mardi 19 mars 2024

Ce 14 juillet, (fausse) victoire des salafistes ? Les réservistes, la panacée ou un aveu de faiblesse ?

A la fin des magnifiques cérémonies parisiennes du 14 juillet avec ce splendide feu d’artifice s’achevant sur les couleurs de la France, je me disais que la sérénité de cette journée était assurée, même si je pensais par moment que cela était trop beau. Eh non, les vacances d’été en France n’arrêtent pas la marche du monde. L’islamisme radical a frappé à nouveau.

Le manque coupable de discernement de nos politiques

Horrible massacre à Nice où femmes et enfants n’ont pas été épargnés. Cela aurait-il pu être évité ? Non. En revanche, je comprends mal qu’aucune arme de guerre, dont venaient pourtant d’être dotés les policiers, n’ait pu s’opposer à l’attaque terroriste dans les rues de Nice alors que cette ville était une cible potentielle compte tenu des prises de position de l’ancien maire de Nice, aujourd’hui premier maire adjoint Christian Estrosi (Cf. Lire aussi le site du Mamouth »). Bien positionnés, la vingtaine de soldats de l’opération Sentinelle auraient-ils pu réagir avec leurs armes de guerre ? D’ailleurs auraient-ils pu ouvrir le feu légalement et dans des délais aussi brefs ? Enfin le maire n’aurait-il pas sous-estimé la menace ?

Certes, l’euro et le 14 juillet avaient montré l’efficacité des mesures de sécurité mais n’y a-t-il pas eu un « oubli » des villes de province sensibles ? Entendre le ministre de l’intérieur ce 15 juillet mettre Nice en « Vigipirate attentats », n’est-ce pas un aveu d’un grand manque de discernement face à la menace salafiste ?  Ce sentiment de manque de discernement est pourtant confirmé cette semaine qui a vu se multiplier les signes d’affaiblissement de la société française.

Pour l’affaire Merah, comme je l’avais pressenti (Cf. Mon billet du dimanche 17 avril 2016 « Le buzz des généraux et des politiques qui doivent se reprendre »), l’Etat a été condamné le 12 juillet à indemniser la famille du parachutiste assassiné Abel Chennouf : « La décision de supprimer toute mesure de surveillance de Mohamed Merah, prise à la fin de l’année 2012, après la conduite d’un entretien avec l’intéressé dans des conditions peu probantes, est constitutive d’une faute ». Paradoxe, la judiciarisation excessive de notre société aboutit à condamner l’Etat qui n’assume pas sa mission de protéger ses citoyens et sans doute demain qui ne donne pas tous les moyens à l’Armée pour protéger la vie de ses soldats, sinon pour gagner un conflit.

Autre signe, l’avocat de Salah Abdeslam considérait que les caméras dans sa cellule étaient une « atteinte grave et illégale à la vie privée au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ». Sa requête devant le tribunal administratif a été heureusement débouté … avant un éventuel recours devant la CEDH.

Le rapport de la commission d‘enquête sur le bataclan (Cf. Le Monde du 5 juillet 2016) n’est pas accepté par le gouvernement qui ne reçoit pas la commission. Son président, le député Fénech, interviewé ce vendredi 15 sur RTL, ne sera reçu que pour un petit déjeuner avec le ministre de l’intérieur. Celui-ci lui signifiera pratiquement une fin de non-recevoir sur les propositions faites et un rejet du rapport. Inquiétant manque de perspicacité avant le 14 juillet.

Peut-on accepter aussi ce vendredi 15 juillet sur TF1 l’allusion du ministre de l’intérieur au fait que les effectifs de sécurité ayant diminué sous l’ex-président Sarkozy soient une des causes du succès des actions terroristes aujourd’hui, attribuant au seul quinquennat actuel la volonté de lutter contre le salafisme ? A partir de quand les effectifs des forces de sécurité ont-ils été augmentés (Cf. Le Monde du 17 novembre 2015 : « Depuis 2012, les effectifs des forces de l’ordre ont diminué ») Quel était l’objectif de la loi de programmation militaire suivant le Livre blanc de 2013 validé par ce même gouvernement, sinon de réduire encore plus les effectifs militaires ?

L’aveuglement choisi du gouvernement actuel en ignorant l’ennemi islamiste radical identifié dans les travaux préalables du Livre blanc est coupable (Cf. Mes billets de septembre 2014 : 14 septembre 2014,« Le djihadiste, un ennemi bien identifié en France ?; 21 septembre 2014 « Sécurité nationale et djihadisme, une longue guerre en perspective » et 28 septembre 2014,« De la guerre et de l’Islam en France »).

De même, l’opération Sentinelle est contestée oubliant que peut-être s’il ne s’est rien passé depuis sa mise en place, c’est qu’elle a été utile. Comme cela l’a été rappelé par le ministre de la défense, une des missions de l’Armée est de protéger les Français. Il s’agit bien d’une dissuasion « conventionnelle », dont beaucoup ne voulaient pas entendre parler avant 2015. De fait, l’opération Sentinelle sera sans aucun doute maintenue.

