samedi 27 avril 2024

« Étendre ou partager » : Une dissuasion nucléaire française élargie à l’Europe serait-elle compatible avec le Traité de Non-Prolifération ? Et jusqu’où pourrait-on aller ?

Les propos tenus dans cet article n’engagent que leur auteur, sans lien avec aucune institution.

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Le discours du Président de la république le 07 février 2020 à l’École militaire a évoqué un grand nombre de sujets, mêlant revue stratégique, doctrine de dissuasion, enjeux de l’Europe de la défense, souveraineté, contrôle des armements et éthique [1]. Parmi les questions saillantes, l’hypothèse d’une extension de la dissuasion française à « l’Europe » suscite beaucoup de débats, bien qu’elle n’ait pas été directement proposée. Si l’hypothèse d’un dialogue européen sur le sujet avait été évoquée par Jacques Chirac dès 1996, le contexte actuel rend l’idée objectivement moins théorique et plus crédible qu’alors. Le diable est dans les détails et chaque mot compte, selon que l’on parle de dissuasion « au profit de »  ou « étendue à », « partagée » ou « contrôlée », avec des « partenaires », des « alliés » ou des « États membres », et bien sûr selon que l’on évoque « l’Europe » ou « l’Union européenne ».

Sitôt le discours terminé, des voix se sont élevées au sein de la communauté qui milite en faveur du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) pour dénoncer – comme on pouvait s’y attendre – le discours du Chef de l’État, avec un argument en apparence important : toute « extension » de la dissuasion française violerait les obligations de la France au titre du Traité de Non-Prolifération (TNP) [2], ratifié par la France en 1992, l’un des textes les plus universels de l’Organisation des nations unies. Mais qu’en est-il ? Le Président a-t-il vraiment suggéré que la France était prête à violer l’instrument qui demeure la clef de voûte du désarmement, de la non-prolifération et des usages pacifiques de l’énergie atomique ? Une lecture rapide et détachée de l’histoire du traité pourrait suggérer que toute « sortie » de l’orbite strictement nationale d’un sujet nucléaire militaire serait une forme de prolifération. Mais ce n’est pas forcément le cas. Ni dans la lettre, ni même dans l’esprit. La conformité des « propositions » doit s’apprécier en comparant les déclarations du Chef de l’État au regard des dispositions du TNP. On le verra, cette analyse n’apporte à ce jour aucun élément de non-conformité prévisible, tant les propos ont été mesurés.

Jusqu’où pourrait aller la France au regard du traité, si des propositions présidentielles en matière de coopération autour du nucléaire militaire rencontraient un écho positif en dehors du Royaume-Uni, lui-même État « doté » et qui coopère déjà avec la France ? Quelle est la latitude offerte par le TNP pour « étendre » ou « partager » des éléments de la dissuasion nucléaire ? Pour aider à déterminer les limites acceptables de ce qui est historiquement perçu en France comme un domaine strictement national, il est utile d’étudier les modalités et de l’histoire du partage nucléaire de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN), c’est-à-dire la mise en œuvre, depuis plus d’un demi-siècle, de mécanismes de dialogue mais aussi de partage d’instruments de dissuasion en conformité avec le TNP. On le verra, l’exemple de l’OTAN montre qu’il est à la fois possible de partager une dissuasion entre États dotés et non dotés en respectant le TNP, alors que, paradoxalement, l’idée de transférer à l’Union européenne des armes nucléaires françaises serait quant à elle totalement contraire au traité.

Les propositions du Chef de l’État : dans la continuité de l’héritage chiraquien

Le discours du 07 février 2020, s’il a marqué un élargissement des sujets abordés au-delà du seul thème de la dissuasion, s’inscrit néanmoins dans la continuité des discours précédents : depuis 2001, il s’agit d’un exercice de « style » tacitement imposé à chaque président, qui participe à la stratégie déclaratoire de la France en tant qu’État doté de l’arme nucléaire : exposer, en fonction des enjeux perçus, sa doctrine, sa conception de la dissuasion, ses composantes, son approche du contrôle des armements et du désarmement, les limites plus ou moins claires de ses intérêts « vitaux »

