samedi 14 décembre 2024

Les origines du système régimentaire

« Groupe les hommes, Agamemnon, par pays et par clan, pour que le clan serve d’appui au clan, le pays au pays. Si tu agis ainsi et si les Achéens te suivent, tu sauras qui, des chefs et des hommes, est un brave ou un lâche, puisqu’ils iront par groupes à la bataille ; tu sauras enfin si ce sont les dieux qui doivent t’empêcher d’enlever la ville, ou les hommes par lâcheté et ignorance de la guerre ». (Iliade. II, 362-368)

La cohésion unique en son genre qui existait entre les individus dans une phalange compte pour beaucoup dans la réussite des hoplites grecs qui contraste, en particulier, avec le cas des troupes étrangères. Bien que divisés par des rivalités entre cités, gravement inférieurs en nombre, rassemblés à la hâte et victimes d’une grave trahison, les Grecs attaqués pendant les Guerres Médiques mirent en déroute les envahisseurs orientaux dans presque toutes les batailles terrestres où ils les affrontèrent. Outre la présence des généraux grecs sur le champ de bataille, l’élément clé fut sans doute la camaraderie qui régnait dans les rangs grecs, la confiance qui venait des liens entre les hoplites dans la phalange, ce qui put permettre à Léonidas, à la veille d’un anéantissement certain, quand Xerxès lui dit de rendre les armes, de répliquer simplement au nom de ses hommes : « Viens les prendre ». (Plutarque Mor. 225 D 11).

300_battle_at_the_Hot_Gates.jpgLa confiance dans son chef et dans ses armes, et aussi l’amour de la patrie et l’expérience des batailles passées peuvent, ensemble expliquer pourquoi une armée une fois engagée opère avec succès sur le champ de bataille. Mais cela explique-t-il entièrement pourquoi des individus acceptent de soutenir la vue du combat et d’avancer, dans les dernières secondes, contre les lances de l’ennemi ? Beaucoup d’hoplites grecs, il est vrai, ont pu se trouver en état d’ébriété, mais l’usage de la boisson était moins nécessaire pour convaincre un hoplite de charger que pour aider son cœur à supporter cette perspective. Je suggère que les soldats de la cité affrontaient la charge de l’ennemi à cause de leur général et à cause des hommes placés à leurs côtés, de leur volonté de les protéger des coups de pointe de l’ennemi, de la honte qu’ils auraient eu de se conduire en couards devant eux. L’idéal de l’homme brave, à leurs yeux, était le héros du vieux poème de Callinos (I, 20-22) :

« S’il vit, voyant partout croître sa renommée,

Rempart de son pays, mortel égal aux dieux,

On le contemple seul, il vaut seul une armée. »

(Traduction de Firmin Didot).

 

Après des entretiens approfondis avec des combattants américains, des chercheurs conclurent, après la Seconde Guerre Mondiale, que la raison pour laquelle les hommes combattaient venait d’une « adaptation pratique au combat comportant une faible part d’idéalisme ou d’héroïsme, dans laquelle les éléments qui se rapprochent le plus du stéréotype conventionnel de l’héroïsme du soldat passent par l’étroite solidarité du groupe confronté au combat. » (Stouffer p. 112). En bon français : les hommes disent qu’ils se battent pour protéger leurs camarades à côté d’eux. S’il en est ainsi, nous ne devons pas être surpris, par exemple, de ce qu’Alcibiade, le général athénien novateur, n’ait pas pu fondre en une seule armée deux phalanges distinctes à Lampsaque, en 409. Des hommes que n’unissait aucun lien de sang et qui n’avaient pas d’expérience commune du combat n’étaient guère disposés à s’unir en formation dans les rangs serrés de la phalange : « Les soldats du premier contingent », dit Xénophon (Hell. I, 2, 15), « ne voulaient pas être mêlés avec ceux de Thrasyllos ; ils n’avaient jamais été vaincus, disaient-ils, les autres étaient arrivés après une défaite. » Dans son récit de ses combats pendant la guerre du Pacifique, William Manchester écrivait (p. 391) : « Ces hommes dans le rang étaient ma famille, ma maison. Ils étaient plus proches de moi que je ne puis le dire, plus proches qu’aucun ami ne l’avait jamais été ou ne le serait jamais. Ils ne m’avaient jamais laissé tomber, et je ne pouvais pas leur faire ça. Je devais être avec eux au lieu de les laisser mourir et de rester en vie en sachant que j’aurais peut-être pu les sauver. Les hommes, je le sais aujourd’hui, ne combattent pas pour un drapeau, un pays, pour le corps des Marines ou pour la gloire ou pour quelque autre abstraction. Ils combattent l’un pour l’autre. »

