dimanche 26 mars 2023

11 NOVEMBRE : LA GUERRE EN MEMOIRE

Le 11 novembre est devenu une date importante depuis 2012 pour commémorer la mémoire des soldats morts dans toutes les guerres. La France a le devoir de se souvenir de ceux qui ont souffert ou sont morts pour qu’elle vive. (Cf. Mes billets du 11 novembre 2012 et du 14 novembre 2011 notamment sur les fusillés de 1917). Dans de nombreux pays aussi, cette reconnaissance est exprimée. Aux Etats-Unis par exemple, les vétérans sont mis à l’honneur ce 11 novembre lors de la journée souvenir dédiée aux vétérans (Cf. discours de B. Obama ce 9 novembre et son « merci » aux anciens combattants, Cf. Mon billet du 23 février 2012 « Anciens combattants d’hier, anciens combattants d’aujourd’hui, quels anciens combattants pour demain ? » ).

Les commémorations de la Première guerre mondiale.

Ce 11 novembre 2013 est aussi celui qui précède les commémorations de la première guerre mondiale dont le président de la République (Cf. Discours du 8 novembre 2013) a annoncé les grandes lignes. Le discours a mélangé malencontreusement à mon sens Première guerre mondiale et Seconde guerre mondiale. Peut-on en effet associer ces deux guerres, l’une certes horrible mais où malgré l’horreur des tranchées, l’homme savait encore se conduire avec honneur, la France était unie face à l’ennemi extérieur, et une guerre toute aussi horrible mais qui a libéré chez beaucoup les sentiments les plus vils même si peu, comme le général de Gaulle, se sont levés contre la barbarie, montrant une France désunie ?

Ne s’agirait-il pas d’une volonté de mettre plus en valeur le citoyen résistant par rapport au citoyen en uniforme dans la défense du pays ? Ce sentiment de déclassement du soldat au sein de notre société est préoccupant alors que ce soit en 1914 et surtout en 1940 les généraux (De Gaulle, Giraud puis De Lattre…) et quelques officiers (Leclerc, Massu…), ont été les premiers à se battre contre le fascisme en rassemblant autour d’eux quelques volontés contre 40 millions de pétainistes comme évoqués par l’historien Henri Amouroux.

Cette confusion des guerres mondiales oublie aussi de rappeler que la Seconde guerre mondiale est la conséquence de la Première guerre mondiale avec l’émergence des totalitarismes communistes et fascistes et la déshumanisation de l’Homme. Peut-on donc vraiment lier les deux conflits dans une exemplarité historique commune ?

L’objectif politique conduit à mon avis à l’instrumentalisation de l’histoire. Cette connotation politique est renforcée par la présence dans le discours présidentiel des grands combats de la gauche d’hier : fusillés pour l’exemple, Dreyfus, une « armée au service de la République « avec une autorité civile qui a prévalu jusqu’au bout », ce qui n’est pas tout à fait exact. On peut se demander quel est le sens de cette référence aujourd’hui dans le maelström des réformes de la défense.

Concernant les projets de commémorations

Dans le bulletin trimestriel de l’ANOCR d’octobre 2013, le général Irastorza, ancien CEMAT et président de la mission du centenaire, fait un point très administratif des projets et exprime la grande dynamique mémorielle qui se met en place. Un site a été créé : http://centenaire.org/fr. (Cf. aussi le site du ministère de la défense).

Dans le même numéro, un article fait le point sur les mutineries de 1917 remettant en contexte le débat sur les fusillés pour l’exemple. Les désertions étaient passées de 590 en 1914 à 30 000 en 1917 suite aux actions pacifistes, aux échecs aussi des offensives du général Nivelle. Cependant, comme le rappelle le premier supplément sur dix du Monde « Journal du centenaire 1914-1918 », « Pour en finir avec dix idées reçues », moins de 600 soldats ont été fusillés en quatre ans sur des millions de combattants et pour des raisons diverses.

Peut-on opposer ces fusillés au sacrifice d’1,3 à 1,4 millions de combattants français morts au combat ? Est-ce du même niveau ? Le choix du président de la République de faire poser une plaque en souvenir des fusillés aux Invalides n’efface pas leur mémoire et ne mettrait pas en avant les fautes des uns ou des autres. Solution médiane, elle me semble répondre à une relation apaisée avec notre histoire.

J’en resterai donc à la commémoration de la Première guerre mondiale qui verra d’ailleurs un certain nombre d’entre nous se rassembler le 11 novembre autour d’un monument aux morts.

Histoire et patriotisme

Le président a évoqué le patriotisme d’hier et d’aujourd’hui. Le patriotisme, c’est « la défense de la République, de ses valeurs, de ses principes, de sa promesse d’égalité mais aussi de réussite pour chacun ». Certes, mais la défense de son pays par les armes de chaque citoyen me semble aussi un acte patriotique et un critère de la citoyenneté. Cela aurait pu être rappelé. Il sera d’autant plus fort que l’histoire, y compris militaire, de son pays sera enseignée et comprise.

