jeudi 14 novembre 2024

Indochine – décembre 1948 : Gloire et mort à Ho Khe pour la 6e compagnie du 1er RCP

En Indochine, la 6e compagnie du 1er RCP, dont les paras observaient les traditions de la cavalerie, était surnommée l’Escadron. Cette unité, qui donnera naissance au 1er RHP, a rendez-vous avec la gloire et la mort à Ho Khe.

Commandée par le capitaine Lorgeoux, la 6e compagnie du 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP) est engagée, à une soixantaine de kilomètres au sud d’Hanoi, avec les autres Bérets bleus (le béret bleu était la coiffure des parachutistes métropolitains, le béret rouge, celle des paras coloniaux) du commandant Mollat, dans le cadre de l’opération Pégase. Cette énorme manœuvre, qui a débuté le 9 décembre 1948, a pour but de détruire le potentiel militaire et industriel du Viêt-minh dans le Lien Khu III, une zone délimitée par les centres de Duc Khe, Phu Ly, Gian Khau, Phu Nco et Quam Chim. Deux groupements y prennent part, sous les ordres du colonel Gonnet. Le groupement nord est dirigé par le chef de bataillon de Breil de Pontbriand, commandant du groupement léger aéroporté du Tonkin (GLAP). Il comprend le 2e bataillon du 1er RCP, le 3e bataillon de tirailleurs algériens du capitaine Le Bihan, une section d’artillerie légère et une antenne chirurgicale. Le groupement sud est commandé par le capitaine de frégate Ponchardier et comprend le 1er bataillon du 1er RCP du capitaine Bastouil et de nombreux engins fluviaux des Dinassaut de la marine.

Les cavaliers parachutistes sont considérés comme des Bérets bleus comme les autres, mais ils soignent tout particulièrement leur image de marque. Ils n’oublient pas une seule de leurs traditions séculaires. C’est ainsi que leurs sections sont des pelotons, qu’ils sont hussards, brigadiers, maréchaux des logis et que le brigadier Chevalier, les hussards Chuffard, Saint-Martin et Genaro sont des « trompettes en pied ».

Pendant trois jours, ils ont attendu à Hanoi, sous pression, un saut opérationnel qui n’a jamais eu lieu à cause des pluies incessantes. C’est donc à bord de camions qu’ils ont quitté leurs cantonnements le 9 décembre. Après des accrochages presque quotidiens et une nuit de Noël sans joie mais passée dans le calme à Doc Tin, sur la rive droite du Song Day, l’escadron Mollat se sépare de son bataillon pour se placer sous les ordres directs du commandant du GLAP.

Le groupement nord de Pégase quitte le secteur de Doc Tin au matin du 27 décembre pour poursuivre ses fouilles vers le nord-ouest. Des renseignements sérieux signalent de solides positions viets sur l’axe Ho Khe-Ha Xa, qui court entre le Song Thanh lia et le Day. Un cadre rebelle, capturé au début de l’opération, précise même que deux bataillons du régiment 66, renforcés d’éléments lourds, ont reçu la mission d’arrêter les Français sur la ligne Ho Khe-Thong Tiêt-Trinh Tiêt pour permettre de s’échapper à quelques PC lourds du général Giap qui n’ont pas eu le temps de se replier. Le prisonnier n’est pas avare de détails. Il précise en effet qu’un bataillon de trois compagnies, renforcé de deux mitrailleuses et de mortiers de 50 mm, s’est établi face au sud entre les villages de Ho Khe et de Nong Khe. Il affirme aussi que l’autre bataillon détaché du régiment 66 tient les villages de Doi Ngo, de Ha Xa et de Trinh Tiêt avec deux compagnies légères et une compagnie lourde équipée de mitrailleuses de 12,7 mm, d’un canon de 20 mm et d’un mortier de 81 mm.

De Breil de Pontbriand a scindé ses forces en deux sous-groupements. Le premier, commandé par le chef de bataillon Mollat, progresse sur la rive droite du Day et comporte le gros du 2e bataillon du 1er RCP, renforcé par une section d’engins du GLAP. Le second avance vers l’objectif de part et d’autre du Song Thanh Ha. Le 3e bataillon de tirailleurs algériens marche en pointe, suivi par l’escadron parachutiste qui escorte l’élément de commandement de Pontbriand.

