En avant-garde des forces alliées débarquant en Provence, les volontaires des commandos d’Afrique ouvrent le chemin de la victoire en s’emparant des batteries allemandes du cap Nègre dans la nuit du 14 au 15 août 1944.
14 août 1944, 22 h 30. Le PT Boat britannique fend silencieusement le flot noir de la Méditerranée. Derrière le bateau de Sa Gracieuse Majesté, deux LCA naviguent en remorque. A leur bord, soixante-dix hommes tendus sous leurs casques, l’œil plissé scrutant l’obscurité. Sur l’épaule gauche, un badge allongé porte le mot « commandos » brodé en rose fond bleu. Ces combattants de la première heure sont les commandos d’Afrique du colonel Bouvet, ceux-là mêmes qui, deux mois auparavant, presque jour pour jour, ont débarqué sur l’île d’Elbe et ont joué un rôle décisif dans la prise de cette base allemande en Méditerranée. Les hommes du « cirque Bouvet », comme ils s’appellent eux-mêmes, n’ont pas froid aux yeux. Volontaires venus d’Afrique du Nord, Algériens, Marocains, pieds-noirs et évadés de la Métropole, ils ont subi à Staouéli, près d’Alger, un entraînement intensif, impitoyable. C’est pourquoi le haut commandement a une nouvelle fois fait appel à eux pour l’opération Bigot-Anvil, en d’autres termes le débarquement sur les côtes de Provence.
Embarqués à Propriano, en Corse, sur le Prince-Albert, la Princess-Beatrix et le Prince-David, ils n’ont appris leur destination qu’au dernier moment, à terre, par Bouvet lui-même. Moment d’intense émotion, rapidement remplacée par l’excitation du combat tout proche. En mer toute la journée du 14, par un soleil radieux, les commandos d’Afrique se sont préparés, vérifiant les armes, les équipements, lisant, discutant ou dormant. A 18 heures, les haut-parleurs de bord ont diffusé, au milieu des grésillements, un message du contre-amiral Davidson, patron de la flotte de débarquement :
« Le contre-amiral Davidson, les officiers et les équipages des marines alliées saluent le colonel Bouvet et sont fiers d’être unis au groupe de commandos dans cette bataille de libération de la France. Que Dieu vous bénisse et vous garde ! Contre-amiral Davidson. »
Et puis, à 22 heures, les commandos, empoignant les mailles des filets de débarquement qui pendent le long des flancs des navires, sont descendus, lourdement chargés, dans les barges de débarquement, les LCA. A bord du Prince-David, Bouvet, montre en main, a regardé « ses » gars partant vers leur destin. Puis il est lui-même descendu.
Trois embarcations légères se sont détachées en cours de route de la flottille des LCA. Dans la première, un surf-boat de caoutchouc équipé d’un moteur, se trouvent le capitaine Marcel Rigaud, des commandos, et l’enseigne de vaisseau britannique Johnson, officier de liaison. Leur mission : débarquer les premiers sur la plage du Rayol à H-30 pour reconnaître l’endroit et guider les détachements par signaux lumineux. La deuxième et la troisième, deux rubber-boats aux boudins caractéristiques et guidés à la pagaie, emportent vers la côte les neuf commandos de l’adjudant-chef Noël Texier et les hommes de son inséparable ami, le sergent-chef Georges du Bellocq. Les deux sous-officiers se sont disputés jusqu’au départ pour savoir qui débarquerait dans la partie droite de la plage du Rayol, réputée dangereuse. Finalement, une pièce jetée en l’air les a départagés : Texier a gagné, malgré la rogne de son copain. Il ne savait alors pas qu’il serait le premier mort du débarquement et voguait vers sa mission : débarquer et, avec du Bellocq, se rendre maître des blockhaus défendant la plage avant l’arrivée du gros des commandos.
