Plus peut-être que n’importe quelle autre activité humaine, la guerre, de par sa nature propre, emporte avec elle, dans toute société où elle se situe, un ensemble, souvent complexe et rarement univoque, de conditions juridiques et éthiques. Ce n’est pas nécessairement faire preuve d’idéalisme ni d’irréalisme que de soutenir qu’elle n’est presque jamais voulue ni sentie ni pensée comme violence pure et illimitée, à l’état brut, élémentaire. Elle se trouve pour ainsi dire enveloppée (masquée aussi) par tout un appareil conceptuel ressortissant à la coutume, au droit, à la morale, à la religion — appareil destiné, dans son principe, à l’apprivoiser, à l’orienter, à la canaliser. En un mot, la guerre est un phénomène culturel. L’idée que s’en fait une époque ou une société donnée retentit de façon plus ou moins visible sur son surgissement, son déroulement, sa conduite. La guerre offre l’occasion à l’historien ou au sociologue d’étudier les rapports entre réalité et norme, entre pratique et éthique, entre fait et droit.
Mon propos, qui ne porte ici que sur la fin du Moyen Âge, spécialement dans les domaines anglais et français, se divisera en trois parties : 1) Dans quelle mesure la guerre est-elle toujours considérée comme un jugement de Dieu ? 2) Y a-t-il des survivances aux notions de paix et de trêve de Dieu ? 3) Que devient le concept de guerre juste, tel que l’ont défini les théologiens et les canonistes des siècles antérieurs ? C’est dire que je pose le problème en termes d’héritage, de continuité (ou de discontinuité) : la conception de la guerre propre à la fin du Moyen Âge est-elle ou non encore vraiment médiévale ? L’évolution des techniques, des institutions et de l’art militaire, les mutations dans l’ordre politique au sens large (naissance ou renaissance des États, fin d’une certaine idée de la Chrétienté) ont-elles retenti sur la conception de la guerre, et si oui de quelle manière ? A ces interrogations, les pages qui suivent voudraient apporter une première esquisse de réponse.
Que la guerre, et plus spécialement la bataille, ait été conçue comme une sorte d’ordalie, de jugement de Dieu, au point qu’on puisse parler de judicium belli, pour reprendre le titre du beau livre de K. G. Cram (1), la chose est incontestable pour une grande partie du Moyen Âge. Peu importe ici l’origine de cette conception, qu’on retrouve dans plus d’une culture humaine. Le fait demeure qu’elle est loin d’avoir disparu à la fin du Moyen Âge, se traduisant en particulier par deux perspectives ou propositions : la confrontation solennelle et rituelle de deux armées, et l’affrontement de leurs chefs respectifs en un combat singulier.
Cette dernière pratique, qui se relie à celle du duel judiciaire, persiste à être envisagée pendant les XIVe et XVe siècles : Werner Goez en a relevé une trentaine d’exemples entre 1282 et 1536 (2). Ainsi, le 8 septembre 1383, Richard II d’Angleterre propose à Charles VI d’en finir avec les différends opposant depuis longtemps les deux royaumes par un duel ou par un combat entre leurs trois oncles respectifs, « ut quaestio sub divinae sortis examine finiatur » (3). La proposition ne paraît pas avoir retenu trop longtemps l’attention du gouvernement français. Il n’en va pas de même avec la rencontre projetée en 1425 entre Humfroi, duc de Gloucester, et Philippe le Bon, duc de Bourgogne, relative au comté de Hollande dont la possession était revendiquée par les deux compétiteurs. Au début de mars 1425, le duc Philippe envoya ses lettres de défi à son adversaire, où il lui proposait un combat singulier dont serait juge ou bien l’empereur Sigismond ou bien Jean, duc de Bedford, cela afin d’éviter l’effusion du sang chrétien et la destruction du peuple. Le duc de Bourgogne estimait qu’il était plus séant à de « jeunes chevaliers » comme eux de terminer la querelle par leurs corps que de la continuer « par voie de guerre ». Ce duel, à ses yeux, était comme une alternative à la guerre proprement dite. Humfroi releva le défi dans sa réponse du 16 mars, et, de façon significative, entre plusieurs dates possibles, choisit celle du 23 avril, jour de la Saint-Georges, patron à la fois de l’Angleterre et de la chevalerie. Aussi bien le chroniqueur Jean le Févre que les comptes bourguignons font allusion à la préparation intensive de Philippe le Bon, dans son château de Hesdin. Chaque matin, il courait « pour prendre haleine », dans le parc du château, où il avait « plusieurs certains lieux et places secrètes où il exercitait son corps à combattre et faire ses essais » ; plusieurs nobles hommes lui montraient la « science de combattre et savoir défendre », d’autres s’entraînaient pour le cas où le duc de Gloucester se ferait accompagner d’acolytes. Naturellement, la rencontre n’eut pas lieu, une triple intervention s’étant exercée contre le projet, de la part du pape Martin V, du Parlement d’Angleterre et du duc de Bedford (4).
On a qualifié cet épisode de « farce », tandis qu’à propos de cas semblables d’autres auteurs ont pu parler de « cérémonial vide » et de « comédie internationale » (5). Sans doute, mais n’était-ce pas déjà ainsi au XIIe siècle ? L’intéressant est que de tels rites s’inscrivent dans le droit fil d’une très ancienne tradition, à laquelle la fin du Moyen Âge demeure en apparence fidèle.
Plus fréquents et plus significatifs encore les cas de « bataille assignée » où tel prince ou roi propose à son adversaire une rencontre loyale en un certain lieu et à un certain jour afin que leur querelle soit vidée. Parmi bien des exemples possibles, mentionnons la lettre du même duc de Bedford à Charles de Valois, en date du 7 août 1429, où, pour « l’abregement de la guerre », il lui propose de choisir « aulcune plache aux champs convignable et raisonnable, avoecq jour brief et competent », en sorte qu’il y soit possible ou bien de négocier et de conclure une bonne paix ou bien de recourir aux armes : « Chacun de nous pourra bien garder et deffendre a l’espee sa cause et sa querelle (…) par le moyen de paix ou par journee de bataille de droit prinche » (6).