Enfin la France est engagée dans une guerre idéologique, une guerre des volontés et des perceptions avec daech (ni « daech » ni « état islamique » ne méritent de majuscule. Ce mauvais emploi de la langue française lui donne beaucoup d’honneurs non mérités). Evoquer l’épuisement que ce soit souvent pour les policiers (Cf. le dernier en date, Le Monde du 16 juillet 2016), parfois pour les militaires est un mauvais message. Un article du Monde du 17 juillet rappelle d’ailleurs que pour la même mission, il faut « 3,69 » militaire pour « 5,77 » policier…

Or la stratégie d’épuisement est parfaitement décrite dans le document définissant la stratégie de daech et intitulé « Gestion de la barbarie ». Elle est l’un des objectifs de cette dispersion des actes terroristes. Nous avons affiché des faiblesses, peut-être réelles, mais qui ont été une incitation à la poursuite des opérations de daech. Une certaine prudence aurait pu être appliquée que ce soit par des responsables politiques ou syndicaux qui évoquent mois après mois un épuisement des forces.

Combattre froidement et implacablement les non-humains salafistes de daech

Cela suffit. Il faut que le politique cesse de faire référence à la seule menace terroriste. Le droit et son contrôle par la CEDH ne peut pas s’appliquer strictement à ces non-humains salafistes. L’usage des armes doit être élargi pour être dissuasif et rendre aléatoire le succès d’une action terroriste.

En effet, nous ne combattons pas le terrorisme. Nous combattons l’islamisme radical. Ne pas le dire signifie que nous accepterions l’islamisme radical s’il n’était pas violent ! Faut-il le rappeler au président de la République ? Puis-je lui dire qu’il est temps d’enlever ses œillères, de quitter son dogmatisme, de dire qui est l’ennemi de notre société même si le Premier ministre et le ministre de la défense le disent pour lui ? Il suffit pour s’en convaincre de se rendre sur le site de l’Elysée et de faire une rapide étude de contenu par mots clés des discours tenus par le président de la République depuis 2012 à aujourd’hui. L’islamisme radical a été évoqué une seule fois en 2012 devant les représentants de la communauté juive de France puis trois fois en 2015 à la grande différence du mot « terrorisme » omniprésent depuis 2012. Et rien en 2016 sauf erreur.

L’islamisme radical et les règles de droit, y compris contrôlées par la CEDH, ne peuvent pas s’appliquer à des non-humains qui tuent sans discrimination hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, Français, étrangers. Ensuite, les non-humains n’ont pas à bénéficier des mêmes droits que tout membre de notre civilisation. Sans esprit de vengeance ni haine, il faut savoir en revanche être implacable par l’action, quitte à tolérer des injustices ! Nous sommes dans un nouveau type de guerre où le droit doit s’adapter et aller au-delà de l’état d’urgence. Ne serions-nous pas à la limite de la mise en œuvre de l’état de siège qui devrait logiquement prendre la suite de cet état d’urgence si la menace terroriste s’accroissait ?

L’emploi des armes doit être revu et les militaires doivent être libérés d’un certain nombre de contraintes juridiques. Pour être crédible, une force militaire doit pouvoir utiliser ses armes, ultime dissuasion face à la menace salafiste. Cette frilosité du pouvoir civil devant l’usage des armes sera de toute façon mise à l’épreuve avec le déploiement des réserves (Cf. Mon billet du 29 mars 2015 et cet article du Monde du 15 juillet 2016) qui devront bien pouvoir les utiliser et donc être entraînées avant tout déploiement, ce qui laisse un grand doute sur la valeur « opérationnelle » d’une partie d’entre elles…

Aux armes, citoyens contre les non-humains ! La réserve opérationnelle, nouvelle panacée ?

Dans le cadre de la campagne nationale de recrutement des réservistes lancée en mars 2016, je recevais sur mon blog le 13 juillet matin ce commentaire bien à propos du 21e régiment d’infanterie de marine de Fréjus, premier régiment où j’ai servi. Il appelait à servir comme réserviste (reserve@21rima.org). Il est temps de se rappeler qu’être citoyen, c’est aussi être capable de défendre son pays et sa population par les armes. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a précisé ce que sont les réserves que beaucoup de Français semblent découvrir :

« La réserve militaire est constituée de la réserve opérationnelle et de la réserve citoyenne. La réserve opérationnelle regroupe deux composantes. La réserve opérationnelle d’engagement est composée de volontaires (civils ou anciens militaires), amenés à servir en opérations extérieures ou sur le territoire national. Ceux-ci renforcent les effectifs d’active, entretiennent l’esprit de défense et contribuent au maintien du lien entre la Nation et ses forces armées. La réserve opérationnelle de disponibilité comprend, quant à elle, les anciens militaires soumis à une obligation de disponibilité pendant les cinq années suivant leur départ des forces armées. En cas de crise majeure, le Premier ministre peut, en application de la loi du 28 juillet 2011, faire appel à la réserve de sécurité nationale (RSN) qui permet à l’État de mobiliser les réservistes des armées, de la gendarmerie et de la police nationale ainsi que ceux des différentes réserves civiles ».

