Semaine où quelques faits m’ont interpellé tout en œuvrant sur la question de l’utilité d’une armée au XXIe siècle. En effet, j’ai donné une conférence à Fréjus au profit des Amis du musée des Troupes de Marine (CF. AAMTDM) sur le thème « Une armée pour quoi faire au XXe siècle ? ». Sujet choisi il y a quelques mois (et qui peut intéresser d’autres associations, me contacter), la réponse est assez évidente depuis le 7 janvier mais l’attitude de Disney ou des hauts fonctionnaires de Bercy montre que rien n’est acquis.
Honte à Disney Paris et pauvre Mickey
Le Huffington Post a repris sur son site cette dépêche de l’AFP (Cf. Huffington Post du 13 mars 2015) : « Malgré le soutien de l’État, une centaine de militaires mobilisés pour Vigipirate, qui voulaient visiter Disneyland Paris à tarif réduit lors de leur jour de permission, se sont vus opposer une fin de non-recevoir ». Un dirigeant du Parc a rappelé que la première attraction touristique d’Europe n’avait « pas d’accords particuliers » avec l’administration à propos de ces hommes stationnés en région parisienne dans le cadre de Vigipirate … qui protègent le parc et lui permettent de faire du business ! Pauvre Mickey qui doit être affligé d’un tel comportement.
En effet, je me permettrai de rappeler une anecdote vécue. En 2011, il m’a été possible de me rendre aux parcs de loisirs en Floride, notamment à Disneyworld. Me présentant comme militaire français, j’ai bénéficié automatiquement de prix réduits comme c’était le cas dans beaucoup de magasins qui l’affichaient sans honte sur leurs vitrines. Il serait impensable pour un Américain de ne pas rendre hommage à sa manière à ceux qui le défendent. Et les Français ?
Finalement, Disney Paris exprime bien ce que les militaires français subissent souvent depuis des années. Oui, « on vous aime bien » tant que vous restez dans votre coin, que vous ne demandez rien et surtout acceptez votre déclassement social et affaiblissement budgétaire. Et le budget ne répond pas à toutes les attentes du soldat !
Je pense néanmoins que ce dirigeant du parc devrait être sanctionné. A défaut, la direction de Disney Paris devrait faire un geste fort et public envers les militaires qui assurent la protection de ce parc accueillant 14 millions de visiteurs par an.
Pour en revenir à la sécurité intérieure, les armées assurent actuellement la protection de 682 sites (Cf. L’Opinion du 11 mars 2015). Près de la moitié (330) sont situés en Ile de France. Les 10 000 militaires devraient être déployés jusqu’au 1er juillet, ce qui devrait cependant poser quelques difficultés comme cela est rapporté çà et là sur le terrain. Les services au quotidien fonctionnent au ralenti et les conditions de vie des militaires se dégraderaient.
Quel budget pour une puissance militaire comme la France ?
La Défense aura ses effectifs renforcés (Cf. Jean Guisnel, Le Point du 13 mars 2015). 18 500 postes devraient être maintenus suite au conseil de défense du 11 mars. C’est effectivement nécessaire.
Selon la lettre du chef d’état-major de l’armée de terre (Janvier-février 2015), l’armée de terre déploie aujourd’hui 27 500 hommes sur des effectifs de moins de 100 000 hommes, soit 10 500 sur le territoire national, 12 500 hors métropole et 5 000 en alerte. Mieux vaudrait ne pas avoir un autre théâtre d’opération.
Ces postes maintenus et c’est une bonne nouvelle doivent cependant être financés. Cela implique la remise à plat des choix budgétaires de la programmation militaire avant l’été … et les combats retardateurs habituels de Bercy. Rappelons que, pour atteindre les 31,4 milliards d’euros du budget de la défense, il était déjà impératif d’y inclure 2,2 milliards d’euros de « ressources exceptionnelles », non satisfaits à ce jour.
Celles-ci devaient notamment être abondées par la vente de fréquences radio, ce qui ne pourra pas se produire avant 2016 dans le meilleur des cas. Suscitant à nouveau l’opposition de Bercy, la Défense propose aussi la création de sociétés de projet pour 2,2 milliards d’euros, qui seraient ensuite loués aux armées (Cf. Lignes de défense du 14 mars 2015 Lire le commentaire de Guillaume Fonouni-Farde, maître de conférences à Sciences-Po pour en savoir plus. Cela peut entraîner un vrai débat).
