vendredi 29 mars 2024

Une nécessaire approche globale de la sécurité intérieure : quelle place pour les forces armées ?

Une nécessaire approche globale de la sécurité intérieure : quelle place pour les forces armées ?

Maintenant que la fièvre est tombée, il me semble nécessaire de revenir sur l’appel à l’armée fait le jeudi 30 août par Samia Ghali, sénatrice de la majorité présidentielle pour qu’elle intervienne dans les quartiers Nord de Marseille. Je m’étais déjà ouvert sur cette problématique de l’intervention militaire sur le territoire national dans un article dans Le Monde du 13 juillet 2011 et dans une chronique sur le Monde.fr du 18 septembre 2011 (Les armées peuvent-elles avoir un rôle social ?).

Cet appel est-il l’expression d’un sentiment d’exaspération, sinon d’impuissance ? Sans aucun doute et je donnerai quelques pistes de réflexion. La gendarmerie assure la sécurité de 50% de la population sur un espace représentant 95% du territoire national, 34 800 communes sur 36 500. Son efficacité n’est pas contestée. En revanche la police déployée sur 5% du territoire essentiellement en zone urbaine, dans 1700 communes, ne semble plus en mesure de remplir sa mission. Elle n’est ni respectée, encore moins crainte par les voyous. Ses rapports avec la justice constituent sans doute une partie de la réponse et le débat n’est pas près d’être clos. Je pense aussi qu’elle a perdu la confiance d’une grande partie des citoyens. Cela ne préjuge pas de la qualité de l’engagement de la majorité de ses personnels mais des faits divers récents peuvent justifier ces doutes.

Ensuite, les morts d’homme par armes de guerre comme à Marseille, y compris après l’annonce de la sénatrice Samia Ghali, montre que la délinquance a franchi un cap. Faut-il armer la police d’armes équivalentes pour y répondre car la question se pose (Cf. Mes billets des 25 août 2011 et 26 août 2011, Vers une « militarisation » accrue des forces de sécurité ? Rééquilibrer le pouvoir des ministères au sein des institutions républicaines). Je ne crois pas que cela soit la meilleure des solutions.

Ainsi, dans ce contexte, est-il illégitime de demander l’intervention de l’armée sur le territoire national ? Je ne le crois pas et je me dois de réagir à deux propos, ceux de Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire de Marseille et ceux de Manuel Valls, ministre de l’intérieur. L’un et l’autre ont évoqué verbalement le cadre de l’intervention militaire comme étant à rejeter car il n’y avait pas d’ennemi, encore moins intérieur. Il faut d’abord savoir que cela fait bien longtemps que les militaires n’ont plus d’ennemis mais au mieux des adversaires. Ensuite, problème, lorsqu’un ministre de l’intérieur utilise comme cette semaine sur RTL l’expression de « guerre contre la drogue », peut-on imaginer une « guerre » sans ennemi ? Paradoxe qui devrait quand même faire évoluer les schémas de pensée. Enfin, il faut intégrer que la problématique qui nous est posée est celle de la sécurité intérieure en zone urbaine étendue.

Par ailleurs, le débat sur l’intervention militaire incite à rappeler à quoi sont utilisés nos soldats sur le territoire national, hors catastrophes de tout type : d’abord à Marseille, faut-il évoquer le rôle lors d’une grève des éboueurs de nos conducteurs légionnaires intervenus à la demande du sénateur-maire ? Sur l’emploi de nos forces, que font-elles en Guyane en subissant malheureusement des pertes récentes ? Enfin, et ce n’est pas la moindre des contradictions, on peut lire dans le Monde du 29 août 2012 que le préfet de Haute-Corse a décidé de mobiliser contre les incendiaires des effectifs du 2e régiment étranger de parachutistes basé à Calvi. Aurions-nous des ennemis en Corse ?

Alors, devrions-nous intervenir dans les banlieues ? Certainement pas … sans avoir des réelles conditions de succès et uniquement pour rétablir une situation sécuritaire réellement compromise, et cela dans le cadre des lois existantes d’autant que ces voyous n’auront pas le même code d’honneur que nos soldats Cependant, nous sommes au XXIème siècle et les menaces ont changé. La stratégie pour y répondre doit donc aussi évoluer loin de tout dogmatisme… du passé.