Dans ce cadre, on ne saurait trop souligner, à l’époque moderne, l’œuvre modernisatrice de Jacques Chirac, qui fut en quelque sorte le « refondateur » de la dissuasion post Guerre froide, dans ses composantes comme dans sa doctrine : une dissuasion nucléaire toujours au service de la sanctuarisation du territoire et de la liberté d’action, mais « strictement suffisante », qui a abandonné le scénario unique « centre Europe » pour être pleinement « tous azimuts », qui renonce à la frappe anti-cités pour viser les « centres de décision et de pouvoir », qui met en œuvre un « ultime avertissement » pour rétablir la dissuasion le cas échéant et qui, tout en refusant toujours la bataille nucléaire et les ripostes graduées, dispose d’assez de flexibilité pour s’adapter à tout niveau de menace. De Jacques Chirac date aussi la première tentative d’ouverture européenne en proposant, par la voix de son premier ministre Alain Juppé, une « concertation » sur la dissuasion avec l’Allemagne [3]. Proposition accueillie de manière mitigée par la classe politique allemande où, malgré quelques expressions d’intérêts la méfiance et l’hostilité l’emportèrent [4].

Sans surprise, Emmanuel Macron s’inscrit pleinement dans la continuité de ses prédécesseurs en matière de doctrine. Les changements et précisions, pour importants qu’ils soient pour les spécialistes, n’en sont pas moins mineurs. Ainsi, la « non reproductibilité » de l’ultime avertissement est une précision importante dans la stratégie déclaratoire qui précise le niveau du seuil d’engagement stratégique. Sur le plan de l’ouverture européenne, les propositions sont également, en fait, très modestes, même si leur caractère concret est assez novateur. Novateur pour la France, mais finalement, on le verra, très « old school » pour les États-Unis…

Toutes les propositions concrètes vis-à-vis des Européens s’agissant de la dissuasion tiennent en deux phrases :

« Dans cet esprit (nd : de renforcement de la sécurité en Europe), je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective. […] Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. »

Dialoguer et s’exercer : on est loin de l’extension de la dissuasion française à l’Union Européenne, de la remise en cause des fondements de l’OTAN, d’un commandement commun ou d’un partage d’armes nucléaires. Pour autant, si modestes que soient ces propositions, elles n’ont guère rencontré au mieux qu’un silence poli de la part des chancelleries européennes et au pire, des accusations de saper les fondements de l’Alliance atlantique (notamment à la conférence de Munich) ou, comme on l’a dit, de violation du TNP.

Que dit le TNP ?

L’encadrement du transfert d’armes nucléaires dans le TNP est défini aux articles I et II. Le premier renvoie aux obligations des Etats dotés de l’arme, le second aux obligations concernant les États non dotés. La rédaction est brève – ce n’est pas la moindre de ses qualités – et d’une grande précision :

  • Article I — Tout  État  doté  d’armes  nucléaires  qui  est  Partie  au  Traité  s’engage  à  ne  transférer  à  qui  que  ce  soit,  ni directement ni indirectement, des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs ; et à n’aider, n’encourager ni inciter d’aucune façon un Etat non  doté  d’armes  nucléaires,  quel  qu’il  soit,  à  fabriquer  ou  acquérir  de  quelque  autre  manière  des  armes nucléaires  ou  autres  dispositifs  nucléaires  explosifs,  ou  le  contrôle  de  telles  armes  ou  de  tels  dispositifs explosifs. 
  • Article II — Tout État non doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à n’accepter de qui que ce soit, ni directement ni indirectement, le transfert d’armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires ou du contrôle de  telles  armes  ou  de  tels  dispositifs  explosifs  ; à  ne  fabriquer  ni  acquérir  de  quelque  autre  manière  des armes  nucléaires  ou  autres  dispositifs  nucléaires  explosifs  ;  et  à  ne  rechercher  ni  recevoir  une  aide quelconque pour la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs.