Debout à la proue de son LCA, le capitaine Paul Ducournau répète mentalement ses instructions : débarquer avec ses 70 hommes du 1er commando, escalader le cap Nègre, neutraliser les trois batteries de 155 qui le garnissent, établir un bouchon anti-char, puis rejoindre le mont Biscarre où -théoriquement – se sera entre-temps établi le PC. Cet objectif, il le connaît par cœur. Quant à ses hommes, ils ont répété sans fin les manœuvres de l’escalade et du combat corps à corps. Ils sont répartis en deux groupes. Le premier est commandé par lui-même, le second par son adjoint, le sous- lieutenant Jacques Jeannerot. Un solide malgré sa nette taille et son air malicieux et naïf. Près du marin canadien qui dirige son LCA, Ducournau scrute la nuit claire mais sans lune. Il ne peut s’empêcher d’évoquer cette autre nuit du 17 juin, celle du débarquement à l’île d’Elbe… Là-bas, ils avaient été accueillis par un feu d’artifice épouvantable et magnifique, les Allemands ayant eu vent de leur arrivée. Toute la journée du lendemain, les commandos avaient progressé, faisant sauter une à une les défenses ennemies. Ducournau, pour sa part, avait magnifiquement enlevé le Monte Tambone, ajoutant un nouveau fait d’armes à sa légende de « Preux », ainsi qu’il était appelé par ses hommes. Toujours souriant et sautillant, vif comme une anguille, l’ancien tailleur algérien marchait sur le chemin de la gloire.
Mais, pour l’instant, Ducournau a d’autres préoccupations. Les deux LCA se séparent du PT Boat. Les cordages s’emmêlent, les marins canadiens s’énervent. Enfin, les embarcations s’éloignent de leur remorqueur. L’officier de la Navy qui a pris place dans le LCA de Ducournau lui souffle à l’oreille :
— Ça y est, nous sommes livrés à nous-mêmes, my dear Ducournau !
Le PT Boat s’éloigne lentement. Ils sont seuls.
Derrière le LCA de Ducournau, en tête, celui commandé par Jeannerot progresse sous la poussée de son moteur. En remorque, un autre rubber-boat monté par trois hommes : Albert Drié, Faigenblatt et Docteur.
Les trois embarcations filent vers la côte. Soudain, Drié sursaute.
— Hé ! les gars ! le rubber se dégonfle !
Les boudins ont effectivement perdu leur rigidité rebondie et l’esquif prend une forme en V qui n’augure rien de bon pour ses passagers. Ceux-ci plongent, Docteur crie :
— À moi, les copains !
Sur le LCA, Jeannerot a entendu et les « plouf » et le cri. Il fait revenir en arrière. Des mains se tendent vers les commandos qui se retrouvent l’instant d’après au sec relatif du LCA. Docteur a eu plus de peur que de mal, mais ses camarades râlent !
— Pourquoi crie-t-il si fort, ce connard ? Les Boches vont l’entendre !
— Vos armes, vos équipements ? questionne Jeannerot.
— Perdus, mon lieutenant…
— Ça commence bien ! et pendant ce temps-là, le LCA du capitaine a filé.
Debout, appuyé au plat-bord, le sous-lieutenant scrute la mer, tentant de percer l’obscurité relative. Tout à coup, il se bloque : là, devant lui, une masse noire avance dans la mer, tel un éperon gigantesque. Le cap Nègre ! Le LCA ne se dirige cependant pas vers lui, mais vers l’ouest, beaucoup trop vers l’ouest. Jeannerot enjambe ses hommes, accroche le pilote britannique, qui parle quelques mots de français.
— Dites, mon vieux, nous sommes en train de nous tromper… Le cap Nègre est là, sur la droite ; il faut piquer sur lui au lieu de continuer à filer trop à l’ouest !
L’Anglais fait un geste d’impuissance.
— Désolé, sir, j’ai ordre de suivre le premier LCA.
— Mais justement, Bon Dieu, on ne le voit plus. Il a filé pendant que nous repêchions mes hommes ! Il faut virer de bord !
— Désolé, sir, je ne peux pas…
Jeannerot ne sait pas qu’à la même seconde Ducournau s’est lui aussi aperçu de l’erreur des marins.
— Ça ne colle pas, soliloque-t-il, on est trop à l’ouest. Lieutenant, dit-il à l’officier de la Navy, toujours à ses côtés, dites à votre pilote de virer sur tribord.
— Mais…
— Il n’y a pas de mais, mon vieux, coupe Ducournau, si nous continuons comme ça, nous raterons notre point de débarquement.
L’Anglais acquiesce, dompté par le petit capitaine.
— All right !
Il se retourne et lance un ordre au pilote qui fait exécuter un virage de 300 à l’embarcation et fonce droit sur le cap Nègre.
