dimanche 1 septembre 2024

Réflexions finales sur le Mali et un peu de prospective

Allez, je l’écris. Nous sommes le 4 août et cette date évoque positivement en moi le symbole de la fin des privilèges en France. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Pas d’évolutions vraiment convaincantes et le sentiment que les privilèges, sous des formes différentes, auraient simplement changé de main. La France est éternelle dans son mode de fonctionnement et finalement dans sa politique extérieure (heureusement, cette fois) comme en témoigne son intervention au Mali.

Le premier tour de l’élection présidentielle au Mali s’est donc globalement bien déroulé. Le second tour se tiendra le 11 août amenant sans doute au pouvoir un président peu favorable à l’intervention militaire française mais membre de l’internationale socialiste (Cf. Le Monde du 1er août 2013). En parallèle, la commission de la défense nationale a diffusé un rapport d’information sur l’opération Serval dans le cadre de son rôle de contrôle et d’évaluation.

Un rapport parlementaire d’information très complet sur le Mali

Ce rapport est extrêmement riche et le lire informera largement le citoyen intéressé surtout à l’aune du projet de loi de programmation militaire (Cf. La présentation du ministère de la défense) diffusé en ce début de mois d’août.

L’article de Michel Goya dans le numéro de Politique étrangère de cet été, « la guerre de trois mois : l’intervention française au Mali en perspectives » fait utilement d’ailleurs la synthèse de l’opération. Je partage la très grande majorité des conclusions que j’avais aussi exprimées au fil de mes billets

(Cf. Mes billets du

20 janvier 2013 « Mali : Serval après une semaine de guerre. Une réflexion sur la stratégie française en Afrique » ;

24 février 2013 « Il paraît qu’on quitte le Mali en mars ? » ;

17 mars 2013, « Toujours le Mali et toujours le budget de la défense » ;

 31 mars 2013, « Pourrions-nous encore faire la guerre au Mali dans cinq ans ? » ;

14 avril 2013 ; « Une semaine de réflexions stratégiques, cela ne fait pas de mal ! » ;

 2 juin 2013 « Une relance parlementaire française pour l’Europe de la défense ? »).

Ce numéro publie aussi un dossier intitulé « Les minerais d’Afrique, entre conflits et développement » qui peut contribuer à la réflexion sur nos engagements en Afrique et à la défense de nos intérêts.

Il ne me paraît donc pas utile de traiter de la campagne militaire, ni des forces (Cf. http://conops-mil.blogspot.fr), ni de l’action de l’Union européenne et des forces alliées. J’aborderai quelques points particuliers négatifs et positifs après le rappel de quelques chiffres.

Quelques chiffres

Avant l’opération, la coopération militaire française s’élevait à près de quatre millions d’euros en moyenne annuelle. Le Mali accueille deux des seize écoles nationales à vocation régionale (ENVR) établies par la France en Afrique (école militaire d’administration et école du maintien de la paix)

Par sa « stratégie pour la sécurité et le développement » dans la région du Sahel (Mali, Mauritanie et Niger), l’Union européenne a développé une coopération régionale approfondie avec un budget de 663 millions d’euros, complété par une enveloppe supplémentaire spécifique de 150 millions d’euros. 75 % de ces crédits ont été consacrés aux actions relatives au développement. Avec 53 % de l’aide totale, le Mali est le premier bénéficiaire.

L’armée de terre a déployé 1 448 engins, dont plus de 450 blindés. Près de 58 000 munitions ont été tirées. Les nations alliées occidentales ont assuré 25%, de la projection logistique et donc la France 75% !

La manœuvre logistique a été un succès avec le déploiement en cinq semaines de l’équivalent de l’ensemble du désengagement du théâtre afghan. Les conducteurs du bataillon logistique (BATLOG) ont parcouru 2,5 millions de kilomètres, passé 12 heures par jour au volant durant des convois de 8 jours en moyenne, suivis d’une remise en condition de 24 ou 48 heures seulement. Cela peut faire réfléchir sur l’engagement total de nos soldats à tous les grades lorsque l’on voit la société civile parfois bien réticente à faire « plus » dans son travail au quotidien.

Une seule rotation de l’avion de transport A400M, le premier a été livré à l’armée de l’air française en août 2013 après bien des retards, aurait permis de projeter 22 tonnes de fret par jour depuis la France directement à Tessalit au lieu d’un acheminement stratégique jusqu’à Bamako puis cinq rotations de C160 pour atteindre la destination finale. On peut constater à nouveau l’effet obtenu par des livraisons prévues mais retardées d’équipements militaires.

