Fort Neuf de Vincennes, lundi 31 mars 2014. Plusieurs centaines de jeunes sont rassemblés. Garçons et filles viennent recevoir une information sur la défense nationale, troisième étape dans leur parcours éducatif vers la citoyenneté après l’enseignement de défense dans les établissements d’enseignement du second degré et le recensement (1). Ce lundi est une journée particulière car le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian s’est déplacé afin de présenter la nouvelle formule de cette « Journée Défense et Citoyenneté (JDC) », anciennement nommée jusqu’en 2010 « Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD) ». Pour le ministre la JDC « est un dispositif indispensable à une armée professionnelle, avec plus de dix millions de jeunes certifiés depuis la suspension du service militaire ». Clôturant son discours Jean-Yves Le Drian signale justement que « l’esprit de défense commence avec la prise de conscience des risques et des menaces qui peuvent toucher notre collectivité ».
Complétant cette journée, le ministère vient d’éditer une brochure « Jeunesse-Défense : Egalité des chances ».
Jean-Yves Le Drian a souhaité moderniser cette journée civique, afin qu’elle soit plus « en conformité avec les attentes et les modes de communication de la jeunesse ». Une dizaine de nouveaux films d’une minute trente environ présentent les moyens mis en œuvre, les différents métiers au sein des armées, les engagements et le devoir de mémoire.
Trois modules pédagogiques abordent les thèmes suivants : 1. « Nous vivons dans un monde instable : une défense nécessaire » ; 2. « Une réponse adaptée : notre appareil de défense » ; 3. « Vous avez un rôle à jouer : un engagement citoyen ».
(1) Jusqu’à 18 ans, l’attestation de recensement est indispensable pour s’inscrire à tout examen placé sous le contrôle de l’autorité publique (BEP, CAP, Baccalauréat, conduite accompagnée…)
Quelques chiffres 2013 :
- Selon une enquête réalisée par LH2 (échantillon de 1676 personnes interrogées) , plus de 70% des jeunes ont amélioré leur image des armées après le passage par la JDC
- 11.595 sessions organisées (1 session comprend plusieurs salles d’env. 40 personnes sur un même site)
- 7630 animateurs, dont près de 25% de réservistes militaires
- 150.000 jeunes ont souhaité obtenir davantage d’informations sur les armées et la gendarmerie
- 210.000 fiches d’intérêt individuel (un jeune pouvant exprimer plusieurs souhaits) ont été transmises aux armées et à la géndarmerie
- Plus de 50.000 jeunes sont intéressés par le service civique
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Theatrum Belli s’est entretenu avec François Le Puloc’h, Directeur du service national (SGA)
TB : Qu’elles ont été les transformations de ces journées destinées aux jeunes, appelées aujourd’hui JDC, depuis la fin du service national ?
Francois Le Puloc’h : C’est une loi de 1997 qui a suspendu le service militaire et qui a institué cette journée obligatoire pour les gens et les jeunes filles à partir du moment où ils ont été recensés à l’âge de 16 ans. Nous les prenons donc pour effectuer cette journée, qui s’appelait initialement Journée d’Appel de Préparation à la Défense (JAPD), et qui est devenue Journée défense citoyenneté en 2011. Nous les convoquons à partir de l’âge de 17-18 ans pour, au cours de cette journée, leur présenter comment et par qui la défense et la sécurité sont assurées dans notre pays.
TB : Cela représente combien de jeunes au niveau national ?
FLP : Au niveau national, nous sommes actuellement aux alentours de 760.000 jeunes garçons et jeunes filles qui sont présents en JDC tant en métropole qu’outre-mer puisque c’est également valable dans les départements, territoires et collectivités d’outre-mer. Cette journée a bien un caractère universel.
TB : 760.000 par an ?
FLP : 760.000 par an qui sont convoqués par les 33 centres du service national (CSN) de métropole et d’outre-mer. C’est une très grosse organisation. J’ai à ma disposition un peu plus de 1300 personnels civils et militaires répartis sur le territoire national et outre-mer pour organiser ces journées. Cette organisation débute dès la convocation des jeunes, réalisée à l’issue de leur recensement en mairie. Ils sont convoqués sur un site JDC pour pouvoir effectuer leur JDC. Soit ce site se trouve dans ou à proximité du CSN qui couvre une aire géographique donnée, soit ces sites sont dispersés à proximité du lieu de domicile des jeunes, donc en fonction des bassins de population à couvrir.
TB : Comment se déroule une journée JDC ?
FLP : Une journée comprend trois temps forts sur les messages de « défense », structurés par 3 animations présentées par des militaires d’active ou de réserve. Lors de la JDC, on retrouve autrement un certain nombre de dispositifs. Le premier, qui existe depuis 1998, ce sont les tests relatifs aux acquis fondamentaux de la langue française qui permettent de détecter les jeunes qui seraient en difficulté de lecture. Et puis est intervenu depuis 2004 l’initiation aux gestes de premiers secours pour le secourisme qui vient compléter cette journée : elle apporte, sur le plan du message citoyen, des facilités à nos jeunes pour pouvoir prendre en compte une situation médicale simple en urgence.