Derrière, Jeannerot a beau tempêter, son pilote ne veut rien entendre, et le LCA continue son chemin vers la côte sans varier d’un degré. Le sous-lieutenant est furieux devant l’aberration des ordres britanniques. Soudain, le ciel s’illumine : une fusée monte lentement dans le ciel, retombant en illuminant le paysage comme en plein jour. Les commandos se sont recroquevillés sur place, faisant le dos rond. Le LCA file sur son erre, moteur coupé. Un choc : l’avant a heurté les rochers affleurant à la surface, à dix mètres de la côte. La porte métallique s’abat à moitié pendant qu’une seconde fusée épanouit sa lumière. Jeannerot jette un coup d’œil circulaire. Il est isolé, pas de second LCA.
— Dégagez le LOA, faites machine arrière ! Nous ne sommes pas au bon endroit ! Nous ne pouvons pas débarquer ici !
Les marins ont l’air affolé ; en tout cas, ils ne veulent rien entendre. Jeannerot s’efforce de rester calme, mais il sent la colère l’envahir.
— Dégagez, c’est un ordre !
Le dernier mot est ponctué par une longue rafale de mitrailleuse. Les balles ricochent en miaulant sur les parois métalliques. Jeannerot décide en une seconde
— Derrière moi !
Il saute sur le rocher, suivi par le caporal Minet, FM sur l’épaule. Le sous-lieutenant mesure du regard la masse liquide qui, à ses pieds, le sépare de la terre ferme : il y a au moins deux mètres d’eau.
— C’est profond, mais il faut y aller… Gonflez les ceintures de sauvetage et en avant !
Les doigts agrippent les bouchons des bouteilles d’air comprimé : en une seconde, les ceintures se gonflent et, les uns après les autres, les commandos sautent à l’eau. Dix mètres à parcourir avant de mettre le pied au sec.
— Merde ! Mon FM !
Albert Drié vient de lâcher son arme. Il nage vers la côte, furieux, s’attendant à un sérieux savon de la part de son chef de section. Celui-ci a bien d’autres choses à penser. Il vient d’aborder la plage hérissée de rochers et arrosée par les Allemands qui tirent de tous leurs feux sous la lumière glauque des fusées qui montent régulièrement dans le ciel. Jeannerot se dissimule derrière un rocher, regardant ses hommes débarquer… Il entend distinctement les commandements des Allemands, ponctués de cris, de bruits de bottes. Un regard sur le cadran de sa montre lui apprend que celle-ci s’est arrêtée, vraisemblablement bloquée par l’eau de mer. Elle indique 0h43, ce qui lui fait déduire qu’il doit être 1 heure du matin, un quart d’heure à peine s’étant écoulé depuis qu’il a sauté du LCA.
Jeannerot inspecte la plage ; devant lui, un petit bois, qui sera toujours plus agréable que cette plage sur laquelle il a la désagréable impression d’être un lapin livré au chasseur. Un geste du bras indiquant la direction et il bondit en avant, suivi de ses commandos. Il court, plié en deux, puis s’affale à l’abri d’un arbre. Derrière lui, la cavalcade de ses gars ponctuée par les tirs venant de l’est. Albert Drié, quant à lui, pense, tout en courant, que si les copains sont en mer, ils doivent assister à un fameux spectacle. Il retrouve ses camarades progressant à l’abri des arbres.
— Mon lieutenant ! Un passage à niveau !
L’adjudant Allery de Cherchemont, mince et borgne, désigne la petite maison près d’un panneau que Jeannerot déchiffre : « Aiguebelle. » Il tente de se souvenir de sa carte, et en conclut qu’Aiguebelle se trouve près de la plage de la Fossette, à environ 4 km du cap Nègre. Il ne se trompe pas et décide en conséquence de gagner le maquis de l’autre côté de la voie.
— Planquez-vous !
Allery repousse violemment du bras son chef. Une femme vient d’apparaître dans la pénombre, près de la petite gare, à quelques mètres :
— Qui est là ?
Elle écarquille les yeux, distinguant des cas qui n’ont pas la forme caractéristique des casques allemands.
Jeannerot surgit, un doigt sur la bouche.
— Français ! Silence, on passe !
Les 35 commandos traversent la voie, s’enfonçant dans le maquis. Le dernier est à peine passé qu’un soldat feldgrau apparaît, voit la femme :
— Madame, vous n’avez pas vu des soldats.
— Des soldats ? Oh non !
Jeannerot, tout près, a entendu. Il soupire, soulagé, et chuchote pour lui seul.
