mardi 3 décembre 2024

7 janvier 2015, une guerre officiellement déclarée mais le peuple français est debout le 11 janvier !

Je pensais écrire ce premier billet de l’année sous une forme certes sarcastique sinon légère, en souhaitant éventuellement une bonne année. Pourtant, il y avait de quoi : un syndicalisme militaire qui s’installe avec manifestement l’aval de sa hiérarchie (Cf. Article du Monde du 4 janvier 2015 que peu ont dû lire), une Légion d’honneur que l’on refuse par coquetterie, finalement des histoires françaises bien banales qui animaient nos médias et mes réflexions.

En fait, malgré cette semaine dramatique, les rassemblements de ce week-end montrent un grand sursaut du peuple français, une grande émotion, sinon même une grande fragilité psychologique des Français. Reste à savoir si ce sursaut va durer et si la composition sociologique de la foule correspondait bien aux attentes de l’unité nationale.

Retour à la réalité de la guerre sur le territoire national

La réalité de la guerre que j’ai souvent évoquée dans mes billets précédents nous a rattrapés. Nous voulions l’ignorer, la dissimuler derrière des mots consensuels, génériques, banalisés comme celui de « terroristes ». Il est temps pour le président de la République de dire qui est l’ennemi. Il ne peut être qu’un « terroriste », terme utilisé dans bien d’autres conflits pour de moins bonnes raisons : 1940, Algérie…

La guerre est là et elle interpelle sur la capacité de notre société à faire face alors que la récupération politique a été partiellement réalisée avec la manifestation républicaine organisée par le PS à Paris ce dimanche. Il fallait cependant y participer pour faire part de notre détermination sans se tromper sur son sens. Avec ce beau temps exceptionnel, cependant, Dieu dans sa grande bonté, s’il existe, était avec les infidèles et les mécréants.

Oui, des journalistes ont été assassinés sur le territoire national. Oui, la liberté d’expression a été attaquée. Oui, nous devons condamner et combattre le fascisme vert, pas uniquement par la parole ou le silence. Oui, nous sommes tous Charlie !

En revanche, non, Charlie hebdo n’était pas un média tolérant. Non, malgré ce que nous montrent les divers interviews transmis par les médias, Charlie Hebdo n’a pas accompagné chacun dans sa jeunesse mais sans aucun doute les sympathisants de gauche, même si je l’ai lu occasionnellement en « Corniche », appréciant l’humour quand il était bon ce qui était loin d’être toujours le cas. Non, ses journalistes n’étaient pas des « gentils » dessinateurs ou humoristes.

C’étaient des militants politiques proches de l’extrême-gauche qui combattaient certes par l’humour mais combattaient vraiment les institutions de la Ve république, ses symboles comme son drapeau, sa Marseillaise, la société qu’ils contestaient même si avec le temps le « ciblage » a évolué. Cet esprit de dénigrement, installé et valorisé aujourd’hui, n’est-il l’une des causes ayant poussé de jeunes Français sans repères à préférer le djihad à « rien du tout », la laïcité si vantée n’étant pas forcément la réponse à tous les problèmes de notre société ?

Je m’interrogerai aussi volontiers sur ces nombreux liens d’amitié affichés suite à ces assassinats entre leaders politiques, journalistes en général ou chroniqueurs et ces journalistes de la contestation.

Je préfère nettement la main intelligente de Plantu et je regrette de ne pas savoir dessiner malgré un grand-père et un arrière-grand-père, respectivement sculpteur et dessinateur …

Ainsi, me paraissent beaucoup plus significatifs ce dessin paru en novembre 2014 puis celui paru le 10 janvier 2015 reprenant le célèbre tableau de Delacroix, « La liberté guidant le peuple » (1830).

Que faire contre ces tueurs fanatiques ?

Il est intéressant de noter que la déclaration du président de la République vendredi soir n’évoquait que des terroristes : ni musulmans, ni djihadistes, juste des terroristes. Il est vrai qu’il ne faut pas stigmatiser, qu’il ne faut pas être soupçonné d’islamophobie, concept utile et propagandiste favorisant finalement les amalgames, nous obligeant à ne pas dénoncer ce qui est inacceptable. N’est-ce pendant pas un manque de courage de ne pas assumer ce qui est et dont chaque Français est convaincu : des musulmans de nationalité française ou de l’étranger combattent par la violence et les armes de guerre les institutions de la République et sa société depuis des années.

Le discours politique est en outre biaisé. Oui, aucun lien organisationnel n’est avéré entre les différents acteurs de ces actes de guerre mais ces soldats de l’Islam radical ont reçu la franchise d’agir depuis de nombreux mois, vivent au contact de leurs homologues par les réseaux sociaux, ont trouvé des armes de guerre On ne pourra pas toujours dire qu’ils sont des cas psychologiques. La guerre asymétrique qui nous est faite s’appuie sur nos faiblesses.