Il y avait deux facteurs propres à la seule bataille dans la Grèce classique qui tendaient à créer des liens exceptionnels parmi les soldats, au point qu’il n’est nullement exagéré de dire que ces relations entre les hoplites de la phalange étaient plus fortes que toutes celles que connurent jamais des fantassins dans la longue histoire de la guerre terrestre en Occident. D’abord, l’armement et la tactique de la phalange antique étaient de manière idéale en phase avec les idées de loyauté et d’amitié. Combattre ensemble en colonne au lieu de se déployer en ligne avait pour résultat que tous les hommes se trouvaient physiquement très proches les uns des autres. Un moment de bravoure d’un soldat ou une défaillance qui le faisait se conduire en lâche étaient visibles de tous ceux qui combattaient en rangs et en colonne derrière lui, devant lui et à côté de lui :

« Mais fiers, unis, serrés, les guerriers généreux

Meurent en petit nombre, et leur mâle constance

Sauve encore les soldats qui marchent après eux. »

(Tyrtée II, 11-13).

Mais si les hommes tremblent, c’en est fini de la vaillance de toute l’armée :

« Comment dire l’affront, le remords, la misère,

Qui sont du vil guerrier le cortège odieux ? »

(Tyrtée II, 15-16).

De même, comme le remarquait Thucydide, la nature de l’équipement de l’hoplite, en particulier le bouclier, rendait obligatoire que chacun devînt dépendant de l’homme à sa droite pour la protection de son côté droit, Les soldats n’étaient pas seulement mis en rangs serrés avant la bataille, mais on attendait aussi d’eux qu’ils demeurent dans cette position en formation compacte une fois la bataille commencée. A la vérité, on devait souvent, en fait, se toucher, se heurter, se faire trébucher, se pousser dans cette masse d’hommes, puisque chacun cherchait une protection qui le garde pendant toute la bataille, puisque chaque hoplite cherchait moins à voir ou à entendre ses amis qu’à « sentir » ceux qui étaient à ses côtés. Plutarque (Mor. 220 A 2) nous rappelle que les hoplites portaient leur casque et leur cuirasse pour eux-mêmes, mais qu’ils portaient « le bouclier pour la protection commune de la ligne tout entière. » Tout homme qui échouait à tenir la place qu’on lui avait assignée, et donc à offrir une protection à l’homme qui était à sa gauche, était bientôt découvert et démasqué comme lâche.

Importait aussi l’absence, dans l’infanterie lourde, de toute spécialisation au combat. Tous étaient armés à l’identique, avec une lance et un bouclier, et il n’existait donc aucune possibilité de ressentiment contre les plus talentueux ou les plus favorisés à qui l’on donnait comme dans la bataille moderne des tâches ou des armes spéciales avec un plus grand prestige et une moindre exposition dans le combat. Dans la bataille grecque, il n’y avait pas de mitrailleurs, d’observateurs, de pointeurs, d’opérateurs radio, de fusiliers, de spécialistes du lance-flammes, ni aucun membre des innombrables autres catégories de soldats de l’armée de terre à l’époque moderne. Au contraire la conscience que tous les hommes de la classe des hoplites avaient un armement uniforme éliminait la rivalité et la jalousie en donnant à chacun un étonnant sentiment de supériorité, en tant que groupe, sur ceux qui n’appartenaient pas à la phalange — les tirailleurs à l’équipement léger dont l’infériorité était évidente, qui souvent n’avaient pas de terre et à qui manquait l’armure lourde.

