Un bon moyen de resserrer le lien entre le militaire et la société est de se retrousser les manches et d’aller s’entretenir de la défense avec nos concitoyens. C’est ce à quoi s’est attaché le général de corps d’armée (2S) Jean-Claude THOMANN, profitant de l’opportunité offerte par Lille, sa garnison et sa municipalité.
La place du militaire dans la Nation est plutôt bien identifiée, même si son rôle et son importance dans la construction sociale peuvent prêter à bien des débats.
Il est aussi souhaitable de s’intéresser à la place du même militaire dans la Cité, métropole, ville ou village, où sa relation aux concitoyens relève moins de l’analyse générale et assez théorique du « dialogue Armées-Nation » que d’une cohabitation marquée par la proximité et le caractère très concret de son positionnement dans le milieu qui l’accueille. Or, si peu de militaires en activité peuvent s’impliquer dans des responsabilités locales, électorales ou associatives, il n’en va pas de même de la grande cohorte des militaires « retraités » qui ne doivent pas se limiter à l’animation d’associations du monde combattant. En effet, leur disponibilité, leur liberté d’engagement et leur sens du collectif les autorisent es qualité à une participation active, et souvent bienvenue, à la vie de la cité. Et de fait, les exemples sont multiples et variés de ces engagements locaux de la part d’anciens militaires soucieux de continuer à servir leur pays, comme ils l’ont fait dans leur carrière.
Mais il est un type d’engagement particulier dont l’importance dans une société de la désinformation ne doit pas être négligée : il s’agit d’expliquer « aux civils » la défense, les armées et leurs problématiques en jouant sur les réseaux locaux et la proximité qu’offre le cadre de vie de la cité.
À ce titre, l’expérience conduite ces dernières années à Lille est un exemple qui peut retenir l’attention par son caractère assez innovant et qui ouvre des perspectives nouvelles en termes de collaboration entre anciens militaires, militaires en activité, autorités municipales et concitoyens.
Il s’agit de l’initiative prise conjointement en 2008 par la maire de Lille et son premier adjoint d’une part et l’auteur de cet article d’autre part, qui, après avoir posé le sac, s’était installé dans l’agglomération lilloise. Pour les autorités municipales, la finalité de la démarche était de manifester, par son engagement concret, l’intérêt de la ville et de ses citoyens pour une communauté militaire très importante, avec plusieurs grands commandements installés dans la métropole (CFAT [1], CRR Fr [2], OGZD [3], Cdt région Gendarmerie) et de créer de ce fait un lien original entre la cité et ses militaires. C’est ainsi que naquit l’idée d’une mission municipale dédiée à l’information sur les problématiques de défense avec un focus sur la population estudiantine, très nombreuse dans la métropole, et à l’organisation de colloques sur ces thèmes avec, compte tenu du positionnement de Lille, une orientation marquée sur les aspects « Europe de la défense » des manifestations à conduire.
La Mission Lille Eurométropole Défense Sécurité (MLEDS) fut donc créée en 2009 avec l’ambition affichée de contribuer au rayonnement européen de la ville de Lille et, plus largement, de la Région Nord en matière de défense et sécurité européenne et internationale.
Quatre axes d’effort sous-tendaient le projet :
- Améliorer la synergie entre communautés politique, universitaire et militaire dans la valorisation des atouts européens de la métropole lilloise.
- Créer un réseau sous l’égide de la mission et avec l’aval des autorités universitaires, rassemblant des étudiants des quatre universités et des grandes écoles locales, pour sensibiliser cette population aux thématiques de défense et sécurité.
- Apporter un soutien concret de la municipalité aux manifestations des écoles, centres de recherche et institutions spécialisées traitant de ces problématiques.
- Enfin, de manière plus générale, et dans une démarche citoyenne, donner aux personnes intéressées ou susceptibles de l’être une information de qualité et actualisée sur toutes les questions de défense et sécurité, nationale et européenne.
Dès sa création, l’action de la Mission LEDS s’est appuyée sur l’adhésion de nombreuses personnalités de tous horizons, politique, économique, universitaire, social et culturel, et bien sûr l’appui des commandements locaux, avec un postulat de neutralité politique absolue. En parallèle, un conseil scientifique était constitué par des personnalités sollicitées es qualité pour réfléchir aux actions à mener et aider à trouver des intervenants de haut niveau et des patronages ou mécénats significatifs. Enfin, si la mission était bien dirigée par un officier général en deuxième section agissant bénévolement et en toute indépendance, elle était domiciliée dans l’Hôtel de Ville et organisée autour d’un haut-fonctionnaire municipal, ancien de l’IHEDN régional et très au fait des questions de défense et sécurité, assisté de jeunes doctorants et étudiants. Le Directeur des services de la ville était, quant à lui, l’autorité chargée de fournir le financement et la logistique nécessaires à l’animation de la mission.