Comme le montre l’intervention de Martin V lors du duel projeté entre les ducs de Bourgogne et de Gloucester, l’Église se refusait à assimiler à un authentique jugement de Dieu le proelium campestre, ou bellum campale, ou « bataille champel », et cela pour les mêmes raisons qui lui faisaient condamner le duel judiciaire, ou gage de bataille, ou « gage champel » 1) parce que l’on pouvait perdre même en ayant le droit pour soi ; 2) parce que le recours à de tels procédés amenait à tenter Dieu ; 3) parce que la justice devenait alors inutile.
Telle est, entre autres, l’attitude d’Honoré Bovet dans L’Arbre des batailles, mais il est intéressant de noter que le célèbre docteur en décret se sent obligé d’argumenter son point de vue à l’encontre d’un sentiment sans doute assez largement répandu parmi ses contemporains : « Encore retournant a mon propos, n’est ce mie une bonne raison de dire : » Cestui a perdu la bataille, pour quoy il appert bien qu’il avoit tort « . Et cecy dy je contre l’oppinion des Lombars, lesquels dient de Madame Jehanne, royne de Naples, que vraiment il appert bien qu’elle avoit tort de maintenir pape Clement car, se elle eust soustenu le vray pape, le roi son mari ne ses gens ne eussent pas esté desconfis » (7).
Au cours des négociations franco-anglaises de 1439, l’archevêque d’York John Kemp soutint que le roi d’Angleterre avait droit au royaume de France, pour plusieurs raisons, dont la première relevait de « la justice divine, attendu les batailles et victoires » remportées par les Anglais. A quoi le chancelier de France Regnault de Chartres répliqua que ces victoires ne signifiaient rien quant à leur bon droit car « si lesdis Anglois avoient eues batailles pour eulx, pareillement en avoient eues les François contre eulx, et tellement que plusieurs en estoient mors, et a tout compter ilz n’y avoient riens gagné ; et que si lesdictes batailles eussent esté declarratoires par justice divine de leur droit, la chose feust pieça finie et n’eust pas si longuement duré » (8). Ainsi le chancelier de France, loin de refuser toute valeur à l’argument des victoires remportées, le retourne à son profit en opposant aux succès des adversaires d’autres succès remportés par les Français. Signe que les esprits les plus avertis demeuraient profondément convaincus que « Dieu est vray justicier, ne onques faulx jugement ne fist. Encor est Dieu et sire et gouverneurs des batailles » (9).
La démonstration très élaborée que présenta, en octobre ou novembre 1346, Thomas Bradwardine, chancelier de la cathédrale Saint-Paul à Londres, dans un sermon prononcé devant Édouard III et ses nobles à l’occasion des victoires anglaises de Crécy et de Neville’s Cross ressortit sensiblement à la même théorie. Dans ce sermon, dont on possède la traduction latine sous le titre de Sermo epinicius, Bradwardine écarte successivement sept raisons qui pourraient rendre compte de la victoire : se trouvent ainsi éliminés les arguments des astrologues, selon lesquels elle serait due au pouvoir des étoiles ; de ceux qui voient dans les constellations un signe de victoire ou de défaite ; de ceux qui attribuent le résultat à la déesse aveugle, à Fortuna, aux dieux secondaires, à la prouesse et à la prudence humaine, au culte rendu par les combattants simultanément à Mars et à Vénus ; en sorte qu’une seule raison subsiste : c’est Dieu qui a voulu donner la victoire aux Anglais ; ceux-ci se doivent de lui en rendre grâces (10). Autrement dit, la bataille présente un exemple type de situation où l’intervention de Dieu se fait directement sentir, où la cause première éclipse complètement les causes secondes. « En nom Dé, les gens d’armes batailleront et Dieu donra victoire » (11).
Cependant un argument était, depuis longtemps, couramment employé pour justifier une défaite et empêcher qu’elle ne retentît sur la validité d’une guerre : Dieu n’entendait pas récompenser les vainqueurs, reconnaître publiquement leur bon droit, mais punir les vaincus pour leurs mœurs, leur conduite, leurs péchés. Ainsi expliquait-on l’échec des croisades. Au-delà même de tout châtiment motivé, il était admis que le Dieu des armées demeurait souverainement libre. « Il arrive parfois que Dieu souffre que la partie qui a pour elle le droit et un vrai titre et qui vit d’après ses lois soit grandement persécutée et subisse de très grandes aventures, peines et épreuves jusqu’à être parfois renversée, prisonnière ou tuée en bataille par la divine Providence, quand il lui plaît d’être juge, et cela bien que le peuple n’ait jamais été aussi bon, ni les querelle, titre et droit aussi justes » (12).
Si donc l’idée de la guerre comme judicium Dei est loin d’avoir disparu de la mentalité commune au bas Moyen Âge, qu’en est-il pour les concepts de paix et de trêve de Dieu, tels qu’ils étaient apparus à partir de la fin du Xe siècle et tels que la théologie scolastique et le droit canonique les avaient intégrés dans leur réflexion ? L’un des aspects majeurs de la trêve de Dieu était l’interruption de toutes les actions guerrières durant certains jours ou périodes de la semaine ou de l’année. Suger raconte par exemple dans la Vie du roi Louis le Gros que lors de l’expédition royale contre Ebles de Roucy en 1102 « telle était l’ardeur du seigneur et de l’ost que, tant qu’ils furent en campagne, ils prirent à peine du repos ou plutôt qu’à l’exception du vendredi et du dimanche ils n’en prirent jamais » (13). Cependant, en cas de guerre juste, la plupart des canonistes et des théologiens estiment superflu de prévoir une quelconque limitation dans le temps ; saint Thomas d’Aquin admet qu’on puisse se battre en cas de nécessité aux jours les plus solennels (14) (or le propre de la guerre juste est précisément d’être nécessaire). Rares sont les penseurs à se montrer plus exigeants : dans la Summa decretorum (1157), maître Rufin prescrit le respect des jours de fête solennisés par l’Église dans la mesure où le châtiment des méchants, quoique légitime et mérité, doit alors s’interrompre (15). Cependant, l’opinion publique, fidèle à une attitude sans doute plus sentimentale que raisonnée, jugeait anormal que les combats intervinssent durant les périodes les plus saintes de l’année. J’en donnerai ici quelques exemples. Le 2 février 1348, lors du siège d’Agen, les Anglais demandèrent aux Français une trêve en l’honneur de la Purification de la Vierge (16). En 1411, le duc Charles d’Orléans chevauchait avec son armée près de Montdidier : le 7 septembre il s’arrêta en une « ville » appelée « Castenoy » « et pour la haultesse du jour, ne voult chevaucher l’endemain » (17). Lors du siège d’Orléans de 1429 une trêve fut conclue pour le jour de Pâques (18). Un peu plus tard, la même année, « pour ce qu’il estoit dimanche », Jeanne d’Arc « n’estoit pas d’opinion qu’on les combatist ». Même attitude de sa part lors de la fête de l’Ascension (19).