J’ai encore les souvenirs de mon enfance sur les faits d’armes de ces héros militaires et de ces batailles dans les livres offerts bien que ma famille parisienne n’ait aucune attache avec le monde militaire. Elle avait cependant le souvenir non effaçable du « boche » malgré une branche de la famille de nationalité allemande. Contrairement à ce qu’a déclaré le président de la République, ne doit-il pas avoir une histoire officielle, au sens de celle qui fait référence et sache mettre au bon niveau les différents faits historiques au profit de la cohésion et de l’identité de la nation ?

La mise en valeur du Poilu est un devoir de mémoire mais doit-on aussi ignorer pour autant les généraux « tout aussi poilus » dont un certain nombre ont été tués ou blessés sans oublier ceux qui ont été ministres de la guerre (Cf. les ministres de la guerre sous la Troisième république), le général Gallieni, le maréchal Lyautey. Georges Clemenceau ne le sera que pour la dernière année de la guerre à compter du 16 novembre 1917.

J’invite à lire « La France de la Grande guerre 1914-1919 » du général Beaufre. Factuel mais passionnant et d’actualité. Publié en 1971, une partie appelée « dictionnaire » rappelle notamment l’action des hommes durant cette guerre et en particulier celle des nombreux généraux qui ont quand même permis la victoire.

Le retour de la guerre dans la recherche historique

Justement dans cette perspective historique, en phase avec les 16ème Rendez-vous de l’histoire consacrés à la guerre qui se sont tenus à Blois du 10 au 13 octobre dernier, Le Monde y a consacré aussi un très intéressant hors-série « 1914-2014 un siècle de guerre » avec des articles de Nathalie Guibert, Michel Goya, Hervé Drévillon, Gaidz Minassian, Laurent Henninger, Rémy Ourdan (…), des interviews de Jean-Yves le Drian, de Boris Cyrulnick et de Denis Peschanski. Eh oui, nous n’avons jamais été en paix depuis un siècle malgré ce que la France pourrait croire.

Je ferai cependant deux remarques. Se référer dans l’éditorial, à cette phrase de Clemenceau « la guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ! » me laisse encore supposer une forme latente d’antimilitarisme. En effet, souvent jetée à la face des militaires, elle n’est jamais mise dans son contexte que j’ai rappelé par un correctif à Valeurs Actuelles et qui le publia … le 9 janvier 1999 : « Lors de l’enlèvement de Schnoebele par les Allemands en France le 20 avril 1887, Clemenceau fait ce commentaire sous forme de boutade, « la guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ! » devant la réaction du général Boulanger, son protégé et alors ministre de la Guerre, qui s’exclame, « je ne vois pas de réponse sous une autre forme que celle de l’ultimatum ». ». Cela m’avait pris quelques mois de lectures et de longues recherches pour trouver finalement les références dans « La vie orgueilleuse de Clemenceau » par Georges Suarez et publié en 1930.

La seconde remarque concerne l’article sur l’art de la guerre réalisé par Thierry Widemann qui propose dix auteurs et dix ouvrages à lire. Cependant, ne pas évoquer le général Beaufre reste surprenant alors qu’il était un théoricien de la dissuasion, de la stratégie indirecte et un « grand opérationnel ».

Honneur aux morts et aux blessés de toutes les guerres

Porter le bleuet de France et donc « donner » à l’ONACVG contribuent à la réparation due à nos blessés. Le port sur l’uniforme a été accordé par le CEMA pendant dix jours. J’aurai sans doute souhaité le voir porter par tout le personnel de la défense, militaires et civils confondus. Symbole de solidarité et d’appartenance à la communauté de défense, cela aurait un geste fort. Pourtant j’ai entendu qu’un camarade le portant se serait fait un peu raillé par son environnement.

Je pense qu’une forte incitation à le porter au sein du ministre de la défense, sinon dans l’ensemble des ministères et à la présidence pourrait être envisagée pour le 11 novembre 2014. Déjà, pour ce 11 novembre 2013, le gouvernement le porte, les équipes de sports l’auront porté ou le porteront. Bravo.

L’an prochain, le gouvernement, l’armée, les associations patriotiques pourraient donc se mobiliser pour le port de ce bleuet pendant la période du 11 novembre. Comme dans les pays du commonwealth par le port du coquelicot, chacun pourrait témoigner de sa reconnaissance envers ceux qui ont par leur sang assuré la défense de la France et de sa population. Encore faudra-t-il qu’il soit possible d’acquérir ce bleuet par un don symbolique partout en France.

Pour conclure cependant, que pensez alors de ce « coup bas » contre les anciens combattants évoqué par l’ANOCR et d’autres associations  avec cette réduction du montant de la majoration « à titre provisoire » accordée par l’Etat aux rentes mutualistes constituées par les titulaires de la carte du combattant (Cf. service-public) … créée par la loi du 19 novembre 1926 suite à la première guerre mondiale ? Je me sens par principe un peu concerné étant un « ancien combattant » tout en étant d’active (oui, oui). La cohérence m’échappe donc et me semble bien brouiller le message politique.

François CHAUVANCY
François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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