Le Viêt-minh ne tarde pas à se manifester. Mais ses tirs, par trop lointains, ne retardent en rien l’avance des Français. Les paras de l’escadron Lorgeoux pestent contre la pluie fine qui tombe sans arrêt, enveloppant les rizières de grisaille. Les colonnes s’étirent en flanc-garde du sous-groupement Pontbriand, loin sur la gauche des Algériens de Le Bihan. Des obus de l’artillerie française sifflent au-dessus des Bérets bleus et vont exploser sur les villages à reconquérir. Des coolies, lourdement chargés de matériel, marchent mécaniquement. Insensibles au vacarme croissant, ils trottinent, le regard fixé sur leurs pied nus, les mains crochetées aux harnais de leur charge. De temps à autre, des paras dérapent dans la boue. Ils chutent alors dans la rizière, où ils s’enfoncent jusqu’à la ceinture en jurant.

À 10 heures, l’escadron arrive au village de Hung Hong Ha. Les tirs rebelles, toujours aussi mal ajustés, prennent de l’ampleur. Les paras reçoivent l’ordre de stopper là. Les tirailleurs poursuivent seuls la progression. Le capitaine Lorgeoux et le lieutenant Martin, son officier adjoint, vont aux ordres pendant que les lieutenants de Witasse de Thezy et Peroz, et le sous-lieutenant Noiret placent leurs pelotons le long d’une diguette. Les Bérets bleus patientent en grignotant et en plaisantant pour tuer le temps. L’adjoint de Peroz, le maréchal des logis Dartencet, évalue l’intensité des tirs ennemis.

Ils ne sont plus bien loin, lance-t-il à Beaudet, un de ses chefs de groupe. Vivement l’ordre d’avancer !

Vous avez raison, chef, répond Beaudet en frappant du plat de la main la boîte de culasse de son arme. Je crois qu’on va bientôt pouvoir faire un joli carton…

Soudain, les paras se taisent, et leurs regards se braquent sur leur droite, à 800 m au sud-ouest de Ho Khe, là où les Algériens de Le Bihan sont brutalement pris à partie par des tirs nourris d’armes automatiques. Les restes des casse-croûte sont vite rangés dans les sacs. Les tirailleurs algériens sont littéralement cloués dans la rizière, sur la rive droite du Song Thanh Ha.

Le capitaine Lorgeoux revient en courant vers ses hommes, impatients de rentrer dans la bataille. Il a reçu l’ordre de foncer sur Ho Khe, de prendre le village et de, s’y maintenir pour la nuit. Rapidement, il donne ses instructions. Le peloton de Thezy doit avancer au sud du village, en protection des éléments d’assaut. Le lieutenant Martin reçoit la mission de l’assaut direct avec le peloton Noiret, renforcé d’un groupe commandé par le maréchal des logis Piogé. Le peloton Peroz doit progresser entre les deux premiers éléments, légèrement en arrière de l’action principale, pour appuyer l’effort du détachement Martin et, au besoin, pour le recueillir.

La manœuvre sera épaulée par les mortiers du PC de l’escadron et, surtout, par les canons légers du GLAP. Le signal de l’attaque sera donné à 15 heures. Le peloton Thezy s’engage dans un profond marécage. Aussitôt, les tirs ennemis convergent vers lui. Accélérant sous la mitraille, les Bérets bleus atteignent leur position de flanc-garde fixe. Leur avance n’a coûté que deux blessés, le maréchal des logis Tavelaud et le hussard Leseur, tous les deux atteints d’une balle à la cuisse. L’élément du lieutenant Martin et le peloton Noiret s’élancent à leur tour dans la rizière battue par le feu. Puis le lieutenant Peroz lève la canne dont il ne se sépare jamais en opération.

En avant ! hurle-t-il en montrant l’ennemi.

Et il s’élance à la tête de ses groupes tandis que le peloton Noiret, maintenant arrêté derrière une longue digue, arrose le village rebelle de toutes ses armes. Les Bérets bleus se plaquent dans la boue entre chacun de leurs bonds. Peroz attend qu’ils soient tous placés en nouvelle position d’assaut pour redonner le signal de l’avance. Les tirs rebelles s’épaississent encore. La rizière se couvre de centaines de geysers boueux. Des obus de mortier éclatent, de plus en plus serrés. Le maréchal des logis Beaudet, le souffle court, comme tous ses compagnons, détourne la tête vers la gauche lorsque des cris de douleur tranchent net dans le vacarme. Les paras qui les ont poussés rampent désespérément dans la boue vers l’abri précaire d’une diguette où un infirmier les rejoint. Leurs compagnons épargnés par le feu reprennent encore une fois leur souffle derrière une levée de terre.

Les armes viets sont maintenant toutes proches. Les assaillants peuvent distinguer les flammèches qui, au ras des cagnas de Ho Khe, marquent le départ des rafales de mitrailleuse. L’action est relancée.