En sens inverse, la bataille de Barnet eut lieu le jour de Pâques, 14 avril 1471, et la bataille de Towton le dimanche des Rameaux, 29 mars 1461. Blâmant les gens de guerre de son temps, Honoré Bovet déclare que « se ils voioient leur avantaige aussi bon leur est de chevauchier ou de eschillier ou de piller ou de rober le propre jour de Pasques comme le jour de caresme prenant » (20). On notera toutefois que dans ce passage l’auteur de L’Arbre des batailles fait seulement référence à des actes agressifs, offensifs ou illégaux, c’est-à-dire, dans tous les cas, non nécessaires ; tout se passe comme s’il adhérait implicitement à la position de saint Thomas d’Aquin. C’est un fait bien connu que Jeanne d’Arc ordonna l’assaut de Paris le 8 septembre 1429. A cette occasion, le Bourgeois de Paris écrit dans son journal : « Bien ne leur devoit pas venir de voulloir faire telle occision le jour de la Saincte Nativité Nostre Dame ». Mais dans le registre capitulaire de Notre-Dame, il est dit que Jeanne d’Arc échoua « à cause de la résistance des bourgeois de Paris avec l’aide de Dieu et de la glorieuse Vierge dont la fête est célébrée dans la dite ville avec grand honneur » (21). Ainsi, dans une guerre défensive, autrement dit nécessaire ou juste, il n’était pas seulement licite mais éventuellement profitable de se battre les jours de fête solennelle puisqu’on pouvait en espérer quelque assistance surnaturelle.
Plus importante sans doute fut l’influence de la paix de Dieu, c’est-à-dire, avant tout, la protection de différentes gens et de différents biens, maintenus, pour ainsi dire, à l’écart de la guerre. La réglementation de la guerre privée dans le comté de Bourgogne par Philippe V le Long en 1319 rappelle par bien des côtés les décisions du synode de Verdun-sur-le-Doubs en 1016 aussi bien que l’édit de Frédéric Barberousse contra incendiarios de 1184. Il y était interdit d’incendier les maisons et les châteaux, de couper ou d’arracher les vignes et les arbres fruitiers, d’enlever les animaux de trait, les charrues et les laboureurs (22).
Honoré Bovet n’innove en rien lorsqu’il évoque l’immunité naturelle dont doivent bénéficier les non-combattants et leurs biens. Parmi ceux qui ont des « sauf-conduits sans demander », il mentionne les gens d’Église, depuis les prélats jusqu’aux pèlerins en passant par les chapelains, les convers et les ermites, les enfants, les vieillards, les femmes, les marchands, les laboureurs, les « bouviers et tous gaigneurs » (23). On retrouve les mêmes catégories dans le traité que Simon Islip adressa à Édouard III sur la mauvaise administration du royaume : bénéficient de la sûreté en temps de guerre les « presbiteri, monachi, conversi, mercatores, rustici euntes et redeuntes in agriculturam existentes ; et animalia que arant et semina portant ad agrum » (24).
A la fin du Moyen Âge, un tel comportement était plus ou moins sincèrement accepté par les chefs de guerre et les combattants, du moins à titre d’idéal ou de norme. Naturellement, cet idéal n’était que rarement respecté, ce qui ne veut pas dire, toutefois, qu’il était considéré comme inaccessible, incompatible avec la pratique de la guerre et qu’il n’eut jamais aucune influence sur les comportements réels. On relève quelques exemples où les autorités et les capitaines s’efforcèrent de limiter les effets « pervers » de la guerre en promulguant un code militaire et en exigeant de leurs armées une discipline rigoureuse. Témoins les ordonnances de guerre de Richard II, Henri V et du duc de Bedford, témoin aussi le maréchal Boucicaut si du moins l’on se fie à son biographe : « Quant il voyage aulcune part en armes, il faict defendre expressement sur peine de la hart que nul ne soit si hardy de grever eglise ne moustier ne prebstre ne religieux, mesme en terre d’ennemis. Et ne souffre assaillir eglise forte, quelque bien ou quelque richesse que le pays eust dedans, quelque famine ou necessité qu’il ait » (25). Des campagnes effectives furent conduites de façon spécialement humaine. Ainsi celle du comte d’Armagnac, connétable de France, en 1416, lors du siège de Harfleur (26), ou encore le recouvrement de la Normandie par Charles VII : « Et estoient tous les dits gens d’armes et de trait a pié payés et gaigés tous les mois sans qu’ilz osassent durant la dicte guerre de Normandie prendre nulles gens prisonniers ne renchonner cheval ne aultre becte, quelle que elle fust, pozé ores que les dits gens fussent en l’obeissance des dits Anglois, ne les vivres en quelques lieux que ce fust sans payer si non sur les dits Anglois et des gens tenant leur parti qui estoient trouvez faisant la guerre, lesquelz ils pouvoient prendre licitement et leur estoit permi et non aultrement » (27). Ainsi les troupes françaises, contrairement à ce que la pratique des appatis avait longtemps autorisé, n’eurent pas la permission, en 1449-1450, de prendre comme prisonniers ou de rançonner les Normands qui vivaient dans des territoires situés sous domination anglaise, à moins qu’ils ne fussent pris les armes à la main. Un autre exemple est fourni par le chroniqueur Jean Chartier. En septembre 1431, Ambroise de Loré, capitaine français, quitta avec quelques troupes le château de Saint-Célerin. Le but était de piller la foire de la Saint-Michel, qui avait lieu régulièrement en un emplacement situé à l’extérieur de l’enceinte de la ville de Caen, près de l’abbaye Saint-Étienne. L’opération réussit, quantité de marchandises et de gens furent emportés, y compris des bourgeois de la ville et des Anglais. « Aprés quoy, a une croix prés du passage, fist arrester toute la compagnie avec les prisonniers et illec fist crier a son de trompe de par le roy et le duc d’Alençon, duquel il estoit mareschal, sur paine de la hart, que tout homme qui avoit prisonnier prestre ou autre homme d’église, qu’il l’envoyast et delivrast franchement ; item que tout homme qui avoit sauf conduit du roy de France ou d’autre seigneur ou capitaine en fust semblablement envoyé franchement ; item aussi que tous vielz hommes, jeunes enfans et povres laboureurs, qui ne sont pas de prince, en fussent pareillement envoyez » (28). Il va de soi que des ordres aussi stricts ne furent pas acceptés aisément par les combattants français, d’où des différends qu’Ambroise de Loré dut régler.