La communication a été bien gérée pour gagner la bataille de l’information avec 529 journalistes représentant 327 médias de toutes nationalités.

Des motifs de satisfaction

La France est intervenue légitimement au profit d’un État faible. Elle y a remporté une victoire militaire incontestable sur les groupes djihadistes et ce malgré leurs rodomontades. Elle a montré que, pour des missions de combat en conditions d’urgence, l’intervention nationale reste plus efficace que l’intervention européenne.

Le processus décisionnel a respecté la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et notamment l’article 35 de la Constitution disposant que « le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention (…), rappelant aussi que « lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement ». Il ne paraît pas inutile de rappeler cette réforme constitutionnelle récente sur l’engagement des forces armées.

La France a montré sa capacité à commander et à conduire, directement et de façon autonome depuis le territoire métropolitain, des opérations qui peuvent se dérouler à des milliers de kilomètres et se déployer sur des théâtres aussi vastes que le bassin méditerranéen lui-même.

Ce succès a été rendu possible par son réseau de missions militaires (29 attachés de défense), des forces prépositionnées (Sénégal, Gabon, Djibouti) que certains « stratèges » voulaient supprimer, quatre opérations en cours des forces françaises en Afrique (Tchad, Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Burkina Faso), le dispositif d’alerte « Guépard » de l’armée de terre rénové depuis l’été 2012.

Des troupes entraînées ont enfin permis de répondre au défi, notamment climatique.

Des lacunes capacitaires

Ce rapport rappelle d’abord l’échec des partenariats militaires passé notamment avec les Etats-Unis depuis 2002 et malgré la création du Trans-Sahara Counter Terrorism Partnership (TSCTP) qui concerne 10 pays du Sahel depuis 2007 (zone francophone de la bande sahélienne et Nigéria)

Sur les capacités françaises (Cf. Rapport d’information de l’Assemblée nationale du 10 juillet 2013), la flotte française de transport aérien permet de disposer d’une capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opération. Cependant, 95 %, des acheminements stratégiques ont été effectués par des moyens étrangers.

Le ravitaillement en vol devient problématique avec des tankers C135 qui ont parfois un âge avancé, 49 ans de service, lorsqu’il contraint à interrompre l’appui aérien et laisse les forces terrestres plusieurs heures sans protection. Depuis le temps que ces avions sont réclamés, il n’est pas exclu que des familles portent plainte demain contre l’Etat comme au Royaume-Uni en cas de pertes de soldats en raison des moyens de combat insuffisants pour remplir la mission (Cf. Mes commentaires au billet du 20 mai 2012).  

Le besoin de la poursuite du programme Scorpion visant à moderniser les engins blindés des forces terrestres est à nouveau avéré.

Enfin, les drones tendent à devenir indispensable à la conduite de toute campagne militaire et pas seulement aérienne. Le débat pour interdire son emploi offensif devient d’ailleurs franchement indécent surtout de la part de personnes que l’on ne verra pas risquer leur vie sur le terrain (Cf. Tribune dans l’Opinion du 26 juillet 2013, « Halte au drone bashing »)

Des regrets sur les réflexions de prospective.

Je citerai en effet le cas des moyens de production et de distribution d’énergie dont le rapport souligne la déficience. Avec un groupe de stagiaires de l’Ecole de guerre, j’avais lancé en 2009 une étude de plusieurs mois sur la sécurité énergétique militaire en opération. Ces officiers m’avaient regardé certes un peu avec stupeur lors de la présentation de ce sujet hors norme. Un peu dans ses rêves, le colonel du CICDE !

Cette recherche visait à intégrer cette problématique à tous les niveaux de la planification et de la conduite des opérations tout en recherchant l’amélioration de l’autonomie en énergie (pétrole et électricité) d’une force projetée de 5 000 hommes. Elle s’était traduite par un mémoire de synthèse et treize études particulières par armée et en interarmées.

Le sujet lancé en revanche, l’enthousiasme de ces officiers supérieurs français et étrangers avait pris le dessus une fois les implications comprises et les défis identifiés. A l’issue, l’ensemble des mémoires avait été diffusé au sein du ministère de la défense… avec malheureusement peu de réactions. Seuls quelques jeunes officiers en son sein avaient et ont effectivement senti l’intérêt du sujet.

Alors parler d’innovation, sinon de prospective au sein des armées n’est pas une mince affaire face à l’immobilisme et sans doute au conformisme intellectuel. Constater que nos parlementaires ont vu ce manque à notre capacité opérationnelle à travers l’opération Serval ne peut que me satisfaire. On verra bien si les armées sauront poursuivre ces réflexions.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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