En Indochine, la 6e compagnie du 1er RCP, dont les paras observaient les traditions de la cavalerie, était surnommée l’Escadron. Cette unité, qui donnera naissance au 1er RHP, a rendez-vous avec la gloire et la mort à Ho Khe.
Commandée par le capitaine Lorgeoux, la 6e compagnie du 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP) est engagée, à une soixantaine de kilomètres au sud d’Hanoi, avec les autres Bérets bleus (le béret bleu était la coiffure des parachutistes métropolitains, le béret rouge, celle des paras coloniaux) du commandant Mollat, dans le cadre de l’opération Pégase. Cette énorme manœuvre, qui a débuté le 9 décembre 1948, a pour but de détruire le potentiel militaire et industriel du Viêt-minh dans le Lien Khu III, une zone délimitée par les centres de Duc Khe, Phu Ly, Gian Khau, Phu Nco et Quam Chim. Deux groupements y prennent part, sous les ordres du colonel Gonnet. Le groupement nord est dirigé par le chef de bataillon de Breil de Pontbriand, commandant du groupement léger aéroporté du Tonkin (GLAP). Il comprend le 2e bataillon du 1er RCP, le 3e bataillon de tirailleurs algériens du capitaine Le Bihan, une section d’artillerie légère et une antenne chirurgicale. Le groupement sud est commandé par le capitaine de frégate Ponchardier et comprend le 1er bataillon du 1er RCP du capitaine Bastouil et de nombreux engins fluviaux des Dinassaut de la marine.
Les cavaliers parachutistes sont considérés comme des Bérets bleus comme les autres, mais ils soignent tout particulièrement leur image de marque. Ils n’oublient pas une seule de leurs traditions séculaires. C’est ainsi que leurs sections sont des pelotons, qu’ils sont hussards, brigadiers, maréchaux des logis et que le brigadier Chevalier, les hussards Chuffard, Saint-Martin et Genaro sont des « trompettes en pied ».
Pendant trois jours, ils ont attendu à Hanoi, sous pression, un saut opérationnel qui n’a jamais eu lieu à cause des pluies incessantes. C’est donc à bord de camions qu’ils ont quitté leurs cantonnements le 9 décembre. Après des accrochages presque quotidiens et une nuit de Noël sans joie mais passée dans le calme à Doc Tin, sur la rive droite du Song Day, l’escadron Mollat se sépare de son bataillon pour se placer sous les ordres directs du commandant du GLAP.
Le groupement nord de Pégase quitte le secteur de Doc Tin au matin du 27 décembre pour poursuivre ses fouilles vers le nord-ouest. Des renseignements sérieux signalent de solides positions viets sur l’axe Ho Khe-Ha Xa, qui court entre le Song Thanh lia et le Day. Un cadre rebelle, capturé au début de l’opération, précise même que deux bataillons du régiment 66, renforcés d’éléments lourds, ont reçu la mission d’arrêter les Français sur la ligne Ho Khe-Thong Tiêt-Trinh Tiêt pour permettre de s’échapper à quelques PC lourds du général Giap qui n’ont pas eu le temps de se replier. Le prisonnier n’est pas avare de détails. Il précise en effet qu’un bataillon de trois compagnies, renforcé de deux mitrailleuses et de mortiers de 50 mm, s’est établi face au sud entre les villages de Ho Khe et de Nong Khe. Il affirme aussi que l’autre bataillon détaché du régiment 66 tient les villages de Doi Ngo, de Ha Xa et de Trinh Tiêt avec deux compagnies légères et une compagnie lourde équipée de mitrailleuses de 12,7 mm, d’un canon de 20 mm et d’un mortier de 81 mm.
De Breil de Pontbriand a scindé ses forces en deux sous-groupements. Le premier, commandé par le chef de bataillon Mollat, progresse sur la rive droite du Day et comporte le gros du 2e bataillon du 1er RCP, renforcé par une section d’engins du GLAP. Le second avance vers l’objectif de part et d’autre du Song Thanh Ha. Le 3e bataillon de tirailleurs algériens marche en pointe, suivi par l’escadron parachutiste qui escorte l’élément de commandement de Pontbriand.
Le Viêt-minh ne tarde pas à se manifester. Mais ses tirs, par trop lointains, ne retardent en rien l’avance des Français. Les paras de l’escadron Lorgeoux pestent contre la pluie fine qui tombe sans arrêt, enveloppant les rizières de grisaille. Les colonnes s’étirent en flanc-garde du sous-groupement Pontbriand, loin sur la gauche des Algériens de Le Bihan. Des obus de l’artillerie française sifflent au-dessus des Bérets bleus et vont exploser sur les villages à reconquérir. Des coolies, lourdement chargés de matériel, marchent mécaniquement. Insensibles au vacarme croissant, ils trottinent, le regard fixé sur leurs pied nus, les mains crochetées aux harnais de leur charge. De temps à autre, des paras dérapent dans la boue. Ils chutent alors dans la rizière, où ils s’enfoncent jusqu’à la ceinture en jurant.