Voici encore Guillaume Cousinot évoquant en ces termes l’armée de Louis XI lors de l’invasion du Bourbonnais en 1465 : « Je crois que oncques homme ne vit la semblable, ne garder plus bel ordre, tant en bataille, en forme de chevaucher que a ne dommagier point le peuple. Ne il n’y a laboureur qui s’en fuye, ne homme d’eglise ne marchant, et est tout le monde en son ost comme il seroit en la ville de Paris. (…) Oncques ne fust si gracieuse guerre. Ne vous n’ourriez parler d’une femme forcee, ne d’une eglise pillee, ne d’un homme pris, si n’est es villes qu’on prend de force ou qu’il soit homme de guerre, ne ung cheval emblé ne ung homme destroussé » (29).
L’étonnement mêlé d’admiration qui perce dans le ton de Guillaume Cousinot n’est que trop compréhensible. Car la pratique des hommes de guerre était en règle générale tout à fait différente, et Honoré Bovet en était pleinement conscient en écrivant : « Combien que ce soit grand debat et dure chose a determiner pour les cous-turnes contraires que les gens d’armes ont trouvees depuis peu de temps en ça, selon droit ancien et selon les anciennes coustumes des bons guerroieurs, je tiens fermement que ce soit chose deshoneste de emprisonner hommes anciens se en guerres ne vont et femmes et enfans innocens. Certes, c’est trés laide coustume de demander pour eulx finance car il est notoire que ils ne sont pas pour guerroies » (30). Agir ainsi, c’est mériter le nom de pillard.
On ne peut qu’être frappé par le fait qu’Honoré Bovet ne pense pas que sa proposition aille tout à fait de soi. Il parle de « grant debat », de « dure chose a determiner », comme si elle pouvait être l’objet de quelque quaestio disputata. Il oppose un droit ancien non point certes à un droit nouveau mais du moins à des coutumes nouvelles, au sens semble-t-il juridique du terme « coutume ». De fait, dans des actes officiels datant de l’occupation anglaise de la Normandie, la définition des non-combattants est beaucoup plus étroite que dans les exemples mentionnés précédemment. Selon ces ordonnances, les gens d’Église d’origine française, les femmes de naissance noble, les enfants à partir de dix et même de huit ans peuvent être arrêtés légalement et mis à rançon. Dans son rapport de 1435, Sir John Fastolf, après avoir proposé un style de guerre sans compassion ni miséricorde, est soucieux de prévenir une objection possible : « Item (…) il est pensé que le roi (entendons Henri VI) peut et doit raisonnablement mener toute cette guerre cruelle sans réputation de tyrannie, attendu qu’il a offert à ses adversaires, comme bon prince chrétien, que toutes les personnes de sainte Église et aussi les communes et les laboureurs du royaume de France se trouvant dans les forteresses et en dehors soient en paisible sûreté, sans guerre ni prince, en sorte que la guerre, pour l’une et l’autre partie, demeure entre gens de guerre et gens de guerre, laquelle offre les dits adversaires ont ouvertement refusée, d’où il est conclu de leur faire une guerre âpre et cruelle sans épargner quiconque » (31).
Le conseil de Fastolf ne peut être simplement compris comme une forme d’hypocrisie ou de cynisme. De même, il serait insuffisant de penser que les soldats de la fin du Moyen Âge étaient pires que leurs prédécesseurs. Indépendamment de raisons économiques et sociales évidentes, c’est l’ensemble du contexte politique qui peut expliquer, dans le cas de la guerre de Cent ans, ce manifeste durcissement des pratiques guerrières. Puisque les rois et les princes prétendaient faire usage de toutes les ressources possibles de leurs pays, puisque la guerre était financée par des impôts que chacun devait payer, puisque l’idée d’une obligation militaire générale était plus ou moins admise et se traduisait éventuellement dans les faits, puisque la destruction du potentiel économique de l’adversaire était un but de guerre avoué, puisqu’un serment d’allégeance était parfois demandé à l’ensemble d’une population, serment dont la rupture était assimilée à un crime de lèse-majesté, on comprend que le concept de non-combattant ait été susceptible d’interprétations divergentes. En particulier, la montée des enchères et des enjeux entre belligérants, les mutations de la philosophie politique sur laquelle les États prétendaient asseoir leur pouvoir, jointes naturellement à une relative « professionnalisation » de la guerre, aboutirent, dans un grand nombre de circonstances, à mettre en question l’immunité de certains groupes sociaux, de certains biens, de certains lieux, et cela non pas seulement au niveau de la pratique des gens de guerre mais, ce qui est plus significatif, au niveau des instructions et des ordonnances officielles.