Trois ans après quand même, la loi de finances de 2016 pour la défense a prévu une augmentation extrêmement importante du budget pour la réserve militaire, soit 88 millions d’euros (71 M€ en 2012). La réserve opérationnelle militaire comprend aujourd’hui 51 000 réservistes, soit 28 700 pour les armées et 23 000 pour la gendarmerie. L’armée de terre vise 24 000 réservistes au lieu de 16 000 en 2019. 36% des réservistes sont d’anciens militaires, 18% sont des officiers, 38% des sous-officiers, 44% des militaires du rang, 20% des femmes. Mais tiendrons-nous jusqu’en 2019 après tant d’années perdues dans l’inaction ?

En effet, les appels à la fois pertinents et inquiétants à rejoindre la réserve opérationnelle de ce 16 juillet montrent l’impréparation gouvernementale à y faire appel en tant que de besoin et sa méconnaissance de ce système, sinon même une certaine confusion. J’avais été surpris d’ailleurs dans cette conférence conjointe de ne pas entendre, malgré la question d’un journaliste, le ministre de la défense y faire référence et laisser le ministère de l’intérieur l’évoquer. Ce choix politique s’est confirmé le soir même avec ce « nouvel appel » lancé par Bernard Cazeneuve à rejoindre la réserve opérationnelle de la police et de la gendarmerie. La réserve opérationnelle militaire était laissée de côté.

Je constate aussi la méconnaissance du ministre de l’intérieur des termes officialisés depuis 2012 pour les réservistes de la police. Il existe une « Réserve civile de la police » (Cf. Code de la sécurité intérieure 411-7) et non une réserve opérationnelle, terme retenu pour les militaires. Un rapport du Sénat du 15 juillet 2014 a pourtant rappelé ce que sont les différentes réserves en France (Cf. Rapport d’information du Sénat sur la mise en œuvre de la loi n°2011-892 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure) tout en faisant des recommandations pour faire face à une crise majeure qui me semble bien exister aujourd’hui.

La montée en puissance de la réserve opérationnelle militaire pour 2019 a été engagée par le ministre de la défense en mars 2016 lors de la journée nationale du réserviste que, souvent, les médias ignorent. Qu’en est-il de la réserve civile de la police ? Comment comprendre que cette réserve civile de la police ne soit pas prête ? N’y-a-t-il pas une lacune grave ? Les recommandations émises par le rapport d’information du Sénat ont-elles été suivies d’effets ?

Pour conclure

Malgré ces morts, l’attentat salafiste de Nice n’est-il pas le symbole de l’échec de daech ? La sécurité a été assurée en France pendant des semaines sur de multiples sites sensibles. Le non-humain tunisien a donc cherché les vulnérabilités car il y en aura toujours. Cependant, ceci montre indirectement le succès des mesures de sécurité.

De même, la récupération manifeste ce 16 juillet par daech de cet attentat montre le peu de vraisemblance d’une opération organisée de l’extérieur mais l’enquête le dira. L’annonce sans doute trop rapide du président de la République de l’acte terroriste aurait pu se retourner contre lui et créer une crise politique. La revendication opportune de daech en revanche légitime ses décisions tout en laissant croire que la stratégie de daech de franchisation au niveau individuel de l’acte terroriste est opérante.

Cependant la menace intérieure implique une stratégie d’action plus résolue. Elle implique la prévention de la radicalisation plus que la déradicalisation. Un fanatique même non violent reste un fanatique. Elle implique aussi la lutte contre la subversion qui vise à déstabiliser sans violence physique l’Etat, et la dissimulation des salafistes au sein de nos institutions ou dans la société. Elle est menée déjà au moins dans les armées comme en témoigne le directeur de la DPSD dans un rapport parlementaire (Cf. Zone militaire du 30 juin 2016, « La DPSD suit « en priorité » une cinquantaine de cas de radicalisation dans les armées »).

Enfin, n’oublions pas ces enfants endoctrinés dès le plus jeune âge qui reviendront en France un jour ou l’autre. Quelles seront les solutions ? La rééducation ? L’enfermement et dans ce cas pour combien de temps ? Dans tous les cas, le pardon peut-il être envisagé pour les parents ? A mon avis, non et cette guerre idéologique comme toute guerre de ce type sera longue. Il n’est plus temps de chercher à comprendre. Si nous n’avons pas compris avec l’attentat de ce 14 juillet, nous ne comprendrons jamais. Pour ceux qui ont compris, il est temps en revanche de combattre l’idéologie salafiste sous toutes ses formes, violentes ou non violentes.

A priori, cela est mon dernier blog de l’été. Reprise première quinzaine de septembre sauf si la situation impose de réagir avant. J’ose souhaiter à chacun de bonnes vacances après les trois jours de deuil national.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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