Le brigadier-chef Sambardier s’écroule presqu aussitôt dans la boue. Une grenade à fusil vient d’exploser juste entre ses jambes.

Bon sang, gronde son ami Beaudet, il est foutu !

Le maréchal des logis se rassure vite car Sambardier se relève, statufié par la boue mais miraculeu­sement indemne. Les Bérets bleus parviennent aux lisières de Ho Khe. Aussitôt, les mortiers du PC ces­sent leurs tirs pour éviter de les toucher. L’escadron Lorgeoux est maintenant aligné face à son objectif. Écrasé sous une chape de feu, un arroyo sépare encore les paras des premières maisons. Les hussards se préparent pour le dernier effort. Hypnotisés par les positions ennemies, ils vérifient leur équipement avec des gestes machinaux, comme dans un ultime rite d’exorcisme. Puis, prêts à lancer leurs grenades et à se battre au poignard, les cavaliers hurlent à l’unisson en se lançant à l’assaut. Canne levée, le lieutenant Peroz parcourt le quart des 80 m qui le séparaient encore de l’ennemi. Puis il s’écroule. Beaudet, croyant à une simple chute, fait un brus­que écart vers lui pour l’aider à se relever.

Mais vous êtes touché, mon lieutenant ! hurle-t-il en découvrant du sang sur l’uniforme de son chef.

—  Oui, répond difficilement l’officier, c’est au ventre…

Dartencet s’est lui aussi aperçu de la chute de l’officier à la canne.

Reste là, ordonne-t-il à son compagnon qui soutient le blessé, je continue avec le peloton…

Comme à regret, Beaudet balaie du regard les abords de Ho Khe. Puis il obéit à l’ordre.

—  Buschiazzo, crie-t-il à l’adresse de son caporal adjoint, prends le groupe !

Un infirmier accourt à la rescousse. Le capitaine Lorgeoux rejoint le blessé, qu’on a sorti de la boue. Il donne des ordres secs pour relancer l’assaut.

—  Lemercier est mort d’une balle en plein front, dit-t-il ensuite à Beaudet.

Le maréchal des logis serre les mâchoires en apprenant la mort du brigadier-chef du peloton Noiret. Puis il se lance à la course vers le village pour rejoindre ses hommes.

L’ennemi décroche et quitte Ho Khe. Un de ses groupes, poursuivi par les tirs des paras, reprend le combat pendant quelques minutes. Le hussard Cheron, un tireur au FM, glisse doucement sur le côté de son arme, frappé d’une balle dans la tête. Les Viets décrochent de nouveau, cette fois pour de bon.

Les pelotons de l’escadron s’installent en garde serrée pour la nuit. Le lieutenant Peroz, Javelaud, Leseur et Piniot, les autres blessés de l’assaut, sont évacués sur l’antenne chirurgicale du GLAP, pendant que le village est fouillé de fond en comble. Les Bérets bleus retrouvent un peu partout des traces de sang et des lambeaux d’uniforme. La nuit tombe, Ho Khe sent la poudre et n’est plus que silence. Beaudet veille en pensant au lieutenant Peroz.

La mort au combat est une belle mort, s’entend-t-il répéter par son chef en écho d’une discussion amicale à peine vieille de deux jours. On en rêve à vingt ans… Et mon plus cher désir est de ne pas mourir autrement !

Des obus éclairants dépotent dans le ciel, bien au-delà du village. Les lueurs dansantes qu’ils distillent éclairent les flancs des calcaires torturés dans lesquels se sont défilés les bo doïs du régiment 66.

Pourvu que le lieutenant s’en tire, espère Beaudet, un instant distrait par la lumière irréelle des fusées éclairantes.

Peroz ne s’en tirera pas. Il mourra à l’hôpital de Lannessan dans la nuit du 13 au 14 janvier 1949, alors que les compagnies du 2e bataillon du 1er RCP regagnent Hanoi. L’opération Pégase a atteint la plupart de ses objectifs. Le Viêt-minh ne sera pas opérationnel avant quelques mois dans le Lien Khu III. Le bataillon Mollat a payé cher cette réussite : 23 tués et 60 blessés. Les cavaliers de son escadron déplorent à eux seuls 8 morts et 23 blessés.

Le 2e bataillon du 1er RCP

1948 – Le Groupement Léger Aéroporté – GLAP (Indochine)

ARTICLES CONNEXES

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Merci de nous soutenir !

Dernières notes

COMMENTAIRES RÉCENTS

ARCHIVES TB