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Pour autant, les pouvoirs n’avaient nullement renoncé à se référer à la notion de juste guerre, telle qu’elle s’était progressivement élaborée et enrichie, disons de Gratien à Hostiensis. Les sept types de guerre proposés par ce dernier, les cinq critères de la juste guerre, en fonction de la personne, de la chose, de la cause, de l’esprit et de l’autorité : tout cela est loin d’être oublié ou laissé de côté, et les textes du temps ne manquent pas d’y faire de fréquentes allusions. Les princes étaient pleinement conscients de la nécessité morale où ils se trouvaient de n’entreprendre que des guerres justes. Philippe de Valois, dans un manifeste qu’il prescrit de lire dans toutes les églises du royaume, déclare : « Jaçoit ce que nous ayons bon droit et juste cause, selon le jugement de nostre conseil » (32). Dans le camp opposé, en 1346, Édouard III écrit au Provincial des Dominicains pour expliquer à lui-même et à son ordre la justice de la revendication au trône de France, de telle sorte qu’ils puissent développer ce thème dans leurs sermons. L’année suivante, alors qu’il se trouvait à Calais, il adresse une lettre à ses sujets où l’on trouve une allusion à sa juste querelle (33). Selon John Bromyard, dans la Summa Predicantium, Édouard III, avant de faire campagne, avait coutume d’accomplir un pèlerinage et de prendre le conseil de personnes expertes dans le droit sacré et profane (34). Philippe de Mézières raconte comment « jeune homme et petitement fondez en prudence et en science ne en la pratique du monde », il commença sa carrière en étant « un bon temps soudoyer en Lombardie pour aprendre le fait d’armes ». Plus tard, devenu « vétéran », il se reprocha amèrement d’avoir agi en homme de sang (35) et de ne pas s’être interrogé, avant de s’engager dans une guerre, si elle était juste, « c’est-à-dire pour la chose publique, pour la foi, pour l’Église, pour les veuves et les orphelins, pour l’équité et la justice » (36). Dans son mémoire sur Jeanne la Pucelle, écrit en 1429, le dominicain Jean Dupuy estime qu’il est possible de soutenir son fait « particulièrement en raison de la cause finale qui est très juste, à savoir la restitution du royaume au roi et l’expulsion ou l’écrasement très juste d’ennemis très obstinés » (37). Parmi les 101 articles des demandeurs lors du procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc, l’art. 72 s’exprime ainsi : « Item, il est opposé à Jeanne qu’elle faisait mettre le nom de Jésus dans ses lettres, par lesquelles elle ordonnait que des actions mauvaises fussent accomplies, etc. ; elle répondit opportunément qu’elle n’avait commis en cela aucun péché, puisqu’il s’agissait d’une guerre juste » (38). Dans son petit traité sur l’art de la guerre, Robert de Balsac, à la fin du XVe siècle, mentionne le critère de la juste guerre comme la condition préliminaire à toute opération militaire : « Premierement, avant tout œuvre, le prince doit adviser s’il a bonne et juste querelle, pour mettre Dieu et la raison pour lui » (39). Même conseil de la part de Philippe de Clèves, quelques années plus tard : « Vous debvez garder d’entreprendre guerre a mauvaise querelle » (40). On relève des formules analogues dans Le Jouvencel de Jean de BueiI (41).
Cependant, des esprits plus exigeants étaient tout à fait conscients du fait qu’il était facile aux princes et à leurs conseillers de découvrir à chaque coup, dans l’enchevêtrement des dossiers diplomatiques, des motifs et des titres suffisants pour justifier n’importe quelle entreprise belliqueuse. Un auteur du milieu du XVe siècle exprime sa surprise en constatant que tant de princes, quoique très soucieux de ne pas commettre de péché mortel, s’accusent si rarement de faire des « guerres volontaires ». Il poursuit en ces termes : « En la Chrestienté qui bien y veult regarder n’y a guerre que le commancement d’icelle ne vienne ou d’ung costé ou d’autre par deffaulte de justice. Encore dys qu’il n’y a guerre tant cruelle que si les deux parties qui la conduisent voulloient chacune oïr et suivre justice qu’elle ne cesse » (42). Il laisse ainsi entendre que dans la Chrétienté de son temps la majorité des guerres sont injustes, des deux côtés, dès le départ. Et cela peut-être surtout parce que la raison fondamentale d’entreprendre une guerre tendait à devenir le bien commun, le profit commun de l’organisme politique concerné : insensiblement, on glissait à la notion de raison d’État (43).
L’exemple de Philippe de Mézières montre que des combattants volontaires pouvaient se poser la question de leur responsabilité morale lorsqu’ils s’engageaient dans une injuste guerre. Classiquement, Honoré Bovet envisage ici trois possibilités : 1) si un chevalier meurt dans une bataille ordonnée par l’Église (ainsi contre les païens, ou contre les ennemis du pape et de la foi), et si, d’autre part, il n’est pas, au moment de mourir, en état de péché mortel, il va en Paradis ; 2) si un chevalier rencontre la mort dans une bataille au cours d’une juste guerre, d’une juste querelle, il est également sauvé ; 3) si c’est dans une injuste guerre, il y a pour lui des risques élevés de damnation. Cependant, pour d’autres autorités, un soldat a seulement à obéir à son prince, en sorte qu’il n’est pas responsable si son prince entreprend une guerre injuste. Cette attitude n’est nullement nouvelle : saint Augustin l’adoptait déjà, et après lui Gratien, comme en témoigne le précepte Licet dominus peccet precipiendo, lumen subditus non peccal obediendo. Toutefois, la contradiction n’est peut-être pas aussi forte qu’on pourrait le penser, dans la mesure où l’on tendait à admettre comme juste, au moins pour ses sujets et ses armées, toute guerre menée par le prince. L’auteur de la vie de Bayart le loue de s’être toujours comporté de façon modérée dans les guerres où il se trouva, au service de son prince « pour soutenir le bien public de ses pays » (44). Le Panegyric de Loys de la Tremoille, composé par Jean Bouchet, au début du XVIe siècle, rapporte que son fils, le prince de Talmont, mortellement blessé sur le champ de bataille, eut ces dernières paroles : « Dieu me donne la grace de mourir au service du roy et de la chose publique ». Et son père écrivit en ces termes à sa femme : « Nostre fils est mort au lict d’honneur, en bataille permise pour juste querelle, en acte de vertu pour le bien public » (45).
