mardi 19 mars 2024

20 soldats morts pour la France au Mali en 2020

Période propice du 11 novembre pour se rappeler de ceux qui se battent contre l’obscurantisme islamique au Mali (et en France) et y meurent… alors d’autres se mettent en grève pendant un état d’urgence sanitaire. Certes, quand l’État autorise les manifestations politiques et contestataires en période de confinement mais pas les autres réunions de quelques personnes, quand on infantilise les anciens combattants qui n’ont pas forcément un âge avancé en ne les invitants pas aux commémorations dans certaines communes au nom la sécurité sanitaire, quand des tribunaux préfèrent valider le respect de libertés individuelles au détriment de la sécurité sanitaire, comment s’étonner que des fonctionnaires oublient le sens de l’engagement en temps de crise.

En tout état de cause, l’islamisme radical continue son action de sape de la République (Cf. Cette intervention sur RT du 29 octobre, Pierre Conesa et moi-même suite à l’attentat de Nice). Certes, soyons réalistes aujourd’hui: que représente un islamiste, étranger ou français, malgré son acte terroriste totalement condamnable ? Rien, un non-événement malgré les pertes humaines, qui, à l’échelle de la COVID, sont insignifiantes. Seule la médiatisation qui accompagne cet acte lâche lui donne une quelconque importance sauf dans les heureusement rares assassinats de masse qu’il ne faut pas oublier depuis 2015 : Charlie Hebdo, le Bataclan et Nice (2016).

Que des minorités musulmanes, y compris à l’étranger, condamnent et menacent la France, montrent aussi que nous n’inspirons pas de crainte et que nous ne sommes pas capables de répondre avec détermination sauf avec des condamnations bien verbales. Or, quelle est notre dépendance économique réciproque ? Combien de ressortissants de ces pays en situation légale ou illégale sont présents chez nous ? Quel intérêt géopolitique d’avoir des relations avec ces pays ? Finalement quelle est la réalité de leur nuisance par rapport à la défense de nos intérêts, la préservation de notre société, la sécurité de la population ?

Ceci devrait conduire la France à être effectivement ce qu’elle prétend être : une puissance qui ne se laisse pas dicter par d’autres sa politique, son mode de vie, le fonctionnement de sa société. Sans état d’âme, elle devrait être capable d’appliquer des sanctions dans les domaines évoqués ci-dessus sans oublier un certain d’actions plus concrètes sinon « définitives » dont d’autres Etats ne se privent pas. J’oubliais, nous sommes un État de droit… en fait surtout pour ceux qui acceptent de respecter les lois françaises.

Concernant le Mali, il ne semble pas inopportun d’évoquer ce paradoxe : nous combattons dans ce pays pour qu’il vive normalement. Nos soldats y meurent au combat (1/3 d’officiers, 1/3 de sous-officiers, 1/3 de soldats en 2020: pour le ministère des Armées, cet état des « Morts pour la France » s’étend du 11 novembre 2019 au 11 novembre 2020) mais nous avons une importante communauté malienne en France qui ne sent pas directement concernée par ce conflit. En ce jour du 11 novembre où nous commémorons tous nos soldats morts au combat, n’y-a-il pas une anomalie ?

Vous pourriez me dire que la question se pose pour d’autres diasporas. Nous avons eu quelques manifestations de la communauté arménienne contre l’agression turco-azérie au Haut-Karabakh, se plaignant du manque d’engagement notamment de l’Union européenne et de la France. Pour autant, si l’on se sent si proche d’un Etat ou d’une entité étrangère, ces Français d’origine arménienne n’auraient-ils pas dû rejoindre l’Arménie pour assumer cette double allégeance et donc se battre ?

La guerre au Mali contre l’islamisme radical se poursuit donc. Près de cent djihadistes ont été tués par les forces françaises (Cf. Conférence sur le Mali à laquelle j’ai participé à l’école militaire le 8 octobre, avant confinement, 1h13 : lire en fin de billet le compte rendu réalisé par un de mes étudiants). Disons-le encore sans état d’âme : un bon bilan malgré les réticences françaises à évoquer les GAT « neutralisés » et pas les ennemis que nous avons tués (Cf. Bilan du ministère des Armées du 5 novembre 2020).

C’est enfin cet hommage cette semaine au général de Gaulle. Symbole du refus, du courage, de la résistance sinon de la désobéissance assumée au nom de l’Honneur, l’exemplarité de son comportement et sa vision de l’avenir sont à suivre aujourd’hui dans la guerre contre l’islamisme radical. N’oublions cependant pas que les Français ont mis un temps certain avant de le soutenir dans la lutte existentielle pour la survie de la France. Et comment ne pas être critique devant ces récupérations politiques contemporaines pour bénéficier du même charisme, de la même aura que le Général… pourtant bien souvent vilipendé en son temps !

Le hasard a voulu que je me rende à Colombey-les-Deux-Eglises il y a deux semaines. Il était temps, il est vrai. Le cimetière où le grand homme et des membres de sa famille sont enterrés est émouvant. Le mémorial relativement récent vaut aussi la peine d’être visité pour comprendre sa carrière militaire, ses réflexions et bien sûr son cheminement politique dans la période actuelle qui, peu à peu, à nouveau, laisse apparaître le besoin d’un « homme providentiel » pour mettre de l’ordre dans une France en désordre. 2022, c’est bientôt…


Faire face à la radicalisation dans le Sahel

Par Amaury Coutansais-Pervinquière

Ils étaient une trentaine à participer au dîner-débat autour de la radicalisation dans le Sahel le 8 octobre 2020. Sous la rotonde Gabriel de l’Ecole militaire, le général François Chauvancy et Mikaïl Barah, directeur de Stractegica, présentaient le rapport Radicalisation dans le Sahel réalisé les centres de recherche Stractegica et Tactics institute for Security and counter-terrorism. Tour d’horizon.

