Inutile de répéter tout ce qui a mille fois été dit, à juste titre, sur la barbarie que constitue l’usage d’armes chimiques, et en particulier contre des populations civiles. Impossible, en même temps, de passer à côté de l’imposture des Etats-Unis quand ils dénoncent haut et fort une violation des sacro-saintes normes internationales aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’évoquer ici les formes multiples et variées, hautement contestables et contestées, d’armes qui ont été employées récemment par l’Amérique dans tel ou tel conflit. Tout comme on ne va pas s’attarder maintenant sur les failles criantes d’un argumentaire articulé autour des armes chimiques, pour justifier une éventuelle intervention militaire en Syrie. Nous n’allons même pas s’éterniser sur la coïncidence pour le moins embarrassante entre les envolées lyriques sur « l’obscénité morale » des armes chimiques d’une part et, au même moment, les révélations de la presse sur la complicité des Etats-Unis, alors alliés de Saddam Hussein, quand celui-ci les avait utilisées contre l’Iran.
On se contentera donc de revenir, de manière presque anecdotique, sur l’attitude américaine vis-à-vis de la CIAC (Convention sur l’interdiction des armes chimiques). Alors que le porte-parole de la Maison Blanche fustige la « violation patente des règles internationales » par la Syrie, on est en droit de se demander si les Etats-Unis sont-ils vraiment les mieux placés pour la rappeler à l’ordre ou, mieux encore, la « punir ». Rappelons que la Syrie n’a pas signé ladite convention, en jugeant que la possession semi-officialisée d’armes nucléaires par Israël lui donne une assez bonne raison. Comble de l’ironie, à la lumière du passé on ne peut même pas affirmer avec certitude que Washington aurait permis à Damas d’adhérer au traité, quand bien même le régime syrien y aurait été disposé. On se souvient de la destitution, orchestrée par l’Amérique, du directeur de l’organisation censée veiller à la mise en œuvre de la convention sur les armes chimiques. Notamment lorsque celui-ci paraissait trop déterminé à persuader le président Saddam Hussein d’y adhérer, et de laisser donc entrer les inspecteurs pour vérifier les sites… au risque de priver Washington d’un casus belli.
Mais l’Irak n’était pas la seule pomme de discorde entre Washington et le directeur José Bustani. Celui-ci reprochait surtout à l’Amérique de modifier les règles à sa guise. En effet, les contraintes imposées par le Congrès au moment de la ratification ont instauré un régime spécial pour les Etats-Unis : le cercle des sites à déclarer a été réduit, le Président US s’est vu octroyer le droit de bloquer n’importe quelle inspection impromptue, et les échantillons relevés devaient rester, et donc être analysés, sur le territoire de l’Amérique. Comme l’a noté Bustani : « Il était presque impossible de faire cet examen ailleurs que dans les laboratoires américains, nous n’avions donc aucune garantie que les résultats ne seraient pas faussés ». Désespéré devant le précédent ainsi créé, l’ancien directeur ne mâche pas ses mots : « Les Américains n’acceptaient pas que les fonctionnaires de l’OIAC puissent enquêter chez eux. Dans ces conditions, il n’était pas possible de vérifier si elles fabriquaient des produits chimiques à des fins pacifiques. A chaque inspection, ils voulaient changer les règles du jeu ». Pour ce qui est de la défense des normes internationales, on a vu plus exemplaire et respectueux.
Hajnalka VINCZE / Une certaine idée de l’Europe