Peut-être, tandis qu’aux XIIe et XIIIe siècles, l’accent était mis sur l’auctoritas et la causa (qui avait le jus ad bellum, dans quelle condition une cause pouvait être dite juste), à partir du XIVe siècle, on insiste plus volontiers sur la façon dont la guerre est ou doit être conduite (jus in bellum). Déjà saint Thomas d’Aquin avait suggéré qu’une sorte de proportion devait être respectée entre les mobiles et les résultats, mais seulement en ce qui concerne le tyrannicide. On trouverait une nouvelle approche du problème dans cette remarque sarcastique d’un auteur du XVe siècle : « Certes, il fault bien que la querelle soit moult juste, bien fondee en droit et plaisant a Dieu qui poeult satiffaire et respondre a tant de cruaultez qui se commettent par l’exercice de la guerre ainsi que l’en en use de present en la Chretienté » (46). Une réaction semblable, exprimée dans un style tout différent, se trouve dans la Lettre à Richard II de Philippe de Mézières : « Aucuns pourroient dire que, selonc les loys civiles et divines, pour recouvrer son heritage, pour faire justice des mauvaiz ou pour la deffension de la chose publique, les guerres des Crestiens sont licites. A ce se puet respondre que qui vouldroit bien peser en la balance de verité le principal de la cause pour laquele la guerre sera commencire, la quele cause sera jugiee par la sapience humaine estre juste, qui aucune foiz devant Dieu, pour les circonstances et ignorances d’icelles, sera reputee injuste ; et de l’autre part, se les maulz sans nombre et cruaultez qui seront faites en la guerre contre et oultre la loy et discipline de vraie chevalerie, seront bien pesez en la dicte balance, il se trouvera que avant le commencement de la guerre il eust esté expedient que l’un roy a l’autre eust quittié franchement et liberalment pour la reverence de Dieu et pour eschever tant de maulx les II pars du principal de la cause en demourant vrais amiz sans aucun reprouche ou temps advenir de la dicte cession des II parties sustouciés de la cause » (47).
A suivre Philippe de Mézières, dans le cas de la guerre de Cent ans, où les rois d’Angleterre réclamaient tout le royaume de France, il aurait mieux valu pour les rois de France, sans qu’on pût leur en faire grief ultérieurement, qu’ils cédassent les deux-tiers de leur domination.
Ce raisonnement semble être prémonitoire de celui formulé par Vitoria au début du XVIe siècle : « Puisque tout ce qui arrive dans une guerre — meurtres, incendies, dévastations — est atroce et cruel, il n’est donc pas permis en cas d’injustices légères d’en poursuivre les auteurs par la guerre, car les châtiments doivent être proportionnés à la gravité du délit ». Et encore : « Quand la guerre entraîne de grands maux de chaque côté, elle ne peut être juste » (48).
Dans le même ordre d’idées, on en vint à opposer deux types de guerre selon le comportement des combattants : face à la « guerre mortelle », à la guerre « de feu et de sang », où toutes les « cruautés, occisions et inhumanitez » étaient admises, voire systématiquement prescrites, il y eut la « guerre loyale », honorable, courtoise, la « bonne guerre », faite par les « bons guerroyeurs », la « guerre guerroyable », respectueuse de la « droicturiere justice d’armes », qui n’était menée ni par « mauvaise intention » ni par « perverse operation ». Se référant à la lutte entre Philippe le Bel et Édouard Ier, Robert Blondel, dans sa traduction française de l’Oratio historialis, écrit : « Des lors le roi d’Angleterre lui fist signiffier deffiances non mie de juste guerre, mais de depopuler son pays, de ravir tout ce qu’il pourroit, d’y bruler villes et champs et d’y exercer toutes manieres de guerre a feu et a sang » (49). Peu importe dès lors que le roi d’Angleterre ait eu de bonnes raisons pour déclarer la guerre ; celle-ci ne pouvait être juste en raison des massacres et des incendies qui devaient accompagner son déroulement.
Or, l’un des moyens grâce auxquels on estimait possible de mener une « bonne guerre » était de maintenir, ou de rétablir, aussi bien pour des raisons d’efficacité militaire que de morale, la disciplina militaris, expression empruntée par le Moyen Âge à Végèce et traduite en français par « discipline de guerre », « discipline de vraie chevalerie », « discipline militaire » (50). « Ung roy est fort per disciplinam militantem, c’est a dire par bonne ordonnance, regle et discipline mise sur gens de guerre » (51). Le glissement de l’expression « discipline de chevalerie » à l’expression « discipline militaire » montre ici encore qu’il n’y a pas de solution de continuité entre le Moyen Âge et les temps modernes, et que l’on est passé insensiblement du modèle du chevalier à celui de l’officier.