Les obligations se répondent, selon qu’elles concernent les États dotés ou les États non dotés : aucun transfert des premiers vers les seconds d’une « arme » ou d’un « dispositif nucléaire explosif » pas plus que de transfert du « contrôle » de ces armes ou dispositifs et pas d’aide ou d’assistance pour la fabrication [5]. Mais rien, dans ces deux premiers articles ne porte interdiction de l’implantation par un Etat doté d’armes nucléaires sur le territoire d’un État non doté, avec l’accord spécifique de celui-ci, à condition que l’État doté en conserve la propriété et le contrôle. Les sujets territoriaux sont évoqués à l’article VII : Aucune clause du présent Traité ne porte atteinte au droit d’un groupe quelconque d’États de conclure des traités régionaux de façon à assurer l’absence totale d’armes nucléaires sur leurs territoires respectifs.

Le texte est sans ambiguïté : l’interdiction de la présence d’armes sur un territoire est renvoyée à des accords spécifiques à négocier entre États (les « zones exemptes d’armes nucléaires »).

La coopération avec les forces nucléaires militaires d’un État doté n’est pas proscrite non plus : il est parfaitement possible pour un État non doté de s’engager dans une alliance militaire avec un État doté et d’accepter l’extension de sa dissuasion sur son territoire. Les « garanties de sécurité » par la dissuasion nucléaire sont non seulement licites, mais au cœur des réseaux d’alliance des puissances nucléaires depuis la Guerre froide. Ainsi, les États-Unis fournissent à certains de leurs alliés la garantie du « parapluie » nucléaire non seulement au sein de l’OTAN, mais également via les accords d’alliance avec le Japon, l’Australie et la Corée du Sud [6]. L’URSS avait une politique moins univoque en matière de garanties nucléaires, même si Moscou ne laissait guère de doute dans ses déclarations sur sa détermination à engager le feu nucléaire en cas d’agression contre un de ses alliés [7]. L’hypothèse d’une extension « unilatérale », « concédée » ou « négociée » de la garantie de la dissuasion française à tout ou partie de l’Union européenne n’aurait donc rien d’illégal au regard du TNP.

Dissuasion française et Europe : une idée ancienne

Mais, bien entendu, le président n’a nullement proposé une telle garantie. Il y a là une forme de malentendu (sans doute intentionnel) de la part des opposants à la dissuasion : depuis Jacques Chirac les présidents français ne proposent pas une dissuasion européenne, ils répètent simplement un truisme : la France est en Europe et ce qui s’y passe ne peut lui être étranger [8]. Ainsi, le 19 janvier 2006 :

« L’imbrication croissante des intérêts des pays de l’Union européenne, la solidarité qui existe désormais entre eux, font de la dissuasion nucléaire française, par sa seule existence, un élément incontournable de la sécurité du continent européen. En 1995, la France avait émis l’idée ambitieuse d’une dissuasion concertée afin d’initier une réflexion européenne sur le sujet. Ma conviction demeure que nous devrons, le moment venu, nous poser la question d’une Défense commune, qui tiendrait compte des forces de dissuasion existantes, dans la perspective d’une Europe forte, responsable de sa sécurité. [9] »

À cette date, la France n’avait pas fait son retour dans les structures militaires intégrées de l’OTAN et le silence pudique et gaullien était toujours de rigueur à propos de l’Alliance atlantique dont la France était l’indéfectible membre absent. Le retour dans le commandement intégré, concrétisé lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg-Kehl les 3 et 4 avril 2009, ne changea finalement pas fondamentalement le verbe présidentiel s’agissant de l’Europe. Nicolas Sarkozy, estimant sans doute le « moment venu », proposait déjà le dialogue sur le rôle de la dissuasion :

« S’agissant de l’Europe, c’est un fait, les forces nucléaires françaises, par leur seule existence, sont un élément clef de sa sécurité. Un agresseur qui songerait à mettre en cause l’Europe doit en être conscient. Tirons-en, ensemble, toutes les conséquences logiques : je propose d’engager avec ceux de nos partenaires européens qui le souhaiteraient, un dialogue ouvert sur le rôle de la dissuasion et sa contribution à notre sécurité commune. » [10]

François Hollande brisa cet « élan de dialogue » qui, il faut bien l’admettre, n’avait toujours rencontré aucun écho favorable en dehors du Royaume Uni, tout en réaffirmant le caractère « européen » des intérêts vitaux :