— Merci, Madame…
Ses commandos l’attendent. On se compte rapidement : tout le monde est là. Pas un mort, pas y blessé, pas un traînard. L’entraînement intensif ci- derniers mois donne ses résultats.
— Allons-y !
Derrière le sous-lieutenant, les 34 soldats s’enfoncent dans le maquis.
A trois kilomètres de là, Ducournau vient de prendre pied sur l’étroite plate-forme comme accroche au pied du cap Nègre. La falaise s’élève au-dessus de sa tête, vertigin5use. Il la considère, regard levé, vers le sommet, les poings sur les hanches. Autour de lui, silencieusement, ses commandos abordent, reprenant leur souffle, attendant les ordres. Ils savent que, là-haut, trois tubes de 155, à l’abri de leur casemate bétonnée, les attendent avec leurs servants encore inconscients du danger tout proche. Ducournau, s’appuyant sur le rocher, recule d’un pas, sentant l’eau battre à dix centimètres au-dessous de sa semelle caoutchoutée. Les Français se préparent à redevenir ces démons de la guerre qu’ils ont été à le d’Elbe. Parmi eux, le sergent Daboussy. Un commando pas comme les autres : spécialiste de la haute montagne, membre du club alpin d’Alger. C’est vers lui que, son inspection terminée, Ducournau se tourne :
— Allez-y, Daboussy !
Le montagnard s’approche de la paroi rocheuse, vérifie la longue corde qui pend à son ceinturon, puis, aspirant profondément, il se lance à l’assaut de la falaise. Assurant sa première prise, il pose un pied, envoie vers l’avant l’autre main et s’élève lentement, sûrement, au milieu des affleurements de rochers, des touffes de plantes odoriférantes, des ronces et des éboulis.
En bas, l’attente de Ducournau et de ses compagnons leur paraît un siècle. Ils ont vu Daboussy grimper mètre après mètre, puis disparaître à leurs yeux, happé par l’obscurité et les replis de roche. Les minutes ont passé. Daboussy émerge sur le rebord du cap Nègre, les mains et le visage meurtris par les aspérités. Il balaie du regard le paysage, cherchant un tronc d’arbuste résistant pour y fixer l’extrémité de sa corde. Ayant trouvé, il arrime solidement le chanvre et laisse tomber l’autre extrémité dans le vide, 80 mètres plus bas. Ducournau voit descendre vers lui le filin rugueux, le saisit à son tour et, tirant sur ses bras, s’agrippant des pieds et des jambes, il commence lui-même à monter. Derrière lui, lourdement chargés de 20 kg d’armes et de munitions, ses commandos s’élèvent à leur tour, retenant leur file car ils savent, que là-haut, peut-être, le combat les guette. Dans leur dos, la Méditerranée clapote doucement. Le vent, faible, apporte à leurs narines la senteur embaumée des mimosas et des plantes de la Côte d’Azur, qui déjà les avait frappés au large.
Une demi-heure se passe. Les commandos sont maintenant groupés autour de leur chef, aplatis dans buissons d’épineux, prêts à bondir sur les Allemands. Mais il n’y a personne. Suffoqués, les Français regardent autour d’eux, cherchant à distinguer les batteries qu’ils doivent détruire.
C’est au moment où ils se disent qu’on ne voit vraiment rien sur cette plate-forme qu’une nouvelle fusée monte lentement. Ducournau découvre alors un paysage lunaire : l’aviation alliée a tellement bombardé le cap Nègre que la végétation semble avoir été soufflée par un ouragan. Seuls les réseaux de barbelés, les chevaux de frise sont encore là, éléments métalliques au milieu des troncs d’arbres brisés dressant leurs moignons vers le ciel. Ducournau lance un ordre, presque chuchoté mais que tous entendent.
Les pinces coupantes entrent en action. Derrière, les commandos aperçoivent brusquement les batteries. Deux, seulement, car la dernière a sans doute été détruite par les aviateurs. Ducournau sourit dans l’ombre, comme chaque fois qu’il sent l’approche immédiate du combat.
— Attention, les gars ! En avant !
Les 35 hommes bondissent en hurlant comme des loups, Thomson à la hanche, tirant en courant. Les fusils lance-grenades expédient leurs projectiles vers les ouvertures des blockhaus. En face, brusquement sortis de leur veille, les Allemands hurlent aussi, leurs cris gutturaux se mêlant aux rafales de Schmeisser claquant en écho des chapelets de balles françaises. Miaulement de balles, éclatement des grenades… Les assaillants, vidant leurs chargeurs, parviennent au premier canon. Nouvelle surprise : c’est un 77 et non un 155, les Allemands ayant changé au dernier moment les pièces détruites par les bombardements.