La nature particulière de l’espace et du temps sur le champ de bataille grec garantissaient que les hommes dans le rang n’auraient ni le désir ni la possibilité de se séparer une fois commencé l’affrontement avec l’ennemi. A la différence des batailles des époques ultérieures où le combat pouvait continuer sur des kilomètres d’étendue sous forme d’engagements isolés et d’escarmouches, où l’on pouvait jeter des réserves qui, étant elles-mêmes composées d’étrangers, ne savaient rien du combat qu’avaient livré leurs camarades des heures ou même des jours plus tôt, et où les hommes pouvaient rompre pour se former en petits groupes afin d’y trouver une plus grande sécurité aussi bien pendant une progression que lors d’une retraite, les hoplites, eux affrontaient toujours l’ennemi en tant que groupe, au même moment et à peu près au même endroit. Bien que cela eût pour résultat une concentration brutale de la tuerie dans un espace étroit, l’on comprenait néanmoins toujours que la victoire ou la défaite était due uniquement aux hommes que l’on avait à ses côtés et se décidait dans le choc au corps à corps, facteur qui encourageait une unité exceptionnelle entre les hommes formant la phalange. A la vérité, Kellet, lorsqu’il jetait un regard rétrospectif sur la bataille aux XIXème et XXème siècles dans son étude sur les motivations au combat, remarquait (p. 137) que les formations en ordre serré, comme le rang ou le carré, possédaient de puissantes propriétés coercitives à la fois sociales et physiques : les hommes se faisaient mutuellement confiance pour tenir bon parce que, s’ils ne le faisaient pas, les conséquences pouvaient être terribles.

Grec3.jpgEt peut-être n’a-t-il jamais existé aucune formation dont l’ordre soit aussi rigoureusement « serré » que celui de la phalange grecque. Nous pouvons comprendre pourquoi les dernières paroles que Thémistocle est censé avoir adressées à ses hommes avant la bataille de Salamine contre les Perses devinrent si populaires chez les Athéniens des époques postérieures. L’on rapporte qu’il avait vu se battre des coqs de combat et que, s’efforçant d’inciter ses hommes à avancer, il s’inspira de cette scène : « Ces animaux », dit-il, « ce n’est ni pour leur patrie, ni pour les dieux de leurs pères, ni en vérité pour leurs héros ancestraux qu’ils souffrent, ni pour la gloire, ni pour la liberté, ni pour leurs enfants, mais chacun pour n’être pas battu par un autre et céder devant lui. » (Elien Var. Hist. II, 28).

Le second point et le plus important, est la nature particulière des liens entre les hommes de la phalange. A la différence de la plupart des armées modernes, les liens entre les hoplites n’avaient pas leur origine dans le service militaire ou les semaines d’entraînement partagé dans un camp. Ils étaient l’extension naturelle d’amitiés et de parentés anciennes du temps de paix. Autant que nous le sachions, dans presque toutes les cités les hoplites étaient déployés dans leur phalange par tribu et, très vraisemblablement, ils connaissaient fort bien les hommes de leur ville ou de leur dème. Qu’ils se soient fréquentés dans les associations politiques, religieuses et rituelles ou même soient parents, renforçait encore ces liens qui les unissaient quand ils combattaient côte à côte dans la phalange. Chaque subdivision de la phalange combattait pour protéger des hommes qui se connaissaient depuis l’enfance : il était, par conséquent peu probable qu’ils jettent leur bouclier et mettent ainsi en danger des amis et des parents.

De nombreux témoignages explicites des textes grecs montrent que les contingents constituant la phalange étaient mis en ligne d’après le critère de l’appartenance à une tribu et que, d’autre part, les hommes connaissaient bien les soldats du rang qui venaient de leur propre communauté (cf. e. g. Lysias XVI, 15, XIII, 69 ; Thucydide VI, 98, 4, VI, 101, 5 ; Aristote Ath. 42). Nous ne serons donc pas dans l’erreur en supposant que, chaque fois que la phalange marchait au combat, les hommes connaissaient exactement la place qui leur était assignée dans la formation aussi bien que leurs parents et amis qui servaient devant eux, derrière eux et à côté d’eux. Par exemple, Cimon, à son retour d’exil, rejoignit ses camarades athéniens quelques instants avant la bataille de Tanagra. Il prit immédiatement sa place parmi les hommes de sa tribu, des hommes qui apparemment l’attendaient en tenant prêtes ses armes et son armure (Plutarque Cim. 17 ; Frontin Strat. 4, 1). Même après une absence prolongée, il savait exactement où se ranger dans la phalange. Oman écrit (t. II, p. 256) à propos de l’organisation similaire de la phalange suisse : « Il n’était pas nécessaire de gaspiller des jours aux tâches fastidieuses d’organisation quand chaque homme avait sa place parmi ses parents et ses voisins sous la flamme de sa ville, de sa vallée ou de sa confrérie. »