« Nous participons au projet européen, nous avons construit avec nos partenaires une communauté de destin, l’existence d’une dissuasion nucléaire française apporte une contribution forte et essentielle à l’Europe. La France a en plus, avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait donc croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ? C’est pourquoi notre dissuasion va de pair avec le renforcement constant de l’Europe de la Défense. Mais notre dissuasion nous appartient en propre ; c’est nous qui décidons, c’est nous qui apprécions nos intérêts vitaux. » [11]

En somme, Emmanuel Macron semble refermer la parenthèse de son prédécesseur pour revenir à la continuité chiraquienne de l’ouverture européenne au dialogue, en le rendant « stratégique » et en lui donnant cette fois le caractère plus tangible d’un exercice.

S’exercer en commun avec l’arme nucléaire…

Or rien dans le TNP n’empêche des États non dotés de participer à des entraînements militaires impliquant des forces nucléaires d’États dotés, pour peu qu’à aucun moment ils n’acquièrent le contrôle d’une arme nucléaire. Le sujet est, de fait, tout sauf novateur (si cela peut rassurer certaines inquiétudes françaises qui surgissent depuis février) : l’OTAN mène régulièrement de tels entraînements avec sa composante aérienne [12]. L’idée de la participation des partenaires européens de la France à un exercice impliquant ses forces nucléaires, comme proposé le 07 février 2020, est donc parfaitement conforme au TNP et se situe dans les habitudes des alliés des États-Unis [13]. Une telle participation se limiterait sans doute aux actes de soutien à la mise en œuvre de l’arme nucléaire. Pour la composante aérienne, le format envisageable pourrait s’apparenter au SNOWCAT de l’OTAN (Support of Nuclear Operations With Conventional Air Tactics), avec des opérations de ravitaillement, escorte, suppression des défenses aériennes ou autre, menées par des aéronefs d’États européens non dotés. Sur le plan naval, on pourrait envisager une participation de marines européennes à des exercices de protection du « bastion » du golfe de Gascogne. À terme, la présence de frégates européennes lors de l’entrée ou la sortie de l’Île Longue des patrouilles de SNLE ne serait ni choquante ni contraire au TNP et pourrait venir soulager la Force d’Action Navale dont les navires sont toujours fortement sollicités comme l’avait dramatiquement rappelé le CEMA lors de son audition d’octobre 2019 au Sénat [14].

Enfin, point particulier mais important, s’agissant de mise en œuvre de l’arme, le TNP ne concerne pas non plus les vecteurs et en particulier les aéronefs pilotés : un État non doté reste libre de disposer d’un appareil de combat qui aurait la capacité de mettre en œuvre une arme nucléaire. Le programme de coopération européen SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) n’est donc pas proliférant, et il n’est nul besoin de créer une version « spécifiquement française » dédiée à la mise en œuvre d’armes nucléaires pour être conforme au traité. Cette distinction spécifique entre les armes et leurs vecteurs fut évoquée lors des négociations du TNP [15]. Bien entendu, l’idée de disposer d’une capacité d’emport pour une arme qui ne pourrait être acquise par l’État non doté peut sembler saugrenue, voire suspecte et contrevenir à l’esprit du traité. Mais il faut garder en mémoire que le TNP est un traité destiné à contenir la prolifération de l’arme nucléaire tout en préservant la capacité de chaque État à assurer sa légitime défense face à des événements gravissimes.

C’est notamment un des objets de l’article X, qui permet à chaque partie de se retirer légitimement du traité avec un préavis de trois mois, si elle « décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité (nda : l’arme nucléaire donc), ont compromis les intérêts suprêmes de son pays » [16]. Cette position de compatibilité de la dissuasion avec le droit de légitime défense garanti par la Charte des Nations unies est d’ailleurs rappelée par la France depuis 1995 [17]. Le TNP est une pause, qu’on peut espérer permanente, dans la prolifération, mais elle ne doit sacrifier la sécurité de personne.