À 10 heures, l’escadron arrive au village de Hung Hong Ha. Les tirs rebelles, toujours aussi mal ajustés, prennent de l’ampleur. Les paras reçoivent l’ordre de stopper là. Les tirailleurs poursuivent seuls la progression. Le capitaine Lorgeoux et le lieutenant Martin, son officier adjoint, vont aux ordres pendant que les lieutenants de Witasse de Thezy et Peroz, et le sous-lieutenant Noiret placent leurs pelotons le long d’une diguette. Les Bérets bleus patientent en grignotant et en plaisantant pour tuer le temps. L’adjoint de Peroz, le maréchal des logis Dartencet, évalue l’intensité des tirs ennemis.
— Ils ne sont plus bien loin, lance-t-il à Beaudet, un de ses chefs de groupe. Vivement l’ordre d’avancer !
— Vous avez raison, chef, répond Beaudet en frappant du plat de la main la boîte de culasse de son arme. Je crois qu’on va bientôt pouvoir faire un joli carton…
Soudain, les paras se taisent, et leurs regards se braquent sur leur droite, à 800 m au sud-ouest de Ho Khe, là où les Algériens de Le Bihan sont brutalement pris à partie par des tirs nourris d’armes automatiques. Les restes des casse-croûte sont vite rangés dans les sacs. Les tirailleurs algériens sont littéralement cloués dans la rizière, sur la rive droite du Song Thanh Ha.
Le capitaine Lorgeoux revient en courant vers ses hommes, impatients de rentrer dans la bataille. Il a reçu l’ordre de foncer sur Ho Khe, de prendre le village et de, s’y maintenir pour la nuit. Rapidement, il donne ses instructions. Le peloton de Thezy doit avancer au sud du village, en protection des éléments d’assaut. Le lieutenant Martin reçoit la mission de l’assaut direct avec le peloton Noiret, renforcé d’un groupe commandé par le maréchal des logis Piogé. Le peloton Peroz doit progresser entre les deux premiers éléments, légèrement en arrière de l’action principale, pour appuyer l’effort du détachement Martin et, au besoin, pour le recueillir.
La manœuvre sera épaulée par les mortiers du PC de l’escadron et, surtout, par les canons légers du GLAP. Le signal de l’attaque sera donné à 15 heures. Le peloton Thezy s’engage dans un profond marécage. Aussitôt, les tirs ennemis convergent vers lui. Accélérant sous la mitraille, les Bérets bleus atteignent leur position de flanc-garde fixe. Leur avance n’a coûté que deux blessés, le maréchal des logis Tavelaud et le hussard Leseur, tous les deux atteints d’une balle à la cuisse. L’élément du lieutenant Martin et le peloton Noiret s’élancent à leur tour dans la rizière battue par le feu. Puis le lieutenant Peroz lève la canne dont il ne se sépare jamais en opération.
— En avant ! hurle-t-il en montrant l’ennemi.
Et il s’élance à la tête de ses groupes tandis que le peloton Noiret, maintenant arrêté derrière une longue digue, arrose le village rebelle de toutes ses armes. Les Bérets bleus se plaquent dans la boue entre chacun de leurs bonds. Peroz attend qu’ils soient tous placés en nouvelle position d’assaut pour redonner le signal de l’avance. Les tirs rebelles s’épaississent encore. La rizière se couvre de centaines de geysers boueux. Des obus de mortier éclatent, de plus en plus serrés. Le maréchal des logis Beaudet, le souffle court, comme tous ses compagnons, détourne la tête vers la gauche lorsque des cris de douleur tranchent net dans le vacarme. Les paras qui les ont poussés rampent désespérément dans la boue vers l’abri précaire d’une diguette où un infirmier les rejoint. Leurs compagnons épargnés par le feu reprennent encore une fois leur souffle derrière une levée de terre.
Les armes viets sont maintenant toutes proches. Les assaillants peuvent distinguer les flammèches qui, au ras des cagnas de Ho Khe, marquent le départ des rafales de mitrailleuse. L’action est relancée.
Le brigadier-chef Sambardier s’écroule presqu aussitôt dans la boue. Une grenade à fusil vient d’exploser juste entre ses jambes.
— Bon sang, gronde son ami Beaudet, il est foutu !