Selon Plutarque (Arist. 5), Aristide et Thémistocle combattirent tout près l’un de l’autre au centre, soumis à une forte pression, de la ligne de bataille athénienne qui soutint le choc de l’attaque perse à Marathon. Ce voisinage dans une grande bataille eut lieu, nous dit-il, parce qu’ils appartenaient respectivement aux tribus Léontis et Antiochis d’où venaient les deux contingents composant le milieu de la phalange athénienne. Les personnages de haut rang combattaient comme des hoplites ordinaires aux côtés d’hommes qu’ils connaissaient depuis des années. Et il semble que ce soit vrai aussi en dehors d’Athènes. Lorsque les Athéniens s’emparèrent des registres militaires des Syracusains en Sicile, en 415, ils furent ainsi en mesure de connaître l’effectif et la nature des forces ennemies puisque leurs listes d’hoplites étaient établies par appartenance à une tribu. L’importance de ces associations en tribus dans la plupart des cités grecques est également évidente d’après les listes des pertes que nous possédons sur des inscriptions et les références, dans la littérature grecque, aux morts des batailles. Par exemple, l’on dit qu’Epaminondas fut réticent à reformer sa phalange thébaine après une bataille qui avait coûté cher en vies humaines parce qu’il craignait que ses hommes ne perdent courage en s’apercevant d’assez grands vides dans les rangs (Polyen Strat. II, 3, 11). C’était, semble-t-il, l’habitude que les colonnes décimées ne soient pas reconstituées aussitôt. Au lieu de quoi, les hommes avançaient d’un cran pour prendre la place des disparus, très vraisemblablement des amis ou des parents dont tout le monde à l’entour remarquait la perte. Comme, à l’époque classique, les armées n’étaient pas nombreuses d’après les critères modernes, il est vraisemblable que chaque homme connaissait les membres du contingent de sa tribu, sinon tous les membres de la phalange. Xénophon (Hell. VII, 4, 24) relate la triste histoire des Spartiates à qui leurs adversaires Arcadiens avaient infligé un revers : les vaincus furent encore plus abattus après la défaite « en entendant les noms des morts, gens de valeur, et la plupart des plus considérés. » Apparemment, la plupart des Spartiates de la phalange connaissaient tous les hommes qui étaient tombés. Nous entendons parler ailleurs de pertes particulièrement sévères dans une tribu particulière (cf. e. g. Lysias XVI, 15), ce qui donne à penser que ses membres devaient se trouver en un point de la ligne de bataille où se produisit un effondrement localisé ou qui fut simplement submergé par une concentration d’effectifs supérieure.Les états des pertes que l’on relevait, à l’ordinaire, par tribu indiquent qu’après la bataille, c’était la responsabilité de chaque tribu de ramasser ses morts et d’en envoyer le chiffre à la cité. A Athènes et dans d’autres cités grecques, Mantinée, Corinthe, Argos, nous avons des inscriptions sur pierre portant la liste des morts par tribu (cf. e. g. IG II 2 929, 931, 943; Pausanias I, 32, 3; cf. aussi Pritchett t. IV, p. 138-243). Il est vraisemblable que les hommes dont on avait enregistré le nom pour la postérité selon leur appartenance à une tribu combattaient également, à l’intérieur de la phalange, dans les contingents de ces tribus.

