vendredi 11 octobre 2024

Le héros militaire au XXIe siècle (Dimanche 22 avril 2018)

Les cérémonies commémorant les différents engagements du colonel Beltrame se sont achevées cette semaine. Quelle émotion devant cette reconnaissance de la Nation !  Le colonel Beltrame a été honoré comme un réel héros par les communautés professionnelle, religieuse ou philosophique (Cf. L’Express) auxquelles il appartenait.

Il semble cependant nécessaire de revenir sur la cérémonie d’hommage officielle au colonel Beltrame. Le parcours suivi par sa dépouille était riche en symboles, partant du Panthéon, ancienne église dédiée à Sainte-Geneviève, patronne des gendarmes se rendant aux Invalides par le pont Alexandre III devenu grâce au général Dary, ancien gouverneur militaire de Paris, le lieu où chacun peut venir rendre hommage aux soldats tombés pour la France lors du passage de leurs convois funéraires, enfin sous la statue imposante de l’empereur Napoléon 1er, la cour des Invalides où le président de la République a témoigné de la reconnaissance de la Nation par un discours fort… malgré une erreur sur l’école militaire par laquelle le colonel Beltrame avait rejoint le corps des officiers de l’Armée de terre (cf. Les commentaires du colonel Sastre) avant d’entrer en gendarmerie.

Anecdote relevée aussi lors du déplacement du convoi funéraire, j’ai noté cette interview sur TF1 d’un des élèves désignés pour être présent le long du parcours d’hommage. En résumé, « il faut être volontaire et non désigné » tout en précisant qu’il était content d’être présent pour rendre cet hommage. Nous avons encore cette caractéristique française : « je veux bien participer mais surtout je ne veux pas être désigné ou obligé à faire ». Il est temps que l’éducation au « faire ce que l‘on doit » et non au « faire ce que je veux quand je veux » retrouve sa place au sein de notre société.

De la méconnaissance de la signification des règles

Cependant cette reconnaissance nationale est à mettre en perspective cette semaine avec cette cérémonie pour commémorer l’assassinat il y a un an du capitaine de police Jugelé et la remise des décorations de l’ordre national du mérite non seulement à ceux qui avaient fait acte de bravoure en tuant le terroriste mais aussi à ceux qui en avaient été seulement les victimes. Etait-ce la décoration qu’il fallait remettre alors que la médaille de la sécurité intérieure dans son dernier échelon créée en 2014 aurait pu leur être remise ? (Cf. Objet de la décoration de l’ordre national du mérite et cf. Médaille de la sécurité intérieure)

C’est malheureusement aussi l’opportunité de contester une inflation inappropriée sinon incompréhensible dans les reconnaissances posthumes. Gardien de la paix, premier grade de la police, en bref « sergent », Xavier Jugelé a été nommé après son assassinat par l’ex-président  Hollande capitaine et non lieutenant (Cf. Les grades dans la police). Nos soldats morts au combat ou pour fait de terrorisme ne sont nommés qu’au grade directement supérieur (Cf. France-info). Encore un fonctionnement à revoir au sein du ministère de l’intérieur. Est-ce une conséquence d’une cogestion malsaine du ministère avec les syndicats voulant surréagir pour mettre en valeur la police nationale ?

Qu’est-ce qu’un héros ?

Il paraît utile de réfléchir sur le sens de l’héroïsme, du besoin aussi d’acte qui serve d’exemple à la Nation à travers des figures humaines exemplaires, des héros donc.

La notion de héros mérite que l’on s’y attache. Regardant dans ma bibliothèque, je me suis penché sur le sens donné au héros. L’antiquité qualifiait de héros celui qui, par une grande valeur, se distinguait des autres hommes. Le dictionnaire de l’académie françoise (sic) de 1814 précise que le héros est « un homme qui s’est distingué à la guerre par de grandes actions ». Aujourd’hui, dans un dictionnaire plus récent, outre la distinction par un fait d’armes, le héros est celui qui se distingue par sa grandeur d’âme exceptionnelle, son dévouement total. Aucune définition ne se réfère cependant au sacrifice de sa vie.

Pourtant, depuis la Seconde guerre mondiale, les guerres modernes n’ont fait apparaître aucun héros militaire connu par tous. Au contraire, le soldat, le guerrier, représente pour la société civile le symbole de la violence, plutôt l’antihéros, d’autant qu’en temps de paix sinon en temps de guerre, la violence est bannie sous toutes ses formes.