Si les forces de sécurité intérieure, notamment policières, sont en situation d’échec, il reste deux solutions : laisser faire ou agir différemment y compris en employant les forces armées sous un commandement militaire bien entendu et non comme simple pourvoyeur de moyens. Alors que le terme « transformation » est largement appliqué pour la réforme des armées, refuser idéologiquement, sinon d’une manière passéiste, ce type d’intervention conduit à retirer un mode d’action ultime qui marquerait une volonté politique forte de rétablir l’autorité de l’Etat dans des zones de non-droit dont le maintien pourra conduire à terme à la remise en cause des institutions républicaines. Inquiétante perspective alors nous commémorons le 22 septembre le bicentenaire de la création de la 1ère République (mais cette période historique un peu trouble pourrait aussi inciter à des rapprochements particulièrement hasardeux !).

Cette intervention aussi reste légitime car les armées ont pour mission de protéger la population. Nos textes déterminent aussi sa légalité. Rappelons-nous le débat en 2005 concernant la loi de 1955 sur l’état d’urgence. Il y a d’autres textes plus forts comme l’état de siège… La population dans son ensemble, et bien sûr pas ceux qui bénéficient de cette situation, attend ce rétablissement de l’autorité républicaine. L’armée peut y contribuer, avec prudence, d’abord parce que la Nation a confiance en elle, ensuite parce que sa capacité d’adaptation sur le terrain est prouvée grâce à sa cohésion, à des valeurs fortes d’engagement, d’exemplarité, à son professionnalisme mais aussi à une aptitude à la violence maîtrisée qui peut rétablir favorablement un rapport de forces aujourd’hui défavorable aux forces de sécurité.

Cependant ce type d’engagement qui ne peut se concevoir que dans la durée et 24H/24H ne peut se limiter à une simple réponse militaire. Elle doit permettre à la police de reprendre pied en zone urbaine, elle qui n’est peut-être plus aussi présente. Prenons l’exemple de Marseille : environ 2900 policiers pour 240 km² et 850 000 habitants pour quelle présence à l’instant T sur le terrain ? Un rapport de la cour des comptes de juillet 2011 sur « L’organisation et la gestion des forces de sécurité publiques » dénonçait la faible présence des forces de police sur la voie publique notamment à Marseille. Cela représentait en moyenne 5 à 6% des effectifs à l’instant T, si j’ai bien lu, soit moins d’un policier au km² et 1 pour 4900 habitants si je prends l’exemple de Marseille, difficilement contrôlable comme toute zone urbaine étendue. Dans un certain nombre de quartiers, la police n’est donc plus en mesure de s’implanter durablement.

C’est donc rétablir dans les mégapoles la présence policière exemplaire, ferme mais humaine et éducatrice au contact de la population. Ne faut-il pas d’ailleurs revenir à une police nationale avec ses attributions d’avant 1941, (voir « les polices en France », Que sais-je, 2010 par Alain Bauer et André Michel Ventre), c’est-à-dire limitée et ne faut-il pas redonner une vraie place à une police municipale connaissant son terrain, ses élus et concernée par la paix locale ? Cette paix républicaine ne sera pas obtenue par une police nationale plus nombreuse, plus coûteuse, à l’efficacité peu probante aujourd’hui mais par une police oserai-je dire de proximité, proche des gens et les connaissant.

Pour l’instant, une révolution des mentalités est urgente. Une approche globale et intégrée est aujourd’hui nécessaire pour imposer la sécurité intérieure, avec une stratégie (un but à atteindre à terme) et donc une planification dans le temps … des « opérations » avec l’ensemble des capacités de l’Etat aux ressources aujourd’hui limitées. A l’image du concept militaire de l’approche globale sur les théâtres d’opération extérieurs , elle pourrait s’exprimer par un concept interministériel de l’approche globale sur le territoire national qui intègre les différentes capacités de l’Etat : police nationale, police municipale, GIR mais aussi renouveau du service public, actions économiques et sociales qui doivent être coordonnées et contrôlées pour être efficaces en liaison avec les autres actions menées. Les armées, forces au service de la République et des Français, forces aussi de troisième catégorie, pourraient aussi s’y intégrer, d’abord en soutien par le biais des états-majors interarmées de zone de défense en participant dès aujourd’hui à la réflexion sur la reconquête de la sécurité pour tous, ensuite éventuellement par l’action sur le terrain.

Cette mission de sécurité intérieure ne doit donc pas être écartée idéologiquement selon des critères obsolètes. Il est temps de concevoir une stratégie de l’Etat dans un domaine vital qui est celui du respect du droit à la sûreté de chaque citoyen (Art 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et Art 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948). Enfin, elle doit être approfondie dans le prochain Livre blanc au titre des forces armées.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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