Le général Jean-Paul Paloméros qui remplacera en septembre le général Abrial (armée de l’air aussi) à la tête du Commandement suprême allié Transformation (ACT) de l’OTAN à Norfolk, a été auditionné le 17 juillet 2012.
Quelles sont les informations à retenir de cette audition ?
1) Le déficit capacitaire du transport aérien est béant puisque 25 à 30 % de cet exigeant contrat sont seulement satisfaits.
2) L’armée de l’air a contribué aux réformes mises en œuvre dans le cadre du Livre blanc de 2008 et de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : une douzaine d’implantations ont été fermées, dont huit en métropole Le format de l’aviation de chasse a été réduit d’un tiers, soit d’une centaine d’appareils (Note du rédacteur : le CGA Ychet estime dans le Point cependant que cette force aérienne peut encore être réduite dans le cas d’un partage des rôles pour une projection, voir aussi mon billet du 17 août 2012).
3) Les deux tiers de l’objectif de 16 000 suppressions de poste entre 2008 à 2015 ont été atteints. Comme pour les autres armées, les derniers milliers de postes à supprimer sont évidemment les plus difficiles à trouver, le CEMAA considérant que les volontés réformatrices sont peut-être allées au-delà du raisonnable.
4) Le flux de recrutement à un certain niveau a été maintenu avec le recrutement annuel de 1 500 personnes tandis que l’armée de l’air perd environ 4 000 personnes (départs à la retraite, volontaires ou assistés moyennant pécule).
5) La loi de programmation militaire de 2008 a été construite sur l’hypothèse optimiste de l’exportation du Rafale à court terme (2011-2012). L’armée de l’air est contrainte de trouver des mesures de grande échelle afin de pallier à court terme les déficits de son exportation dans les délais prévus (voir rapport sur la LPM de la Cour des Comptes du 11 juillet 2012).
6) La prévention des crises conduit au prépositionnement (six Rafale de façon permanente aux Émirats Arabes Unis, Djibouti).
Quel est l’état de l’armée de l’air selon le chef d’état-major ?
1) Fatigue devant les réformes. Nos armées sortent assez fatiguées des réformes en cours qu’elles ont dû mener en même temps que leurs opérations militaires. Les réformes avaient pour buts la modernisation et l’amélioration des conditions d’exercice du métier. Le moral des hommes reste contrasté avec parfois le sentiment d’un manque de reconnaissance ou un doute quant au fait de savoir si les réformes qui ont été mises en œuvre suffiront.
2) Disponibilité des matériels. En Libye, le taux de disponibilité des avions de chasse avait atteint 90 à 95%. Aujourd’hui, cette disponibilité s’échelonne, selon l’âge des flottes, de 40 à 60% environ. Certaines des flottes ont quarante ou quarante-cinq ans d’âge. En outre, les besoins de maintien en condition ont été un peu sous-estimés « peut-être volontairement ». Il s‘agit désormais de combler le déficit structurel initial.
3) Vieillissement des ravitailleurs en vol. ceux-ci ont une moyenne d’âge d’une cinquantaine d’années ce qui représente une incontestable faiblesse notamment pour la mission principale et vitale qu’est la dissuasion mais aussi pour la mission d’intervention. Pour la Libye, 80% des missions de ravitaillement ont été assurées par les Américains, la France étant néanmoins le deuxième contributeur.
4) Rénovation des radars. Dans le but de les porter aux meilleurs standards technologiques, elle a été retardée et pose dès lors un réel problème pour la mission qu’est la souveraineté de l’espace aérien national.
5) Transport aérien. L’armée de l’air a un besoin urgent de l’A400M. La France sera cependant le premier pays à posséder cet avion en 2013 avec le défi que cela représente.
6) Coopération internationale. Afin de construire une coopération stratégique efficace et de résoudre un éventuel problème budgétaire, le CEMAA considère qu’il faut élaborer le nouveau Livre blanc de concert avec nos partenaires européens. Il est toutefois difficile de coopérer en particulier avec les Britanniques tant leurs projets sont avancés.
Que puis-je en déduire ?
1) Le CEMAA est sans doute le chef d’état-major qui a exprimé la vision la plus optimiste sur la situation de son armée sans en négliger les faiblesses.
2) Pourtant, comme d’autres personnalités auditées, il a rappelé le poids des réformes sur les effectifs, soulignant d’ailleurs l’impact du retour dans l’OTAN en terme de postes à armer de haut niveau ou de la montée en puissance de la base d’Abu Dhabi, contraintes qui se sont ajoutées à la recherche des effectifs à supprimer. « Gérer les ressources humaines ne consiste pas simplement à se préoccuper des chiffres : il faut aussi prendre en compte les compétences ». De fait, les réformes ont entraîné la suppression d’emplois moins qualifiés plutôt que d’emplois de sous-officiers ou d’officiers.
3) Certains objectifs sur les contrats opérationnels conventionnels de l’armée de l’air semblent aussi hors d’atteinte pour la Cour des comptes (Cf. Mon billet du 22 juillet 2012). Ce n’est pas la position du CEMAA qui estime que l’armée de l’air est capable d’intervenir dans les scénarios les plus contraignants. Le défi reste celui de la durée qui rend cependant les contrats les plus exigeants hors de portée.
4) Je remarque que l’externalisation est considérée comme positive si elle permet de dégager des moyens pour d’autres missions (externalisation de la flotte d’avions d’entraînement à Cognac). En revanche, l’expérience montre qu’elle est discutable dans des domaines tels que la restauration ou le soutien. L’externalisation engendre une perte de souplesse car les personnels des sociétés privées ne sont pas disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sauf à le préciser dans le contrat et à en subir les coûts élevés. Il y a donc un juste milieu pour que les forces puissent agir avec cohérence et efficacité. Un des problématiques essentielles des réformes en cours est bien de permettre aux armées d’agir en toute autonomie ce qui semble devenir à terme de moins en moins le cas.
5) Enfin une interrogation me reste car j’ai peu trouvé de retour d’enseignement notamment suite à l’engagement aérien en Afghanistan. La capacité aérienne, Rafale et Mirage 2000 dont nous disposons aujourd’hui, est-elle bien adaptée aux guerres de contre-insurrection, au milieu des populations et dans les villes ? Ne serait-il pas intéressant d’envisager des aéronefs plus adaptés à ce type de conflit, type A10 américain qui a largement fait ses preuves en appui aux forces terrestres, mieux protégés, moins coûteux par exemple que le Rafale et pourquoi pas, étant moins sophistiqués plus rapidement disponibles en cas de besoin ou d’évolution de la menace ?