Surtout pas de héros militaire !

Comme le souligne C.Barrois dans « Psychanalyse du Guerrier » (1993), « Depuis la fin du XXème siècle, les conflits n’ont pas remis les héros au premier plan. Ils n’ont pas permis la construction de mythes modernes, la narration des faits mémorables » qui mobilisent donc au service de la Patrie.

Dans ma thèse de doctorat en 1998, je citais l’exemple du général Morillon. Dans les conflits dans l’ex-Yougoslavie, ce général n’ayant que peu fait la guerre hormis son expérience comme jeune officier en Algérie (le général Morillon était sous-lieutenant au 1er régiment étranger Cavalerie), ce qui lui a sans aucun doute apporté une forme d’humanité en souvenir des harkis et aux pieds noirs abandonnés face aux atrocités auxquelles il était confronté en Bosnie, était devenu un héros parce qu’il n’avait pas donné la mort. Il s’était même mis en situation d’otage pour protéger les civils bosniaques. Il était conforme aux critères de la société civile et médiatique.

Cela ne signifie pas qu’il n’ait pas participé à la construction de son mythe. Dans les combats antiques, on voyait le chef, on installait le trône sur le champ de bataille. Le général Morillon a installé son P.C. à Sarajevo. Il a cultivé son personnage lors de la réception des journalistes. Cependant, cette image n’est devenue réalité qu’après Srebrenica grâce aux médias. Il incarnait la détermination internationale que personne ne voulait assumer ou dont personne ne voulait. Il était devenu le chef antique qui cumulait les fonctions du diplomate et du soldat, en faisant don de sa personne, surtout sans violence guerrière.

Cette présence du héros mythifié a donné une dimension humaine dans une guerre incompréhensible des années 90. Il a rassuré en montrant qu’il existait des hommes d’exception. En l’occurrence, le général Morillon, sans doute malgré lui, a cristallisé les aspirations de la communauté internationale impuissante. Appliquant les valeurs prônées par les démocraties, il a été identifié aux démocraties et a obtenu le soutien des médias. Il est certain que ceux-ci ont été séduits par ce qui leur apparaissait comme un militaire hors-norme, ce qui n’était pas forcément le cas. Beaucoup d’officiers auraient pu se comporter comme lui mais tout est une question de circonstances : être là et savoir qu’il faut faire quelque chose quel qu’en soit le prix, y compris par la perte de sa propre vie. Là, son opposition à la décision politique le rendait intéressant pour les médias. Le succès de sa mise en exergue montrait aussi que les citoyens avaient besoin de « héros », de ce général « courage ».

Réflexions sur le héros militaire

Le colonel Beltrame correspond en partie à cette image du héros non guerrier que la société attend. Cependant, le don de soi dont il a fait preuve allait au-delà. Il a remis sa vie entre les mains d’un djihadiste dont la mansuétude sinon l’humanité était peu vraisemblable. Justement et cela a posé des interrogations.

Sur son blog mais le débat a aussi eu lieu dans le milieu militaire, Guillaume Faye a posé effectivement d’une manière brutale mais intéressante en terme de réflexion la question de l’engagement et des convictions personnelles du soldat face à la mission à remplir. Le soldat, le gendarme en est un, devait-il se mettre en situation d’otage et offrir à son assassin une valeur ajoutée inespérée au drame annoncé ? (Cf. Blog de Guillaume Faye)

A sa manière le général Robinet dans l’ASAF (Cf. Dossier de l’ASAF) a répondu à la question sur le sens de cette engagement ultime : « Dans les trois dernières heures tragiques de sa vie, le colonel Beltrame a cristallisé autour de sa personnalité toutes les contradictions, les aspirations et les espérances de notre Nation ».

De fait, le colonel Beltrame a surtout effacé l’islamiste terroriste de la mémoire collective en magnifiant ce qui pourrait être un geste mystique. Cependant, il est plus que vraisemblable qu’il ait été convaincu de pouvoir réussir à neutraliser le terroriste et donc de remplir sa mission au sens militaire du terme. Devenir un héros n’est pas une fin de soi. Cela n’est que la conséquence d’un acte réfléchi en fonction de circonstances exceptionnelles, de ses engagements, créant l’acte héroïque et donc le héros dont nous honorons la mémoire.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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