L’hypothèse du transfert « si tout a échoué »

Même en disposant d’un vecteur, la question de la licéité de l’acquisition d’une arme nucléaire se pose pour un État non doté, dans le cadre de sa légitime défense. Indéniablement, parmi les « événements extraordinaires en rapport avec l’objet » du TNP, l’apparition d’une menace de frappe nucléaire qui pèserait sur un des signataires non dotés pourrait justifier, en cas d’échec des mécanismes de sécurité collective, qu’il s’affranchisse des dispositions du traité afin d’exercer son droit de légitime défense, y compris par l’acquisition d’armes nucléaires. C’est le sens de la position américaine vis-à-vis du partage nucléaire de l’OTAN : si d’aventure une guerre survient qui menace les intérêts vitaux des membres de l’alliance, le TNP ne serait plus contraignant pour ses parties. L’État « doté » membre de l’alliance pourrait alors légitimement transférer une arme nucléaire à un Etat non doté, puisque les dispositions du TNP seraient rendues caduques par un conflit qui menacerait les intérêts vitaux de l’un et de l’autre. Contexte qui ne peut guère être valable qu’en cas de véritable communauté de valeurs et de destins entre États alliés, ce qui est la base à la fois de l’OTAN et de l’Union européenne et constitue historiquement une rupture par rapport aux traditionnelles alliances « d’intérêts ». Il faut néanmoins remarquer que cette position de caducité du TNP en cas de conflit majeur, défendue par les États-Unis, ne fait pas toujours l’unanimité chez les spécialistes du droit international : à tout le moins, cela ne signifierait pas que le TNP soit caduc pour l’ensemble de ses parties, il s’appliquerait sans doute toujours aux États parties restant en dehors du conflit [18].

Emmanuel Macron n’est pas allé aussi loin que la proposition d’un tel mécanisme. L’idée que les SCAF allemands puissent emporter des armes nucléaires françaises, même si elle est un jour rendue « possible » sur le plan technique, est encore du domaine de l’utopie et le restera tant que le parapluie américain demeurera une garantie crédible pour les alliés européens. À ce stade, le dialogue stratégique sur la place de la dissuasion française en Europe est déjà un horizon difficile à envisager pour les chancelleries européennes.

L’ouverture d’un « dialogue stratégique » n’est nullement proscrite par le TNP. Dans ce domaine, la seule limite fixée est le silence de la part de l’État doté sur tout ce qui pourrait constituer (article II) « une  aide quelconque pour la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs ». À condition que le secret autour des procédés de fabrication des armes soient préservés, il n’y a nul tabou dans les traités au regard du dialogue. En la matière, le frein principal est sans doute… Français, dans la mesure où, depuis Charles de Gaulle, l’idée que la dissuasion nucléaire est un outil qui ne se « partage pas » a fini par s’ancrer dans le paysage national. Et ce, même si les gouvernements Français, et De Gaulle lui-même, avaient envisagé au début de la Guerre froide différents formats de concertation [19]. Il y a là une grande différence, un peu paradoxale au regard de l’histoire, avec l’allié américain, le Royaume Uni et les alliés européens membres de l’OTAN. Car l’OTAN est, de la propre affirmation consensuelle de ses membres, une « alliance nucléaire » :

« L’OTAN est attachée à la maîtrise des armements, au désarmement et à la non-prolifération, mais tant qu’il y aura des armes nucléaires, elle restera une alliance nucléaire [20]. »

L’OTAN est dotée d’un groupe de planification sur le sujet qui fait « office d’enceinte de consultation sur la dissuasion nucléaire » et qui rassemble tous ses membres sauf la France qui refuse toujours d’y siéger pour bien marquer la « séparation » des forces nucléaires nationales. Cette posture suscite parfois, pour les alliés européens de l’OTAN, une forme d’incompréhension : pourquoi refuser de « dialoguer » au sein de l’OTAN tout en proposant de dialoguer au sein de l’Union européenne ? Pour exclure l’allié américain qui est pour les Européens le garant ultime de leur sécurité ? Le Nuclear Planning Group n’est pourtant pas une instance de commandement qui dirigerait les forces nucléaires de l’alliance. Depuis sa première réunion par le secrétaire Robert Mc Namara en 1963, son rôle se limite à élaborer de manière collaborative le format de la force nucléaire de l’alliance et à développer des plans stratégiques et opérationnels pour son emploi, mais sans jamais disposer d’un contrôle sur aucune arme. Les archives déclassifiées de la Guerre froide confirment d’ailleurs que la teneur des échanges était assez générale, sur les capacités des systèmes alliés et soviétiques et sur l’équilibre des forces [21]. Il faut sans doute voir dans le refus français l’expression de la doctrine nationale de refus de la « bataille nucléaire » : parler d’emploi sur le champ de bataille, c’est aller trop loin par rapport aux conceptions qui limitent l’usage de l’arme à une phase stratégique. Depuis la fin de la Guerre froide, le NPG a étendu ses activités à la non-prolifération et au contrôle des armes nucléaires, tout en voyant son rôle de planification opérationnelle très réduit : en somme, pour la plupart des Européens membres de l’OTAN, c’est déjà une excellente instance de concertation [22]. Les autres membres de l’Union européenne non membres de l’OTAN seraient sans doute peu intéressés, qu’ils soient neutres et hostiles à la dissuasion (Autriche, Irlande) ou contraints à une forme de réserve (Finlande). Seuls Chypre et la Suède pourraient être tentés au regard de leurs enjeux de sécurité.