En 2019, la MLEDS a fêté sa première décennie d’activités, constituées pour l’essentiel de conférences, cafés-défense pour les étudiants (et seniors intéressés !) et séminaires ou colloques. Experts reconnus et personnalités se sont succédé au pupitre ou sur l’estrade, assurant à la mission une réputation de très haute tenue et de grand intérêt de ses manifestations. Dès 2010, la mission recevait conjointement avec le CRR-Fr le prix Armées-Jeunesse pour son action citoyenne et sa démarche au profit des étudiants. En effet, le CRR-Fr a été associé d’emblée aux activités de la mission en accueillant, dans le cadre prestigieux de la reine des Citadelles, qui abrite son état-major, un grand colloque annuel, « Les Ateliers de la Citadelle », qui rassemble des militaires, étudiants, chercheurs et citoyens de plusieurs pays, pour une journée dédiée aux problématiques de défense européenne et animée par des personnalités de très haut niveau. Ces Ateliers ont, au fil du temps, engrangé le soutien d’organisations comme l’OTAN et l’UE, de médias comme France Culture ou le magazine mensuel DSI et de nombreux acteurs économiques et culturels régionaux, tous intéressés par le caractère novateur de cette initiative.
Au bilan, cette démarche réellement « municipale » et civile, qui devait veiller à ne pas empiéter sur les attributions et actions de l’OGZD/DMD tout en l’associant pleinement, a contribué à renforcer les liens entre la ville et la communauté militaire et à mieux faire connaître les grands commandements implantés dans la métropole. Elle a ainsi permis, entre autres, au CFT et au CRR-Fr, de mobiliser des étudiants pour l’animation des ʺwhite cellsʺ des grands exercices, ou encore de créer des liens avec les enseignants et étudiants de l’École de Journalisme, de Sciences-Po Lille et d’autres grandes écoles. Par ailleurs, chaque année, une classe de terminale du Lycée FAIDHERBE participe en bonne place, après une préparation ad-hoc, aux Ateliers de la Citadelle, avec un impact certes non quantifiable, mais visiblement important sur la population lycéenne. A contrario, il faut malheureusement relever la très grande, voire insurmontable difficulté de mobiliser et fidéliser des actifs du secteur économique pour le cycle de conférences, leur emploi du temps ne leur permettant pas de recevoir cette information qui, en termes de citoyenneté, leur serait pourtant bien nécessaire.
Enfin, il faut être conscient de ce que cette expérience a bien évidemment bénéficié d’un concours de circonstances qui en font un cas singulier tenant à la conjonction de la volonté et des moyens d’une grande cité, la présence et le soutien d’une communauté militaire de haut niveau , la bonne volonté d’autorités universitaires ayant adhéré au challenge et enfin l’acceptation par des hautes personnalités civiles et militaires, françaises et européennes, de participer par leur présence et leurs interventions à un exercice citoyen de pédagogie et d’information sur les problématiques de défense.
Certes, toutes les conditions locales différent, selon l’importance de la cité, de la présence des armées ou de l’existence d’un tissu universitaire plus ou moins développé, mais il n’en reste pas moins que le principe de la démarche suivie peut être dupliqué avec des adaptations et modulations dans la plupart des grandes et moyennes cités, dès lors que se manifeste une volonté d’agir dans le domaine de la pédagogie et de l’information de défense à l’échelle locale. Une initiative inspirée de la MLEDS (conférences, cafés-défense) est d’ailleurs conduite avec succès par un officier général en deuxième section à Vannes, qui associe autorités locales et université.
Il existe ainsi tout un champ d’activités de sensibilisation de nos concitoyens aux problématiques de défense qui passe par une implication des autorités municipales, auxquelles il faut montrer que, les concernant, la défense ne se réduit pas au seul monde des associations d’anciens combattants, mais qu’elles peuvent avoir un rôle majeur à jouer dans ce domaine en favorisant et soutenant des initiatives permettant une meilleure information, et donc une meilleure prise de conscience des citoyens. Il s’agit en priorité de convaincre nos concitoyens que la défense n’est pas une boite noire mais bien l’affaire de tous ceux qui entendent exercer avec discernement, sous réserve de l’information indispensable, leur devoir de citoyen. Et il revient également en priorité aux anciens cadres supérieurs de nos armées de consacrer un peu de leur temps disponible, là où ils se sont implantés, à cette démarche d’information, en relais de toutes les actions institutionnelles menées par ailleurs.
Texte issu du dossier n°25 du G2S « Le militaire et la société »
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- CFT : Commandement de la force d’action terrestre, aujourd’hui commandement des forces terrestres (CFT)
- CRR-Fr : Corps de Réaction Rapide France
- OGZD : Officier Général de Zone de Défense auquel on a rajouté de nos jours « et de Sécurité ».