Daboussy et Nardeau attaquent le premier canon au lance-grenades et Nardeau se précipite au milieu du fracas vers le second. Il y parvient au moment où son camarade Pépion s’apprête à le neutraliser. En plein combat, les commandos se disputent les victoires !
— Arrête, Pépion ! Celle-là est à moi !
Le petit sergent Pépion cligne des yeux, voulant répondre malgré l’explosion de la première pièce et les balles traçantes qui ricochent sur la canonnière. Il réussit à crier :
— Un bengalore, vite !
Quelqu’un lui passe une torpille qu’il glisse en un quart de seconde — l’entraînement, toujours — dans la gueule de la pièce de campagne. Deux secondes plus tard, une déflagration étourdissante jette à terre le sergent Pépion et les cinq hommes qui l’on suivi. Lorsqu’ils se relèvent, ils voient leur chef, Ducournau, Thomson sous le bras, campé sur ses jambes au milieu de la batterie… Il sourit, sentant la fin du combat. Les tirs, en effet, décroissent d’intensité, la fumée noire se fait moins épaisse. Un nouveau cri de triomphe.
— Les Boches se rendent !
Dans la pénombre, en effet, les commandos d’Afrique voient s’avancer vers eux les silhouettes des défenseurs du cap Nègre. Bras levés. Ils laissent vingt morts sur le terrain. Les commandos, eux, n’ont que deux blessés.
Il est 1 h 45. Le premier combat du débarquement est achevé.
Dans les 22 LCA de débarquement, le gros des commandos d’Afrique, sous les ordres du colonel Bouvet et de son adjoint le capitaine Ruyssen, s’est approché silencieusement de la côte, à la hauteur de la plage du Canadel dominée à quelques centaines de mètres par la masse boisée et sombre du cap Nègre.
Les marins fouillent désespérément la mer, cherchant à apercevoir les signaux lumineux que le capitaine Rigaud doit leur envoyer. Ils ne savent pas que la plage qui est devant eux n’est pas celle du Rayol, où Rigaud, depuis une heure effectivement, émet signal sur signal avec sa torche électrique. Bouvet s’est rendu compte de l’erreur commise par la marine canadienne qui a lâché les commandos quelques degrés à l’ouest du point prévu. On ne peut plus attendre : d’un geste sec, il montre le rivage au midship canadien qui commande son LCA. Le marin hésite et Bouvet, exaspéré, finit par sortir son colt et par menacer le matelot qui manoeuvre. Les 22 LCA virent à gauche et mettent le cap sur la plage.
1 h 35 : les abattants métalliques s’abaissent dans un bruit de ferraille, libérant les 600 commandos d’Afrique qui progressent vers le rivage. Nombreux sont ceux qui, en mettant le pied sur le sable, se courbent furtivement et baisent la terre de Fran A ce moment précis, le cap Nègre s’illumine d’éclairs, de fusées, de lueurs d’explosions, ta qu’éclatements et rafales résonnent et roulent jusqu’à la mer. Là-haut, Ducournau attaque!
Pendant ce temps, sur la face est du cap Nègre, les hommes de Texier attendent dans l’obscurité, plaqués contre les rochers. Ils serrent les dents. Tout à l’heure, quand ils ont escaladé le roc tombant à pic dans la mer, suspendus dans le vide le dos à la mer, ils ont essuyé un jet de grenades des Allemands inquiets. Leur chef, l’adjudant-chef Texier, a été touché de plein fouet. Ils ont vu son corps retomber de rocher en rocher et, respectant la consigne silence, il a agonisé sans desserrer les dents. En commando. Son sacrifice a permis à Ducournau en attirant les Allemands dans son secteur, détruire les défenses du cap Nègre. Dans quelques heures, des dizaines de milliers d’hommes fouleront le sol de Provence.
Visionner les galeries photos de l’ECPAD sur le débarquement de Provence d’août 1944
Les commandos d’Afrique
Créé officiellement le 26 juillet 1943, le groupe des commandos d’Afrique prend la suite du corps franc d’Afrique. Sous le commandement du chef de bataillon Bouvet, ayant pour adjoint le chef de bataillon Ruyssen, il s’entraîne à Staouéli, s’embarque pour la Corse, libérée en décembre 1943.