Au-delà d’une extension unilatérale de la dissuasion française à l’Union européenne dont on a vu qu’elle est envisageable en droit au titre de la légitime défense collective, jusqu’où pourrait aller la France dans la coopération concerte avec des européens qui en accepteraient le principe ? À ce stade, l’étude des mécanismes de partage nucléaire de l’OTAN est particulièrement éclairante pour comprendre le cheminement qui pourrait aboutir, en toute légalité, à une forme de partage de la dissuasion nucléaire entre la France et ses partenaires européens. « Partage » et non « contrôle ». Car c’est un sujet qui existe déjà de manière concrète, entre un État doté et des États non dotés.

Partager « la bombe » : l’exemple de l’OTAN

Il faut rappeler tout d’abord que les accords entre les États-Unis et les États de l’OTAN impliqués dans le nuclear sharing furent conclus bien avant la signature du TNP en 1968 : respectivement en 1959 pour l’Allemagne, la Turquie et les Pays-Bas, en 1960 pour l’Italie et en 1962 pour la Belgique. Il est solidement établi que ces accords furent déterminants dans l’arrêt des programmes nucléaires nationaux, s’agissant au moins de la République Fédérale d’Allemagne et de l’Italie [23]. Bien que ces accords précèdent le TNP, il est reconnu qu’ils ne peuvent se prévaloir de leur antériorité et, s’ils contrevenaient au traité de non-prolifération, ils auraient dû être dénoncés. Or cela n’a jamais été le cas et malgré quelques critiques (souvent russes) sur l’esprit de l’article VI, aucun « adversaire » du sujet n’a jamais pu en contester la conformité au traité [24]. L’URSS de son côté pratiquait une politique similaire, quoi que moins transparente : les armées de la plupart des États membres du Pacte de Varsovie disposaient de vecteurs (avions et missiles) capables de mettre en œuvre des armes nucléaires soviétiques, stockées sur leur territoire et qui auraient été, elles aussi, « transférées » en cas de conflit [25].

Le partage nucléaire de l’OTAN prévoit que les États-Unis, État doté, implantent sur le sol d’un autre membre de l’alliance un certain nombre d’armes nucléaires américaines. Le gouvernement américain en conserve la pleine propriété et le contrôle effectif et direct, du seul ressort du Président des États-Unis, au moyen de dispositifs de sécurité et d’armement américains (Permissive Action Link) [26]. L’installation de tels dispositifs au tournant des années 1960 sur les armes nucléaires américaines contribua fortement à limiter le risque d’engagement accidentel ou malveillant des armes en question, qui étaient auparavant notoirement peu protégées. Avec ces mécanismes, le contrôle américain sur les armes est indéniable et n’est pas, en temps de paix, transféré aux alliés [27].

