soutien militaire massif. En effet, en janvier 2020, le président ERDOGAN obtient le feu vert des parlementaires pour déployer son armée en Libye.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), ANKARA aurait facilité le départ pour TRIPOLI de combattants venus de Syrie, provenant principalement des rangs de l’Armée syrienne libre (ASL). L’OSDH affirme que la Turquie a également libéré et transféré en Libye des membres de l’organisation État islamique (EI) et d’autres groupes djihadistes. L’envoi de troupes par la Turquie en Libye a inversé les rapports de force dans le conflit.
Grâce à ce nouvel appui, le GAN a pu freiner l’avancée des troupes du Maréchal HAFTAR et reconquérir une partie la côte nord-ouest du pays. Il s’agirait notamment de 17 000 militants syriens, 2 500 Tunisiens qui ont combattu dans les rangs de l’EI à Idlib et ALEP, et d’autres nationalités, dont des Soudanais. La Turquie a également envoyé de 2 500 à 3 000 officiers et experts militaires pour commander les salles d’opérations des troupes du GAN et piloter des drones depuis la base aérienne MITIGA à TRIPOLI. ANKARA aurait également livré par bateau et par avion des cargaisons d’armes et des équipements de défense anti-aérienne pour renforcer TRIPOLI. Pour le comité du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Libye, le pays est en train de devenir un grand marché d’armes à la suite des violations de l’embargo décrété en 2011.
Les soutiens au profit du « gouvernement de TOBROUK » sont plus nombreux, mais semble-t-il moins efficaces à moins que l’intransigeance du Maréchal HAFTAR ne commence à lasser ses alliés ! La Russie avec la société WAGNER, l’Égypte et les Émirats sont les principaux soutiens. Soucieuse de sécuriser ses frontières poreuses, l’Égypte d’Abdel Fattah al-SISSI est un soutien de longue date de Khalifa HAFTAR, qualifié de « rempart contre le terrorisme ». Au fil des années, l’Égypte a attribué de nombreux attentats à des combattants islamistes, qui se seraient introduits sur son sol par cette frontière terrestre, et a déjà mené des frappes aériennes au-dessus de la Libye. En juin 2020, après la progression des forces du GAN sur le terrain et le recul de l’Armée nationale libyenne (ANL), le président égyptien a proposé un cessez-le-feu, prévenant que Le Caire se réservait la possibilité d’intervenir militairement pour stopper toute avancée vers l’Est des forces du GAN. Début juin, le parlement de TOBROUK avait demandé au CAIRE de réagir face à l’avancée des Turcs et au repli des forces du GAN à SYRTE. « Les dangers posés par l’occupation turque représentent une menace directe pour notre pays et pour les pays voisins, surtout pour l’Égypte », avaient insisté les députés pro-HAFTAR en réclamant une intervention égyptienne. LE-CAIRE considère Syrte, qui ouvre l’accès aux gisements pétroliers libyens et est située à mi-chemin entre TRIPOLI à l’Ouest et BENGHAZI à l’Est, comme une « ligne rouge ».
La ville natale de Mouammar KADHAFI est la porte d’entrée des ports exportateurs de pétrole contrôlée par les pro-HAFTAR. Claudia GAZZINI, du cercle de réflexion International Crisis Group, avançait en juin que LE-CAIRE souhaitait, à travers cette attitude belliqueuse, adresser un avertissement « aux Américains », dont l’attitude sur le dossier reste ambiguë, afin de marquer la menace que représente, d’après l’Égypte, la présence accrue des Turcs dans ce pays. Abdel Fattah al-SISSI s’est entretenu le 20 juillet, peu avant le vote du Parlement sur l’intervention en Libye, avec le président américain Donald TRUMP. Les relations avec ANKARA sont tendues depuis qu’al-SISSI est arrivé au pouvoir, en 2013, après avoir destitué Mohamed MORSI, membre des Frères musulmans, soutenus par ANKARA. LE-CAIRE « se méfie du GAN et voit l’implication de la Turquie comme une menace sérieuse », soulignait à la mi-juillet Yezid SAYIGH, directeur de recherche au Carnegie Middle-East Center. Son soutien pour HAFTAR vient « de l’espoir qu’il puisse assurer une frontière commune sûre et stable. » Si l’option d’une guerre frontale face à la Turquie paraît peu probable. En revanche, une entrée de l’armée égyptienne en Cyrénaïque n’est pas exclue « pour des raisons d’image et de réputation. »
Le conflit en Libye, avec ses enjeux économiques, mais aussi idéologiques, est une bouilloire aux portes de l’Europe où s’affrontent beaucoup d’intervenants alors que les Européens, premiers concernés en particulier par la menace des Frères musulmans et la continuité territoriale entre le Sahel et la Méditerranée sont absents. Il est devenu pour le Président ERDOGAN un instrument de démonstration de sa capacité d’agir à l’attention de son électorat nationaliste. La faiblesse des réponses à cette politique volontariste pourrait conduire à une extension du conflit en Tunisie et en Égypte alliés de l’Europe dans le combat contre le radicalisme islamiste sur le pourtour méditerranéen. C’est une sorte de stratégie indirecte qu’il ne faut pas sous-estimer.
En résumé
Les tensions en Ukraine, en mer de Chine et en Libye démontrent que les conflits ne sont pas un objet du futur à redouter, mais qu’ils sont actuels. Elles sont un dosage subtil entre volonté et capacité des antagonistes. La possibilité de les maintenir à leur plus bas niveau de conflit dépend de plusieurs facteurs.
Le premier est celui qui permet d’identifier les modes d’action, le second consiste à marquer une ligne à ne pas dépasser et pour assurer la crédibilité de celle-là d’être capable d’escalader. À cette fin, il faut disposer de capacités en renseignement permettant de suivre l’évolution de la crise et de capacités militaires crédibles sur un large spectre, aussi bien dans le domaine du cyber de plus en plus utilisé que dans le domaine des forces classiques et nucléaires.
Compte tenu de l’éloignement progressif, mais continu des États-Unis, la souveraineté européenne est à rechercher dans ces domaines. Tout dépend bien sûr d’une volonté politique exprimée clairement. Dans ce domaine l’Europe a encore beaucoup de chemin à faire, mais la résurgence des tensions et l’attitude de l’administration TRUMP ont probablement été des accélérateurs de la prise de conscience d’une nécessaire souveraineté européenne. Dans ce contexte, la France peut être un moteur de cette souveraineté. À cet effet, elle doit rester en première ligne dans tous les domaines, tout en restant à l’écoute de ses partenaires, pour éviter le péché d’arrogance qui lui est trop souvent reproché.
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[1] Les « petits hommes verts ».
[2] Dont la famille est d’origine turque.