Le 2e commando effectue un raid sur l’îlot de Pianosa le 18 mars 1944. Le 17 juin 1944, le Groupe débarque à 4 heures du matin au sud de l’île d’Elbe et joue un rôle décisif dans la prise de l’île. Le sergent-chef Alexandre Sanguinetti perd une jambe au cours de cette opération. Dans la nuit du 15 août, l’unité débarque en Provence en tête de tous les Alliés. Le cap Nègre, le Lavandou, Mauvannes, Le Coudon et Toulon sont les étapes précédant la prise de Marseille, où le Groupe incorpore plusieurs éléments FFI, dont le commando de Provence.
Remontant vers les Vosges, il se bat à Cornimont en octobre et prend Belfort le 20 novembre. L’unité que commande le colonel Bouvet devient, au début janvier 1945, le 3e groupement de bataillons de choc. Il se bat à Cernay, où il subit de lourdes pertes le 21 janvier. Dès le 18 mars, un élément franchit le Rhin à Kembs. A l’automne 1945, le Groupement est dissous pour devenir le 1er régiment d’infanterie de choc aéroportée, aux ordres du colonel Vergoz.
Colonel Georges-Régis BOUVET
Né le à Issoudun et mort le , il est un général français qui a été à la tête des commandos d’Afrique au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il reçoit, ainsi que Paul Ducournau, le la rosette de la Légion d’honneur des mains du général de Gaulle. Il est l’auteur d’un livre de souvenirs de guerre « Ouvriers de la première heure ».
Il est saint-cyrien et breveté. Il a été instructeur au peloton des EOR de Saint-Cyr en 1931.
En 1942, peu avant l’débarquement allié, il est à l’état-major de la division de Casablanca. Dans le bureau du colonel Molle, il reçoit les instructions de Béthouart, sur l’accueil à réserver aux troupes alliées, afin d’éviter toute effusion de sang inutile. Le complot échouera, Béthouart, Molle et Magnan sont arrêtés. Bouvet écope de quelques jours d’arrêt. Considérés comme factieux, lui et ses camarades sont dispersés dans des affectations « disciplinaires ». Il est affecté à un bataillon de formation, le V/1er RTM où il va ronger son frein.
Au moment où le général de Monsabert met en place les Corps francs d’Afrique, il se met en contact avec le Colonel Magnan qui part pour le Corps franc d’Afrique (CFA). Il part pour Tabarka, via Alger. Le , il marche avec le CFA, objectif Bizerte. Le char US sur lequel il est monté est frappé d’un obus et se renverse. Il s’extrait d’un buisson et rameute ses hommes. Le 1er bataillon de Bouvet se rend maître du terrain. Il fonce sur Bizerte le , traverse le Djebel Abiod. Il entre dans Bizerte à la tête du 1er bataillon du CFA. Il manque de peu d’être touché par un obus antichar à la caserne Japy et croisera là Habib Bourguiba et deux de ses compagnons.
Après la dissolution du CFA, le , il est commandant. Ce même jour sont créés des unités de commandos et le Groupe de Commandos d’Afrique rattaché à la 3e DIA. Bouvet en assure le commandement.
Le groupe de commandos d’Afrique, sous l’autorité de Bouvet (promu lieutenant-colonel, sous les ordres du Général Magnan) participera :
- à une tentative de débarquement sur l’île de Pianosa le , reprise avec succès en mai ;
- au débarquement de l’île d’Elbe du 17 au ,
- au débarquement de Provence entre le 15 et , avec le débarquement sur les plages du Canadel, de Pramousquier, l’escalade du Cap Nègre (durant laquelle sera tué l’adjudant chef Noël Texier qui fut le premier mort du débarquement), la libération du Lavandou et de Bormes les mimosas, la prise de la batterie de Mauvannes et du Fort du Coudon (aujourd’hui « fort du Lieutenant Girardon », ainsi nommé en mémoire de ce jeune officier tombé lors de la prise de ce fort).
Puis ce sera la longue remontée vers le nord et l’est qui conduira les commandos vers Belfort, les Vosges, Giromagny et Cernay. Il va amalgamer des détachements FFI. Puis ce sera le Rhin puis le Danube. Le , Bouvet et ses commandos sont au col de Wiedener Eck, en Forêt-Noire. Le , il reçoit l’ordre de nettoyer les hauteurs de Menzenschwand et la haute vallée de Brandenberg puis de se regrouper le 1er mai au soir à Schluchsee.