TB : Vous êtes également sur une certaine « veille » de l’illettrisme…
FLP : Nous sommes dans la détection effectivement, c’est-à-dire que nous faisons passer en JDC les tests qui ont été élaborés par le ministère de l’éducation nationale. A l’issue des tests, nous déterminons un certain nombre de profils, qui vont de 1 à 4, de jeunes en plus ou moins grande difficulté. Les résultats de ces tests sont ensuite transmis à l’Education nationale qui en fait un bilan statistique annuel et qui le diffuse, bien entendu, auprès des académies et des rectorats. Les agents du service national, qui encadrent ces journées, reçoivent en entretien individuel les jeunes repérés en décrochage (ceux sans diplôme scolaire ou professionnel ou sans emploi) afin de leur indiquer les solutions possibles de remédiation.
TB : Quelle est la tendance sur l’illettrisme depuis plusieurs années ? Constatez-vous une aggravation, une stagnation ?
FLP : On est toujours dans le même ordre de grandeur. C’est un peu moins de 10% des jeunes présents, qui sont détectés en difficulté de lecture, c’est-à-dire en gros 75.000 par rapport à nos 760.000 jeunes. Ce chiffre n’augmente pas mais ne diminue pas. Il reste stable en longue période.
TB : Quel est votre ressenti sur le profil psychologique de ces jeunes par rapport aux questions de défense ? Ces sont des sujets qui les intéressent véritablement ou bien, pour être franc, font ils semblants de s’y intéresser ?
FLP : Je vais vous répondre franchement… Le principal risque que nous avons est le risque de l’indifférence, c’est-à-dire qu’il y ait une grande indifférence de la part de nos jeunes envers la chose militaire : visiblement, quand ils arrivent en début de journée, on voit bien qu’ils ne connaissent pas ce qu’est la défense ou la sécurité. Et c’est tout l’enjeu de cette journée de leur faire connaître le monde de la défense, à travers des militaires en uniforme qui vont leur expliquer ce que nous faisons en matière de sécurité et pourquoi nous devons nous défendre.
C’est au fur et à mesure de la journée que l’on voit apparaître un certain nombre de questions et un intérêt grandissant pour ce type de domaine mais qu’ils découvrent car, même s’il y a un enseignement de défense, qui doit avoir lieu en 3e et en 1ère, souvent ils n’ont pas les bases leur permettant d’appréhender spontanément ou facilement ce type de problématique. Cela dit, ce qui est important de retenir, c’est qu’à l’issue de la journée, 73% d’entre eux, lors d’un sondage effectué à la fin de l’année dernière, ont trouvé la journée intéressante et même 88% expliquent qu’ils ont eu une autre image des armées que celle qu’ils avaient en arrivant dans la JDC. Donc, on voit bien qu’il y a un travail de sensibilisation, d’explication et de découverte de ce qu’est le monde militaire d’une manière générale qui est très important pour nos jeunes.
TB : Une journée est-elle suffisante ?
FLP : Je crois de toute façon qu’on ne peut pas faire moins et qu’on ne peut pas faire plus.
TB : Pour une question de coût ?
FLP : Essentiellement pour une question de coût. On ne peut pas faire plus, sinon on est confronté à des problématiques d’internat si on organise des journées consécutives, ou de deuxième journée à distance de la première, c’est-à-dire de refaire une nouvelle convocation dans de nouveaux sites, si nous organisions cela sur deux jours non consécutifs. Effectivement, je pense qu’on ne peut pas faire moins. La journée en elle-même est très dense puisqu’elle démarre à 8h30-9h du matin et se termine vers 16h30-17h. Beaucoup de messages leur sont transmis à cette occasion mais en même temps, et c’est l’objet de la JDC rénovée, nous avons souhaité mieux structurer ce message sur la défense et la sécurité, pour qu’ils aient vraiment un fil conducteur leur permettant de retenir l’essentiel.
TB : Les jeunes restent-ils toujours en salle ou assistent-ils à des démonstrations ?
FLP : Non, ils ne restent pas dans les salles. C’est un aspect essentiel du dispositif. En plus de l’initiation au secourisme, nous faisons en sorte, en tout cas sur les sites militaires où on peut le faire, qu’il y ait des démonstrations de matériels et des animations par le biais de personnels militaires relevant de l’unité accueillant les jeunes sur leurs sites. Si on ne peut pas le réaliser, puisque tous nos sites ne sont pas militaires (nous avons des JDC en sites civils dans les endroits où il n’y a plus de présence militaire), d’une manière générale, ce sont les gendarmes qui prennent la relève, donc il y a une présence militaire et eux-mêmes peuvent apporter des témoignages concernant leur activité au service de la sécurité du pays. Et si ce ne sont pas des gendarmes, nous faisons appel à des témoignages d’autres services qui œuvrent pour la sécurité des citoyens, comme les services départementaux d’incendie et de secours.
TB : Monsieur Le Puloc’h, je vous remercie pour cet entretien.
Propos recueillis par Stéphane Gaudin