Il est temps de revenir à la question initiale : dans quelle mesure la fin du Moyen Âge marqua-t-elle une rupture par rapport à la tradition antérieure quant à la conception morale et juridique de la guerre ? La réponse ne peut être que nuancée. En un sens, c’est bien la continuité qui paraît l’emporter, tant on éprouve de difficulté à repérer un élément tout à fait nouveau dans la pensée sur la guerre. L’immunité dont devaient bénéficier les non-combattants, la guerre comme jugement de Dieu, la notion de juste guerre, celle de « discipline de chevalerie » : tout cela, qui appartient à l’héritage culturel du Moyen Âge classique, n’est ni oublié ni délaissé. Il nous plaît de retenir comme symbole de cette continuité dans le système de référence ce qu’écrit du chevalier Bayart son biographe : « Tousjours disoit le bon gentilhomme que tous empires, royaulmes et provinces sans justice sont forestz pleines de brigans » (52). On aura reconnu ici l’influence augustinienne (53). Et pourtant, à l’intérieur de ce paysage moral et intellectuel immuable, de très lents déplacements se produisent. Certaines notions gagnent en intensité, d’autres reculent à l’arrière-plan, des expressions inédites sont forgées. Les propositions de duels entre princes s’espacent après 1450, aussi bien que celles de bataille assignée. Lorsqu’elles interviennent, c’est que la propagande l’exige. Des cyniques, des impies se préoccupent peu d’avoir un juste titre pour leur querelle, mais proclament ouvertement « Vive le plus fort » (54). Plus encore : l’affirmation du pouvoir du prince, jointe à une évidente laïcisation de la pensée politique, tend à réduire à néant la responsabilité morale des sujets qui suivent ses guerres. Le bien commun du royaume, ou de la principauté, vient, à la limite, tout justifier, la mort au champ d’honneur tout racheter. Du même coup, la réflexion morale et juridique va surtout viser à limiter les conséquences de la guerre. Dès la fin du Moyen Âge, la notion de droit des gens éclipse plus ou moins celle de juste guerre ; péniblement, la pensée sur la guerre s’adapte à la réalité d’une Europe composée d’États souverains mais censément civilisés.
Philippe CONTAMINE (1932-2022)
NOTES :
(1). K. G. Gram, ludicium belli. Zum Rechtscharakter des Krieges im deutschen Mittelalter, Münster et Cologne, 1955.
(2). W. Goez, « über Fürstenzweildimpfe im Spâtmittelalter », dans Archiu fiir Kulturgeschichte, 49 (1967), p. 135-163.
(3). J. Calmette et E. Déprez, La France et l’Angleterre en conflit, Paris, 1937, p. 234 (Histoire du Moyen Âge, sous la direction de G. Glotz, VII,1).
(4). R. Vaughan, Philip the Good. The Apogee of Burgundy, Londres, 1970,p. 38-39.
(5). « Farcical », dit R. Vaughan, op. et loc. cil. « Leeres Zeremoniell » : la formule est de J. Huizinga. E. G. Léonard parle de « comédie internationale » (cité par W. Goez, art. cit. p 136). Avant la bataille d’Auray (1364), le bienheureux Charles de Blois, selon un témoin au procès de béatification, déclarait : « Ego ibo defendere populum meum, placeret modo Deo quod contencio esset solum inter me et aduersarium meum, absque eo quod alii propter hoc morerentur » (Monuments du procès de canonisation du bienheureux Charles de Blois, éd. dom F. Plaine, Saint-Brieuc, 1921, p. 93).
(6). J. Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, t. IV, Paris, 1850, p. 382-385. Parmi les très rares propositions qui aboutirent réellement, la plus célèbre est sans doute le Combat des Trente, livré dans la lande de Mi-Voie, entre Plermel et Josselin, le samedi 26 mars 1351, entre trente Bretons, partisans de Charles de Blois, et trente Anglo-Bretons, partisans de Jean de Montfort. « La bataille de Trente Anglois et de Trente Bretons », éd. H. R. Brush, Modern Philology, 9 (1911-1912), p. 511-544, et 10 (19121913), p. 82-136. Moins connu, l’épisode comparable qui opposa, le 28 septembre 1396, près de Perth, deux groupes de trente hommes chacun, appartenant à deux clans écossais, les Chattan et les Kay (R. Nicholson, Scotland. The Leder Middle Ages, Édimbourg, 1974, p. 208. R. Mitchinson, A History of Scotland, Londres, 1970, p. 58-59).
(7). Honoré Bonet, L’Arbre des batailles, éd. E. Nys, Paris, 1883, p. 71. Sur la graphie Bovet, adoptée ici, voir, outre G. Ouy, « Honoré Bouvet (appelé à tort Bonet) prieur de Selonnet », Romania, I.X X XV (1959), p. 255-259, N. A. R. Wright, « The Tree of Battles of Honoré Bouvet and the Laws of War », dans War, Literature and Politics in the Late Middle Ages. Essays in Honour of G. W. Coopland, éd. C. T. Allmand, Liverpool, 1976, p. 12, n. 2.
(8). « Documents relating to the Anglo-French Negotiations of 1439 », éd. C. T. Allmand, Camden Miscellany, XXIV, Londres, 1972, p. 116.
(9). G. W. Coopland, The Tree of Bailles of Honoré Bonet, Liverpool, 1949, p. 296.
(10). H. A. Oberman et J. A. Weisheipl, « The Sermo epinicius ascribed to Thomas Bradwardine (1346) », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, XXXIII (1958), p. 295-329.
(11). Procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc, éd. P. Duparc, t. I, Paris, 1977, p. 472. « La bataille comme l’oracle appartient au sacré » (G. Duby, 27 juillet 1214, le dimanche de Bouvines, Paris, 1973, p. 146).
(12). The Boke of Noblesse addressed to King Edward the Fourth on his Invasion of France in 1475, éd. J. G. Nichols, Londres, 1860, p. 41.
(13). Suger, Vie de Louis VI le Gros, éd. et trad. H. Waquet, Paris, 1929, p. 26.
(14). Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, qu. 40.
(15). F. H. Russell, The Just War in the Middle Ages, Cambridge, 1975, p. 105.
(16). Jean Froissart, Chroniques, t. III, éd. S. Luce, Paris, 1862, p. 117.
(17). Chronique de la Pucelle ou Chronique de Cousinot, éd. Vallet de Viriville, Paris, 1864, p. 136.
(18). Journal du siège d’Orléans, 1428-1429, éd. P. Charpentier et Ch. Cuissard, Orléans, 1896, p. 64.
(19). Procès en nullité…, éd. cit., p. 393. Robert Blondel déplore que la prise de Fougères par François de Surienne se soit produite en plein carême la veille de l’Annonciation (De reductione Normanniae, dans J. Stevenson, Narratives of the Expulsion of the English of Normandy, Londres, 1863, p. 5).
(20). Honoré Bonet, op. cit., p. 144.