Région désertique de 3 millions de km², le Sahel s’étend sur une longueur de 5 500 kilomètres avec une profondeur de 500 kilomètres. Il parcourt plusieurs Etats aux frontières mal définies et héritées de la colonisation : la Mauritanie, le nord du Sénégal, le sud de l’Algérie, le Burkina Faso, le Niger, le nord du Nigéria, le Tchad et le Soudan. Dans cette vaste étendue, la France fait face à des ennemis polymorphes, connaissant le terrain et pouvant s’y fondre avec aisance. Engagée depuis 2013, d’abord au Mali, son action se déploie désormais sur plusieurs pays comme le Burkina Faso ou le Niger. Insaisissable, l’ennemi est maintenant clairement identifié. En janvier 2020, au sommet de Pau, entouré des partenaires africains du G5 Sahel, Emmanuel Macron désigne l’ennemi : l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS). L’action des forces françaises doit également se concentrer dans la région dite des « trois frontières » à cheval entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

Pour autant la désignation de l’ennemi et la qualité des armées françaises ne suffisent pas à endiguer la présence djihadiste. Malgré la neutralisation de nombreux combattants ou de leurs chefs, les effectifs des groupes armés terroristes (GAT) se renouvellent continuellement. Le rapport radicalisation dans le Sahel propose d’en comprendre les fondements et veut y apporter des réponses.

De multiples raisons à une situation explosive

Les États de la région ne sont pas stables. Désorganisés et décrédibilisés par la corruption endémique, ils ne peuvent faire face aux situations sécuritaire, économique, démographique et écologique qui bouleverse les fragiles équilibres. Les frontières héritées de la colonisation ne sont pas respectées dans les faits à la fois par les populations nomades, mais aussi par des groupes mafieux ou terroristes. Le concept même d’État-nation n’a pas de sens dans un pays dans lequel cohabitent de nombreuses ethnies différentes.

Ainsi les populations touarègues du nord-Mali ne reconnaissent pas le gouvernement de Bamako contre lequel elles sont en rébellion ouverte. Elles se moquent des frontières qu’elles franchissent depuis des siècles, et leur rôle trouble face aux GAT est souvent pointé du doigt. Ce manque d’unité nationale est l’un des facteurs du récent coup d’État au Mali. Les groupes mafieux profitent de cette situation pour les trafics de cigarettes ou de drogue, voire rejoignent les GAT. Ainsi de Iyad Ag-Ghali, chef du Groupe de Soutien au Musulmans (GSIM), qui fut d’abord un trafiquant.

Depuis les printemps arabes, la situation régionale est également déstabilisée. Depuis la chute du régime libyen, des armes ou de la contrebande circulent facilement à travers le Sahel. Ces enjeux sécuritaires sont très importants pour les pays occidentaux qui ne veulent pas d’un afflux massif de clandestins dans un contexte de la montée des populismes de droite. L’installation d’un Etat islamique qui servirait de sanctuaire pour la formation et le soutien des djihadistes déstabiliserait également l’Europe à travers les populations musulmanes implantées depuis la fin de la colonisation à l’instar de l’État islamique en Irak et au Levant.

Le facteur économique participe également à la radicalisation dans la région. Au Mali, deux tiers de la population a moins de 24 ans et n’a que peu d’opportunités de travail ou de formation dans une économie essentiellement tournée vers l’agriculture. Une jeunesse nombreuse, peu formée et désoeuvrée est ainsi plus à même de recevoir les discours djihadistes ou mafieux qui proposent des rémunérations. Au Mali, malgré les nombreuses aides internationales, le secteur industriel reste embryonnaire et le manque d’infrastructures ainsi que son enclavement ne permettent pas un développement économique suffisant pour accueillir de nouvelles générations.

Enfin une économie de rente se concentre sur des matières premières comme l’uranium au Niger, l’or au Mali ou le pétrole au Tchad. La dégradation des conditions climatiques empêche un développement intensif. L’avancée du désert et le réchauffement des sols obligent à repenser l’agriculture dans la région.

Un contre-discours d’influence

Avec un coût de 500 millions d’euros par an et le déploiement de 5 000 hommes, la France est en première ligne. Son action est remise en cause par les populations qui l’accusent de néo-colonialisme. Radicalisation dans le Sahel propose de mettre en place un contre-discours d’influence combinant l’amélioration des conditions socio-économiques, une neutralisation des réseaux mafieux et djihadistes, une contestation de leur contrôle dans des zones géographiques, et une pression pour rendre leurs réseaux moins rentables.

Cette approche globale permettrait de réduire la présence française. Elle passe par un nouveau mandat des Nations Unies assurant un meilleur soutien financier et diplomatique. Mais aussi par la montée en gamme du G5 Sahel à la fois militairement et financièrement, ainsi que par un engagement des Etats à se renforcer. La lutte contre les milices et les exactions des armées locales est nécessaire pour assurer leur crédibilité. Pour assurer une stabilisation de la région, mais aussi un assèchement des trafics, il est également nécessaire pour la communauté internationale de résoudre le conflit libyen. En ce sens, l’accord de l’ONU sur l’ouverture des routes et des voies aériennes intérieures est un pas en avant important.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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