La réflexion doctrinale, entravée dans une situation de temps de paix avec ses « idiots utiles » (pour reprendre une réflexion d’un de mes camarades) toujours en recherche de circonstances atténuantes, n’est pas en mesure d’y répondre et donc de trouver les modes d’action efficaces.

Quant aux sanctions, le vote de nouvelles lois changera-t-il quelque chose ? Le week-end dernier, un gamin de 14 ans, délinquant multirécidiviste à Limoges était cité par les médias. Ni la justice, ni la police ne pouvaient le mettre hors d’état de nuire. Chaque service attend qu’il ait seize ans pour le neutraliser. Qui peut croire que nous pourrons arrêter ou neutraliser des terroristes quand nos institutions ne peuvent pas venir à bout d’un gamin de quatorze ans ?

En outre, ces terroristes mis en prison contribueront à la contagion par le recrutement de nouveaux adeptes comme c’est déjà le cas et il n’est pas invraisemblable que nos prisons s’insurgent un jour. L’exemple il y a peu de la présence sur Facebook de la vie interne des prisons le montre. Après l’argent, la drogue, les téléphones portables, à quand les armes en prison ?

Enfin, combattre les djihadistes montre qu’il faut des dizaines de milliers d’hommes pour traquer trois djihadistes, certes avec succès et professionnalisme. Il faut convaincre nos concitoyens de la nécessité de cette guerre qui sera conduite dans les domaines des idées et de la contre-propagande djihadiste, de l’éducation, des questions sociales, juridiques, de l’application implacable de la loi, de l’emploi de la force aussi, sinon du retour de la raison d’Etat.

Les rassemblements de ce week-end ont montré ont apporté ce soutien populaire mais les millions de personnes était-elles là pour les mêmes raisons : honorer les victimes sans aucun doute mais défendre la liberté d’expression, la laïcité, combattre le racisme et l’antisémitisme, le terrorisme et l’islam radical, sinon l’islamisation même ?

Quant à l’Islam…

Cessons d’abord de nous référer aux musulmans de France. La nationalité passe avant la religion dans un Etat laïque comme le nôtre. Le débat passé sur l’identité nationale a montré qu’une partie des Français n’avaient pas compris son rôle dans la construction d’une nation même au XXIe siècle.

Par le discours politique, faire du « musulman » une catégorie à part dans la nation conduira comme en Bosnie  à en faire une nationalité avec tout ce que cela implique d’autant que la majorité des musulmans vivant en France ne seraient pas de nationalité française si je me réfère au croisement de sondages. La religion ne doit pas être une identité. L’interdiction de statistiques dans ce domaine conduit aussi à une réflexion biaisée, à des décisions inappropriées et à des amalgames qui stigmatisent potentiellement  les Français de confession musulmane.

Quant au Coran, livre d’amour selon une partie de ses défenseurs, je constate que les atrocités les plus fortes ont lieu notamment dans des pays arabo-musulmans. En revanche, l’Islam est tempéré dans nos démocraties par notre civilisation et par nos valeurs. Aussi, la réaction des Français devant les massacres de Charlie Hebdo et de Vincennes a conduit à une condamnation forte, exemplaire et sans équivoque à l’atteinte à nos libertés et au vivre-ensemble. Seule la force de notre démocratie pourra contraindre à s’intégrer dans la Nation ceux qui auraient la tentation de s’ériger en communauté partisane et sectaire.

Ces meurtres arrivent au moment où Charlie hebdo caricaturait Michel Houellebecq, comble de l’ironie, pour son roman juste sorti sur une France au gouvernement islamique en 2022, après qu’Éric Zemmour ait dénoncé l’affaiblissement de la France et la montée de l’Islam, au moment où en Europe, surtout en Allemagne, l’islamisation est combattue.

Selon un sondage du quotidien Die Zeit réalisé en novembre et publié le 8 janvier 2015, plus d’un Allemand sur deux (57%) considérait l’islam comme une menace tandis que 61% d’entre eux estimaient qu’il n’était pas compatible avec le monde occidental (pourquoi une parution si tardive de ce sondage ?). La réalité a rattrapé la bien-pensance qui a désormais peur mais le sursaut français pourrait remplacer le suicide français, si l’élan se poursuit.

Apprécions pour les journalistes de Charlie Hebdo que le glas de Notre Dame de Paris ait sonné pour rappeler leur assassinat, que la Marseillaise retrouvant tout son sens patriotique ait été entonnée partout en France par des millions de personnes, qu’ils sont considérés comme des martyrs, concept bien religieux, mais de la liberté. Où qu’ils soient, les assassinés de Charlie hebdo en auraient été bien amusés. Il ne resterait plus qu’à leur donner à titre posthume la Légion d’honneur que d’autres refusent de leur vivant… Finalement cette situation dramatique est bien à l’image de Charlie hebdo.