Le maréchal des logis se rassure vite car Sambardier se relève, statufié par la boue mais miraculeusement indemne. Les Bérets bleus parviennent aux lisières de Ho Khe. Aussitôt, les mortiers du PC cessent leurs tirs pour éviter de les toucher. L’escadron Lorgeoux est maintenant aligné face à son objectif. Écrasé sous une chape de feu, un arroyo sépare encore les paras des premières maisons. Les hussards se préparent pour le dernier effort. Hypnotisés par les positions ennemies, ils vérifient leur équipement avec des gestes machinaux, comme dans un ultime rite d’exorcisme. Puis, prêts à lancer leurs grenades et à se battre au poignard, les cavaliers hurlent à l’unisson en se lançant à l’assaut. Canne levée, le lieutenant Peroz parcourt le quart des 80 m qui le séparaient encore de l’ennemi. Puis il s’écroule. Beaudet, croyant à une simple chute, fait un brusque écart vers lui pour l’aider à se relever.
— Mais vous êtes touché, mon lieutenant ! hurle-t-il en découvrant du sang sur l’uniforme de son chef.
— Oui, répond difficilement l’officier, c’est au ventre…
Dartencet s’est lui aussi aperçu de la chute de l’officier à la canne.
— Reste là, ordonne-t-il à son compagnon qui soutient le blessé, je continue avec le peloton…
Comme à regret, Beaudet balaie du regard les abords de Ho Khe. Puis il obéit à l’ordre.
— Buschiazzo, crie-t-il à l’adresse de son caporal adjoint, prends le groupe !
Un infirmier accourt à la rescousse. Le capitaine Lorgeoux rejoint le blessé, qu’on a sorti de la boue. Il donne des ordres secs pour relancer l’assaut.
— Lemercier est mort d’une balle en plein front, dit-t-il ensuite à Beaudet.
Le maréchal des logis serre les mâchoires en apprenant la mort du brigadier-chef du peloton Noiret. Puis il se lance à la course vers le village pour rejoindre ses hommes.
L’ennemi décroche et quitte Ho Khe. Un de ses groupes, poursuivi par les tirs des paras, reprend le combat pendant quelques minutes. Le hussard Cheron, un tireur au FM, glisse doucement sur le côté de son arme, frappé d’une balle dans la tête. Les Viets décrochent de nouveau, cette fois pour de bon.
Les pelotons de l’escadron s’installent en garde serrée pour la nuit. Le lieutenant Peroz, Javelaud, Leseur et Piniot, les autres blessés de l’assaut, sont évacués sur l’antenne chirurgicale du GLAP, pendant que le village est fouillé de fond en comble. Les Bérets bleus retrouvent un peu partout des traces de sang et des lambeaux d’uniforme. La nuit tombe, Ho Khe sent la poudre et n’est plus que silence. Beaudet veille en pensant au lieutenant Peroz.
— La mort au combat est une belle mort, s’entend-t-il répéter par son chef en écho d’une discussion amicale à peine vieille de deux jours. On en rêve à vingt ans… Et mon plus cher désir est de ne pas mourir autrement !
Des obus éclairants dépotent dans le ciel, bien au-delà du village. Les lueurs dansantes qu’ils distillent éclairent les flancs des calcaires torturés dans lesquels se sont défilés les bo doïs du régiment 66.
— Pourvu que le lieutenant s’en tire, espère Beaudet, un instant distrait par la lumière irréelle des fusées éclairantes.
Peroz ne s’en tirera pas. Il mourra à l’hôpital de Lannessan dans la nuit du 13 au 14 janvier 1949, alors que les compagnies du 2e bataillon du 1er RCP regagnent Hanoi. L’opération Pégase a atteint la plupart de ses objectifs. Le Viêt-minh ne sera pas opérationnel avant quelques mois dans le Lien Khu III. Le bataillon Mollat a payé cher cette réussite : 23 tués et 60 blessés. Les cavaliers de son escadron déplorent à eux seuls 8 morts et 23 blessés.
Le 2e bataillon du 1er RCP
Héritier du 1er RCP qui fut formé au Maroc pendant la guerre et qui combattit en Alsace sous les ordres du célèbre colonel Jacques Faure, le régiment portant le « charognard » de l’armée de l’Air et le béret bleu des « paras métro » va combattre en Indochine par bataillons isolés. Le 1″ bataillon du capitaine Vismes (puis capitaine Bastouil) et le 3e bataillon du capitaine Fossey-François vont être engagés de 1947 à 1948.
Le 2° bataillon leur succédera de 1948 à 1950 sous les ordres du capitaine François, puis du chef d’escadron Mollat, suivi du capitaine Broizat.