Le , après une dernière fusillade, vient le calme de la capitulation le lendemain de l’Allemagne nazie.
Après la remise de la Légion d’honneur, à Constance, le , commence la vie d’occupation en Allemagne. Le lieutenant-colonel Bouvet passe son commandement à son adjoint, Ducournau, et part rejoindre l’État-major de la Division d’Alger comme Chef d’état-major.
Capitaine Paul DUCOURNAU, surnommé « Le Preux » par ses hommes.
Paul Ducournau Paul est né le 27 septembre 1910 à Orthez, Pyrénées-Atlantique. Quatrième enfant de Alfred Ducournau, clerc d’avoué et de Marie Castéra, il se marie le 24 décembre 1934 à Thérèse Tuquet, professeur. Ils auront trois enfants, Denise, Andrée (décédée le 10 août 2016) et Jean Paul (décédé le 14 septembre 1977).
Après des études au lycée Louis Barthou de Pau, il devient élève de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr (1930-1931). Sous-Lieutenant (1932), il est affecté au 15e RTA à Fès et participe aux opérations du Grand Atlas en 1933. Il est nommé lieutenant le 1er octobre 1934. Fait prisonnier, il s’évade et rejoint Périgueux (septembre 1940). Affecté au 26e RI le 15 novembre 1940, il est nommé capitaine le 25 mars 1941. En avril 1942, provisoirement détaché dans la Marine, il embarque sur le Strasbourg et le Dupleix.
Il passe en Espagne le 16 novembre 1942 et se présente au Consulat Général de Grande Bretagne à Barcelone le 20 novembre 1942 où il contracte un engagement volontaire dans les Forces françaises libres. Embarqué sur le bateau de pêche Joven Jaime à destination de Gibraltar, il est capturé par la Marine Espagnole 4 décembre 1942. Emprisonné en Espagne jusqu’au 25 juin 1943, il passe à Gibraltar en juillet. Engagé volontaire pour la durée de la guerre au titre du Corps franc d’Afrique à Casablanca le 6 juillet 1943, nommé capitaine le 8, il débarque de vive force à l’Île d’Elbe e 19 juin 1944.
Le 14 août 1944, à la tête du 1er commando, il débarque au cap Nègre et s’empare de la batterie de Mauvannes et du fort du Coudon à Toulon. Nommé chef de bataillon du 5e de Choc le 25 octobre 1944, il dirige les opérations de Belfort et le 18 janvier 1945, il est blessé devant Cernay, d’une balle au bras droit. Il saute sur une mine, est blessé au pied et est évacué.
Il reprend le commandement du 5e bataillon de choc le 23 avril 1945 et passe en Allemagne où il commande les opérations jusqu’au 8 mai 1945. Après-guerre passé dans le corps des parachutistes, il est nommé le 9 avril 1951 chef d’état-major de la 25e division infanterie aéroportée.
Le 20 août 1951, il rejoint l’Indochine française où il prend le commandement des troupes aéroportées nord avec le grade de lieutenant-colonel. Il aura sous ses ordres le 1er BEP avec le chef de bataillon Brothier, le 2e BEP, du chef de bataillon Bloch, le 3e BPC, du capitaine Bonnigal et le 6e BPC du chef de bataillon Bigeard.
De retour en France le 27 novembre 1953, il est promu au grade de colonel, chef de corps du 18e RIPC le 31 mars 1957. Général de brigade le 1er juin 1958, Commandant de la 25e DP le 1er décembre, Commandant de la 21e DI et de la zone sud Constantinois (18 avril 1960), il est promu général de division le 1er juin 1960.
Inspecteur de l’infanterie le 9 avril 1962, promu général de corps d’armée le 1er août 1963, il est nommé Gouverneur militaire de Metz le 16 mars 1963. Blessé à Vertus (Marne) le 20 avril 1967 par une pale d’hélicoptère au cours d’une mission d’inspection dans le cadre des manœuvres de la 8e DI, il est admis dans la 2e section des officiers généraux de l’armée de terre en avril 1968. Il nous quitte le 31 août 1985 à Pau. Le 18 juin 1960 une rue est inaugurée à Orthez en son honneur.
Le débarquement de Provence