Que faire ?

Ne soyons pas des idiots utiles. La guerre est déclarée mais avons-nous les moyens de la gagner ? Le peuple français a été aujourd’hui le phare d’une partie du monde en marchant contre la barbarie, pour une société démocratique mais aussi contre l’islamisme radical. Le message est fort et clair pour l’ennemi mais aussi pour ceux qui ont été plutôt timides sinon ambigus dans la dénonciation des fanatismes religieux.

Les rassemblements de ces derniers jours montrent que le seuil de rupture est atteint. Tous les signaux d’alertes négligés jusqu’à présent au nom de la « tolérance » se concrétisent par ce refus populaire, franc et massif de baisser les yeux. Quand la tolérance permet l’attaque de nos libertés, elle atteint ses limites. De même, trop de libertés tuent la Liberté.

Tout le monde ne défile pas pour les dessinateurs de Charlie Hebdo. Les autres victimes, les atteintes au fonctionnement de la société sont aussi les causes de ces rassemblements. Que les politiques ne se trompent pas. Un manque de fermeté, des tergiversations, des arrangements ne pourront suffire à calmer la colère, l’indignation, l’inquiétude de la France d’en bas. Ces rassemblements transmettent à la « France d’en haut » ce message « Agissez ! Cette situation de tolérance à sens unique a assez duré. Cela suffit. Notre société doit fonctionner avec harmonie ».

Une réforme de l’organisation de l’Islam en France doit sans doute être engagée pour éviter tout amalgame. L’absence de clergé musulman, sauf dans le chiisme, est une faiblesse. Créons un « clergé » français musulman. Notre histoire de France  (encore faut-il la connaître) a montré depuis bien longtemps que nous étions capables de contrôler les religions. Seuls les imams correspondant à des critères républicains devraient être responsables de l’exercice de leur culte.

Ils doivent être formés comme c’est déjà le cas à l’Institut Catholique de Paris mais avec de grandes difficultés notamment financières. Et pourquoi ne pas aider financièrement pendant une période de transition ces imams français ? Certes, je vois déjà les extrémistes laïques se dresser mais il y a un moment où la raison d’Etat, celle de l’Etat, l’intérêt de la Nation impliquent des actions extraordinaires. La nationalité française devrait aussi être exigée. Il est anormal que le culte musulman en France soit sous la dépendance de quatre Etats étrangers.

Contre les terroristes, quand ils ont échoué dans leurs actions de « guerriers suicidaires », la peine de mort devrait être rétablie. Comment pourrait-on accepter de les mettre en prison compte tenu de leur fanatisme et de leur capacité à promouvoir la haine? Là aussi, la survie de la société passe par des mesures exceptionnelles.

Le citoyen doit se réapproprier sa sécurité. Le service militaire n’est plus envisageable, tout a été fait « pour », mais une garde nationale, oui (Cf. Mes billets du 25 mars 2012 et du 1er avril 2012). En effet, je ne voudrai pas être pessimiste mais l’état des forces militaires et civiles ne me semble plus en mesure de répondre seules à la menace si elle se manifestait dans des dizaines ou des centaines de points sur le territoire national pendant des semaines.

Des policiers demandent des armes de guerre. Cela avait été l’objet de mes premiers billets sur ce blog en aout 2011 (Cf. Mes billets du 25 et du 26 août 2011 « Vers une militarisation des forces de sécurité »). Le mélange des genres ne serait pas non plus une bonne mesure. Engageons plus les forces armées sur le territoire national. Réduisons sans doute aussi les équipements coûteux qui pénalisent le budget de la défense au détriment des hommes, pas assez nombreux, à doter d’équipements plus rustiques, moins coûteux et plus efficaces contre la nouvelle menace.

Nous avons encore la chance d’avoir une armée qui se tient et qui combat les djihadistes depuis plus de dix ans, avec des pertes et sans minute de silence. Je vous renvoie à cette belle émission de France 2 du Premier de l’An sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, un nom qui fait réfléchir en cette période de crise, et à ces images de réveillon de nos soldats au milieu du Sahel.

Pour conclure, allez, je vous adresse quand même et avec un peu d’espoir mes vœux pour une année plus pacifique et surtout pour une France forte grâce à une Nation réunie autour de ses valeurs, de ses militaires et de ses forces de sécurité. Et n’ayons pas peur (mais quelqu’un l’a déjà dit…). Au contraire, soyons courageux. Combattons et repoussons par la force morale et par la force physique la menace islamiste. Et je le dis, nous pouvons être fiers aujourd’hui : vive la France ! vive la République ! Vive la Nation !

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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