Au début du mois de novembre 1948, une première opération met en ligne la 8e compagnie à Lai Khe. Après l’opération Pégase, l’unité sera engagée en janvier sur le canal des Rapides, en février à Tranh Son et en mars sur le fleuve Rouge. En avril, la 60 compagnie (l’Escadron) assure la protection des convois sur la rivière Noire. À la fin du mois de mai, le bataillon participe à l’opération Pomone à Phu Doan et à Tuyen Quang. En juillet, c’est l’opération Bastille, sur le canal des Rapides, et en août l’opération Canigou.
L’Escadron participe également à Junon, dans la région du cap Falaise et du cap Bouton. Le bataillon est parachuté à Nam Dinh à la fin de l’année 1949.
Après les opérations Adolphe en pays muong, en février, et Quadrille 1, en mars, le 2e bataillon est dissous le 31 mars 1950.
La 6e compagnie avait été sous les ordres du capitaine Lorgeoux de juillet 1948 à octobre 1949, puis sous ceux du lieutenant Bellan jusqu’en mars 1950.
1948 – Le Groupement Léger Aéroporté – GLAP (Indochine)
Dans le courant du mois de mars 1948, des volontaires en provenance des régiments de Légion combattant alors en Indochine (2e REI, 3e REI, 13e DBLE), se regroupent à Hanoï, dans les cantonnements du III/3e REI. Ils forment la « Compagnie parachutiste du 3e REI », créée administrativement le 1er avril, aux ordres du lieutenant Morin.
À la même époque, la Demi-Brigade de Marche Parachutiste est sur le point de perdre deux de ses trois bataillons, le Choc et le III/1er RCP, qui doivent être rapatriés entre le mois de mai et le mois de juin. Leur relève est prévue par un bataillon de marche du 1er RCP, dont le départ est envisagé à la mi-août, et un bataillon parachutiste de la Légion, tous deux à mettre sur pied en Afrique du Nord.
Pour succéder à la DBMP, le Groupement Léger Aéroporté (GLAP) est constitué le 26 avril à Sétif, aux ordres du chef d’escadron du Breil de Pontbriand. Outre le bataillon de marche du let RCP, qui prendra l’appellation de « II/1er RCP », il doit comprendre : un État-Major, destiné à assurer le commandement des TAP au Tonkin, une antenne chirurgicale, l’ACP n° 3, une section du Génie aéroporté (lieutenant Meyran) et un peloton de ravitaillement par air (PRA).
Le 13 mai 1948, un détachement du Groupement d’Instruction du Dépôt Commun des Régiments Etrangers s’installe au camp de Khamisis, près de Sidi-bel-Abbès, sous les ordres du lieutenant Colin, et prend le titre de Groupement d’Instruction Parachutiste. Trois cent cinquante élèves sont bientôt instruits dans cette technique nouvelle et, le 1er juillet, le capitaine Segrétain prend le commandement du « 1er Bataillon Étranger erde Parachutistes » (1er BEP) créé à cette date. Dès le 5 juillet, la 1re Compagnie est dirigée sur l’école de saut de Philippeville, en vue d’effectuer les sauts de brevet, très vite suivie par les deux autres compagnies de fusiliers-voltigeurs et la Compagnie de Commandement.
Antérieurement, une décision ministérielle du 27 mars 1948 avait prescrit la formation au Maroc d’un bataillon de parachutistes avec des éléments du DCRE, de la 4e DBLE et de cadres en provenance de la 25e DAP. Mais ce n’est que le 20 septembre que cette décision trouve un début d’exécution par une note de service du général commandant la Xe RM fixant l’implantation de la future unité à Sétif. C’est là que, le 9 octobre, la CCB et la 1re Compagnie du 2e BEP voient officiellement le jour. Leurs éléments sont immédiatement envoyés à Philippeville. Le 2 novembre, le capitaine Solnon est désigné pour prendre le commandement du Bataillon. Début décembre, les 2e et 3e Compagnies, formées par le 4e REI, arrivent en unités constituées de Fez.
Le 6 juillet, le II/1er RCP se regroupe à Aïn Arnat, la base aérienne de Sétif, pour une période intensive d’entraînement qui doit souder ses unités. L’Escadron de marche du 1er Régiment de Hussards Parachutistes, formé le 1er juillet, devient 6e Compagnie.
Le 2 septembre, le GLAP quitte Alger à bord du Maréchal Joffre. II débarque à Haïphong le 2 octobre, puis fait mouvement sur Hanoï où l’État-Major, la CCBS et la 6e Compagnie du II/1er RCP s’installent dans les locaux de la Concession, tandis que les 7e et 8e Compagnies sont dirigées sur Haïduong.
Le 16 octobre, le GLAP prend officiellement la succession de la DBMP. Le PRA, administré par la CCBS, devient « Compagnie de Ravitaillement par Air des TFIN » qui s’installe sur le terrain de Bach me, dans les locaux occupés par la STUP et par la SPIN.