Enfin, il ne faut pas ignorer le coût des OPEX, hors territoire national, qui s’ajoute à celui de la défense en général. Ce budget a été sous-évalué en 2015 (Cf. Le Figaro du 23 février 2015) et fixé à 450 millions d’euros. Artifice budgétaire si l’on se réfère à 2014 où elles ont coûté 1,13 milliard d’euros. En outre, même avec un collectif budgétaire, une partie reste à la charge des Armées comme l’a constaté la Cour des comptes. La Défense a dû renoncer à 100 millions sur ses crédits d’équipement en 2014.
Une lueur potentielle d’espoir est peut-être apparue avec une prise de conscience politique de l’insuffisance budgétaire. Ainsi, j’ai eu l’opportunité d‘entendre Bruno Le Maire proposer récemment que la part du PIB consacrée à la défense soit de 1,8%. Un consensus politique peut-il être envisageable sur ce point ? Chaque parti doit se positionner et s’engager. Il est temps.
Armée européenne fédérale et défense de l’Europe
Le président de la commission européenne s’est prononcé pour une armée fédérale (Cf. La Tribune du 8 mars 2015). Il est vrai qu’un conseil européen sur les questions de défense est prévu en juin prochain.
Un excellent dossier de l’IFRI (Printemps 2015) vient d’être publié sur la défense européenne et donne quelques chiffres significatifs. En 1990, les dépenses correspondaient en 1990 à 2,7% du PIB et en 2013 1,35% (Sipri) – France 1,53% hors pensions, résultats sans aucun doute des dividendes de la paix demandés dès 1990 par exemple par un actuel ministre des affaires étrangères. Ce sont aussi moins de 500 000 soldats en moins entre 2006 et 2012.
Quant aux missions, finalités d’une défense, pour reprendre Vivien Pertusot, « L’Union européenne traite des tâches de Petersberg (…) mais la hard security reste dans le pré carré de l’OTAN ». L’OTAN fait la cuisine, l’Union européenne fait la vaisselle. Je dirai que chacun est bien à sa place et que rien n’a changé.
Et si j’ajoute que M. Juncker, ressortissant d’un Etat « financier » et pratiquement sans armée, souhaite une plus grande intégration militaire, je crains que cela ne soit toujours les mêmes Etats qui travailleront pour un « roi de Prusse » quelconque. Heureusement que Londres s’oppose catégoriquement à toute idée d’une plus forte intégration en matière de défense, mais on ne s’étonnera pas l’Allemagne soutienne cette initiative.
Que M. Juncker obtienne déjà que les budgets consacrés à la défense n’entrent pas dans le calcul du déficit public, là nous pourrons l’écouter. En attendant, qu’il s’occupe de l’économie européenne et du retour de la croissance.
Pour conclure, le retour d’une vieille amitié militaire franco-américaine
Période effectivement faste entre militaires américains et français comme l’a montrée cette rencontre dans le golfe arabo-persique (Cf. aussi Mon billet du 16 février 2014, partie « Une alliance franco-américaine rénovée ? »). Quand une nation a des capacités militaires entrainées et équipées, elle peut être le partenaire fiable d’une grande puissance, en l’occurrence des Etats-Unis, et peser encore sur les relations internationales. Etre capable par exemple de déployer un groupe aéronaval (ce que les Britanniques ne peuvent plus faire), n’est-ce pas le résultat d’une politique de défense crédible et payante malgré les sacrifices mais aujourd’hui qui a atteint ses limites par un affaiblissement progressif ?
Je retiendrai cependant cette phrase du général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, en visite sur le Charles-de-Gaulle dans le Golfe : « Vous pouvez demander aux militaires de gagner la guerre, pas de gagner la paix », beau sujet pour un concours militaire sinon même civil (Cf. Le Monde du 11 mars 2015).
Une armée ne peut pas tout faire mais elle contribue à la recherche d’une solution dès lors que ses moyens sont suffisants. A méditer sans aucun doute.