L’on peut trouver des preuves de la camaraderie entre les hommes d’une tribu et même entre ceux d’un même dème dans quelques passages des orateurs attiques. Un discours attribué au grand orateur athénien Lysias (XX, 23) suggère que les hommes du même dème témoignaient du nombre de batailles où un homme de leur localité avait réellement combattu. Ces hommes avaient une curiosité pour les actions de leurs concitoyens. Dans un autre discours (XVI, 14), Lysias dit clairement que ceux qui appartenaient à un même dème se rassemblaient avant de partir en campagne. Isée, autre orateur attique et qui fut le maître de Démosthène, semble aussi confirmer cette même image qui veut que ceux de la phalange aient connu non seulement les hommes de leur tribu qui combattaient à côté d’eux pendant le déroulement de la bataille, mais aussi leurs voisins dans tous les rangs. L’homme qu’il fait parler (II, 42) rappelle à son auditoire qu’il a combattu avec les gens de sa tribu et son dème. De Théophraste (25, 6) vient l’histoire bien connue du lâche qui appelle les hommes de sa tribu et de son dème pour qu’ils voient comment il a ramené un blessé au camp: il connaissait, semble-t-il, ces hommes intimement et attachait un grand prix à leurs louanges. A Sparte, ceux qui partageaient le repas commun étaient sans doute aussi rangés côte à côte dans la phalange de façon que leurs liens du temps de paix se retrouvent aussi dans la bataille (Plutarque Lyc. 12, 3 ; Polyen Strat. II, 3, 11 ; Xénophon Cyr. II, 1, 28). Et à Leuctres, Sphodrias ainsi que son jeune fils tombèrent ensemble dans le massacre général sur l’aile droite, autour du roi Cléombrotos (Xénophon Hell. VI, 4, 14), ce qui indique une fois de plus que les proches parents combattaient côte à côte. Des siècles plus tard, Onasandre, du Ier siècle ap. J. C., jetait un regard rétrospectif sur l’histoire de la guerre en Grèce et concluait (24) que les hommes se battent mieux quand ils sont rangés « les frères près des frères, les amis près des amis, les amants près des bien-aimés. »

Ces liens extraordinairement forts entre les hoplites constituaient simplement les relations normales de presque tous les combattants dans les phalanges de la plupart des cités grecques. Ils ne présupposent pas d’entraînement spécialisé exceptionnel ou d’effort concerté pour former un corps d’élite. A l’occasion, nous entendons parler de corps triés sur le volet à Syracuse, à Thèbes et dans diverses cités du Péloponnèse, et nous pouvons seulement présumer que le moral et les liens de ces hommes étaient encore plus exceptionnels (cf. e. g. Pritchett t. II, p. 221-224). Dans toute la Grèce, il est prouvé que les amitiés homosexuelles étaient un facteur qui contribuait au moral d’une unité. A Sparte, par exemple, la séparation des sexes à un jeune âge ainsi que les attitudes propres aux autres Grecs sur le rôle des femmes avaient pour résultat des relations homosexuelles circonscrites à la vie dans les camps. Sans nul doute, des liens si forts persistaient jusque sur le champ de bataille et doivent contribuer à expliquer l’héroïsme spartiate, tout particulièrement dans les glorieuses défaites qui vont des Thermopyles, en 480, à Leuctres, en 371, où des hommes préférèrent l’anéantissement à la honte de la fuite. Pourtant, l’on ne trouve pas l’exemple le plus extrême chez les Doriens, mais plutôt à Thèbes : le Bataillon Sacré composé de 150 couples homosexuels, chose inconnue même à Sparte, combattit héroïquement pendant 50 ans environ dans les batailles les plus terribles que livra la cité et fut exterminé jusqu’au dernier homme à Chéronée, en 338. Philippe fut frappé par le spectacle de ces amas de cadavres entassés deux par deux (Plutarque Pél.18-19, Mor. 761 a-d ; Xénophon Symp. 8, 32).

Spartiate.jpgL’égale tension régnant parmi les amis et les parents à l’intérieur de la phalange grecque venait d’une fierté que tous les hommes partageaient en affrontant ensemble le danger. La bataille livrée dans ces conditions éliminait les troupes des unités de l’arrière qui n’entrent jamais dans le déroulement du combat — ces « combattants » que les soldats, de nos jours, regardent souvent de haut et qui sont la source de dissensions permanentes dans l’ensemble de l’armée. « Les règles pour être un homme sont ici explicites« , écrit Stouffer (p.135). « Le soldat de l’arrière suscite l’hostilité et le dédain parce qu’il fait un usage abusif de l’autorité personnelle que donne l’armée et ne parvient pas à faire partie de la communauté et à partager ses sentiments. » Ce lien forgé par les combats livrés ensemble est une évidence même aujourd’hui. Des années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les vétérans américains des divisions cuirassées de la Troisième Armée pouvaient encore rappeler avec une fierté non déguisée : « J’ai roulé avec Patton. » Leur état d’esprit ressemble d’une manière obsédante à celui des vieux hoplites athéniens vétérans de la charge au pas de course (c’était une nouveauté) de Marathon. Bien plus tard, pour rappeler à un public plus jeune l’expérience de cette bataille légendaire à laquelle ils avaient pris part, il leur suffisait de dire simplement : « Nous avons courru. »

Victor Davis Hanson

In Le modèle occidental de la guerre

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