(21). Journal d’un bourgeois de Paris (1405-1449), éd. A. Tuetey, Paris, 1881, p. 246 et 244, n. 1. Interrogée sur ce point, Jeanne, lors du procès de Rouen, répondit qu’elle ne savait pas si l’attaque de Paris un jour de fête constituait un péché mortel et s’en rapportait à Dieu (Procès de Condamnation de Jeanne d’Arc, éd. P. Tisset et Y. Lanhers, t. I, Paris, 1960, p. 152). A propos de l’attaque de Lagny par les troupes anglaises en mars 1431, le Bourgeois note, p. 263 : « En la fin, n’y orent point de honneur car ceste malle œuvre se faisoit la sepmaine peneuse ».
(22). J. Richard, « Le droit de guerre du noble comtois », Mémoires de la société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, XII (1948-1949), p. 107-115.
(23). Honoré Bonet, op. cit., p. 202.
(24). Simon Islip, De speculo regis Edwardi III, éd. J. Moisant, Paris, 1891, p. 132.
(25). Le Livre des faicts du bon messire Jean le Maingre, dit Boucicaut, maréchal de France et gouverneur de Gênes, éd. J. F. Michaud et J. J. F. Poujoulat, Paris, 1836, p. 319. Voir aussi Gutierre Diaz de Gamez, Le Victorial, chronique de don Pedro Ninô, comte de Buelna, trad. A. de Circourt et Puymagre, Paris, 1867, p. 313-314.
(26). Religieux de Saint-Denys, Chronique, éd. M.-L. Bella guet, t. V, Paris, 1844, p. 758-760. Sur l’identité du Religieux, très probablement Michel Pintoin, voir N. Grévy-Pons et E. Ornato, « Qui est l’auteur de la chronique latine de Charles VI, dite du Religieux de Saint-Denis ? » Bibliothèque de l’École des Chartes, CXXXIV (1976), p. 85-102.
(27). Chronique du Héraut Berry, dans J. Stevenson, Narratives of the Expulsion…, op. cit., p. 371. Naturellement de tels comportements étaient assez rares. En 1420, le Religieux de Saint-Denys, op. cit., t. VI, p. 154, dénonce comme pillards tous les chefs de guerre, à l’exception de Pons de Châtillon « quia ipsum solum militem inter universos Francigenas comperi voluisse militarem disciplinam in melius reformare ».
(28). Jean Chartier, Chronique de Charles VII. éd. Vallet de Viriville, t. I, Paris, 1858, p. 152-153.
(29). Cité par P. S. Lewis, La France à la fin du Moyen Âge, Paris, 1977, p. 79-80.
30. Honoré Bonet, op. cit., p. 202.
(31). C. T. Allmand, Society at War. The Experience of England and France during the Hundred Years War, Édimbourg, 1973, p. 35.
(32). Cité par G. du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. I, Paris, 1881, p. 93.
(33). M. Keen, England in the Later Middle Ages. A Political History, Londres, 1973, p. 143-144.
(34). C. T. Allmand, op. cit., p. 38.
(35). Ps. 59, 3.
(36). N. Iorga, Philippe de Mézières et la croisade au XIVe siècle, Paris, 1896, p. 65.
(37). A. Dondaine, « Le témoignage de Jean Dupuy O. P. sur Jeanne d’Arc. Note additionnelle à A.F.P. XII (1942), 167-184 », Archivum Fratrum Praedicalorum, XXXVIII (1968), p. 35.
(38). Procès en nullité…, éd. cit., t. r, Paris, 1977, p. 139.
(39). Robert de Balsac, La Nef des princes, Lyon, 1502, f. 55 vo.
(40). Philippe de Clèves, Instruction de toutes manieres de guerroyer, Paris, 1558, p. 3.
(41). On notera cependant que Jean de Bueil, plutôt que de guerre juste ou injuste, parle de querelle bonne ou mauvaise (Le Jouvencel, éd. C. Favre et L. Lecestre, Paris, 1887 et 1889, t. I, p. 118 et 187, et t. II, p. 20 et 21).
(42). Bibl. nat., Paris, fr. 1227, f. 43 r°.
(43). F. H. Russell, op. cit., p. 303.
(44). Histoire du gentil seigneur de Bayart composée par le Loyal Serviteur éd. J. Roman, Paris, 1878, p. 427.
(45). Dans Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire de France, XVe siècle, éd. J. A. C. Buchon, Paris, 1836, p. 787 et 792. On notera l’expression « lict d’honneur » (employée également dans l’épitaphe de Louis de la Trémoille, p. 807), annonçant celle de champ d’honneur, dont on sait la fortune.
(46). Bibi. nat., Paris, fr. 1957, f. 22 vo.
(47). Philippe de Mézières, Letter to King Richard II. A Plea made in 1395 for peace between England and France, éd. et trad. angl. G. W. Coopland, Liverpool, 1975, p. 126.
(48). Francisco de Vitoria, Leçons sur les Indiens et le droit de guerre, introduction, traduction et notes par M. Barbier, Genève, 1966, p. 138 et 140.
(49). Robert Blondel, Œuvres, éd. A. Héron, t. I, Rouen, 1891, p. 385.
(50). « Discipline de guerre » cf. Le Livre de la chevalerie de la Passion Jhesu Crist, de Philippe de Mézières (Bodl. Library, Oxford, ms. Ashmolean 813, 1. 6r°). « Discipline de vraie chevalerie » : ibid., f. 8 vo. On trouve l’expression « discipline militaire » dans La Salade d’Antoine de la Sale, composée vers 144 (éd. F. Desonay, Liège et Paris, 1935, p. 241).
(51). Jean Masselin, Journal des États généraux tenus à Tours en 1484, éd. A. Bernier, Paris, 1835, 193.
(52). Histoire du gentil seigneur de Bayart…, éd. cit., p. 428.
(53). « Remota justitia, quid sit regnum quam latrocinium ? », saint Augustin, De civitate Dei, IV, 4.
(54). The Boke of Noblesse…, éd. cit., p. 7, commente : « (That) is to sey, Let the grettest mainstrie have the feelde ».