En 2020, loin du pic de 7 000 armes nucléaires américaines en Europe en 1970, seules restent des bombes B-61, dont le nombre estimé se situe entre 100 et 150 engins. Ces armes, implantées pour l’heure en Turquie et dans les quatre pays de l’Union européenne cités plus haut, pourraient en cas de guerre être mises en œuvre par des aéronefs américains ou, c’est l’objet du partage, par des aéronefs « à capacité duale » (conventionnelle et nucléaire) des pays partenaires [28]. La justification centrale d’un tel cas reste, on l’a dit, l’hypothèse selon laquelle une situation de guerre qui motiverait l’emploi d’armes nucléaires serait nécessairement un cas qui rendrait le TNP caduc pour les États impliqués. Cette hypothèse, qui réserve l’emploi légitime de l’arme nucléaire aux circonstances les plus extrêmes, est à relier à l’avis de la Cour Internationale de Justice, qui considérait que la licéité de l’usage de l’arme nucléaire ne pouvait être totalement écartée au regard du droit international humanitaire en cas de « circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie d’un É  tat serait en cause » [29].

On a pu faire remarquer que le transfert par les États-Unis des spécifications techniques qui permettent l’emport de ces armes à des États non dotés signataires du TNP contrevenait sinon à la lettre, au moins à l’esprit de celui-ci, dans l’article VI qui implique un désarmement nucléaire. Cet argument peut néanmoins être retourné facilement : d’une part il n’a pas entravé la réduction spectaculaire de l’arsenal déployé en Europe (-98% !). D’autre part, si par le simple transfert à des alliés de détails techniques permettant la modification d’aéronefs à capacités duales, les États-Unis, dans le cadre de leur alliance, obtiennent le renoncement de ces pays à leur programme nucléaire militaire mais aussi une réduction de leurs forces conventionnelles justifiée par la sécurité collective de l’alliance, la cause du désarmement est plus surement servie que si les Pays-Bas ou l’Allemagne devaient assurer seuls leur défense, y compris contre un éventuel chantage nucléaire. Faut-il rappeler que la dernière menace – officielle et publique – d’attaque nucléaire de la part de la Russie sur un membre de l’OTAN, le Danemark, date de… 2015 [30] ? Bien entendu, l’obligation de négocier de bonne foi et de tendre vers un désarmement complet et universel demeure à la fois dans la lettre des traités et dans la pertinence d’un avenir commun pacifié. Cet impératif de désarmement, réaffirmé par la CIJ dans son avis précédemment cité, est présent depuis l’origine de l’ONU et sa toute première résolution y fut consacrée [31]. Toute évolution vers une forme de partage « français » devrait donc en tenir compte.

Et si la France…

À ce titre, le passage d’un partage nucléaire de l’OTAN à un partage nucléaire français ne pourrait être qu’exclusif d’une part et accompagner la réduction des arsenaux d’autre part. Pour la première condition, il faut admettre que l’hypothèse ne pourrait être sérieusement envisagée vu la frilosité des partenaires européens de la France que si Washington, s’éloignant de la « communauté de valeurs » atlantique, décidait de mettre un terme à la présence de ses propres armes sur le sol européen. On serait alors dans la situation du « Hamburg grab » de la Guerre Froide [32] : si une puissance hostile s’emparait d’un territoire de l’Union sous la menace nucléaire, les Etats-Unis, sans forces atomiques déployées sur le continent, seraient-ils crédibles pour apporter leur secours ? La situation de la prise de la Crimée est un exemple malheureusement instructif qui fait craindre non pas une attaque nucléaire sur l’Union, mais plutôt une « prise de gage » ou un « chantage » sous parapluie nucléaire, manœuvre typique du « troisième âge » de la dissuasion [33].

Reste à continuer de servir la cause du désarmement. Si un ou plusieurs des partenaires européens de la France pouvant être concernés, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-Bas, choisissait cette option, il semblerait donc souhaitable que le nombre d’armes concernées ne soit pas supérieur au stock actuel de l’OTAN, afin d’être dans l’esprit de l’article VI du TNP. Dans tous les cas, pour se conformer au traité, les armes devraient impérativement rester la propriété de la France, sous son seul contrôle. Seuls des aéronefs de mise en œuvre pourraient être modifiés afin d’être capables de les emporter en cas de conflit, le contrôle n’étant alors transféré à l’État non doté que si le TNP ne devenait plus contraignant (hypothèse de la « circonstance extrême de légitime défense » évoquée plus haut). En somme, il s’agirait de remplacer 150 bombes B-61 par un nombre égal ou inférieur de missiles ASMP et de remplacer les F-16 et Tornado des États concernés par des SCAF, des Rafale ou même des Typhoon modifiés. Ce dernier point est important puisque les États-Unis ont annoncé qu’ils ne certifieraient que le seul F-35 pour l’emport de la bombe B-61 mod 12, au motif allégué (et non dénué de fondement) que sa furtivité permettait de garantir dans le futur l’efficacité militaire et donc la crédibilité dissuasive d’une arme devant être larguée assez près de sa cible. Ce faisant, les États-Unis contraignent les États qui souhaitent maintenir le partage nucléaire à acheter des F-35 [34]

La dissuasion : les Européens y tiennent (pour peu qu’elle soit américaine)

Les États de l’OTAN sont attachés à la dissuasion et à ce partage de l’arme nucléaire et l’ont réaffirmé à plusieurs reprises [35]. Il est perçu comme une extension de la dissuasion américaine, comme une garantie d’arrimage de Washington en Europe et comme une forme d’ultime garantie contre toute forme de chantage nucléaire. Un pays comme la Belgique pourrait craindre que le grand allié outre-Atlantique ne souhaite pas s’engager pour assurer sa survie ultime au risque de représailles. Le transfert possible en cas de conflit d’une arme nucléaire mise en œuvre par et sous la responsabilité du gouvernement européen constitue donc une garantie de sécurité précieuse, à même d’étendre le continuum de la dissuasion. Et ce, sans prolifération, puisque les armes demeurent américaines aujourd’hui ou demeureraient françaises demain. Il faut d’ailleurs souligner que le parlement belge a récemment rejeté l’hypothèse d’un abandon du partage nucléaire, réaffirmant son attachement à ce mécanisme [36].

L’attachement des États d’Europe occidentale à la dissuasion américaine ne saurait être sous-estimé, même en 2020. Bien entendu, le mouvement abolitionniste a ses bastions en Europe, en Irlande ou en Autriche en particulier, mais dans les pays membres de l’alliance les appareils d’État et la plupart des partis de gouvernement ne remettent pas en cause directement le caractère nucléaire de l’alliance atlantique et leur attachement à celle-ci, même s’il ne faut pas essentialiser chaque État, l’opposition parlementaire étant parfois forte aux côté de la « société civile » [37]. Face à un monde incertain et au retour de menaces plus ou moins directes de la part de Moscou, le pouvoir protecteur de l’atome (américain) reste recherché, même s’il est indissociable de l’horreur légitime qu’on peut éprouver à l’idée de tout usage de l’arme [38]. Il est significatif que le renforcement des capacités de l’OTAN en 2014 suite à l’annexion de la Crimée, initialement baptisée European Reassurance Initiative fut renommé en 2017 European Deterrence Initiative. L’usage du mot « dissuasion » combiné à la reprise d’exercice combinés des forces conventionnelles et nucléaires de l’alliance s’est fait, comme toujours à l’OTAN, de manière consensuelle [39].

En fait, le cas de figure du partage évoqué qui serait en violation flagrante du TNP serait le transfert des armes nucléaires françaises à un « commandement européen », comme certains hommes politiques l’ont proposé [40]. Le traité est très clair et les débats lors de sa signature l’ont été aussi : le transfert à une entité gouvernementale ou fédérale tierce de la part d’un Etat doté est interdit. Le partage au sein de l’Union européenne ne pourrait s’entendre qu’entre Etats, autour de la France, État-doté, qui devrait conserver propriété et contrôle des armes aussi longtemps que le TNP ne serait pas rendu caduc par des « circonstances extrêmes ». Bien entendu, un ensemble d’accords devraient être établis entre la France et les pays récipiendaires pour encadrer ce partage, pays par pays : cela permettrait aux États hostiles à l’arme nucléaire ou neutres de se tenir à l’écart sans empêcher la France de considérer qu’ils sont « couverts » par sa garantie, de manière unilatérale.

Le partage français : une idée lointaine, improbable, inévitable ?

Le partage nucléaire est une option assez peu évoquée dans le contrôle des arsenaux nucléaires et l’hypothèse de son extension à d’autres régions du globe n’est pas forcément rassurante. L’idée que des armes pakistanaises ou chinoises puissent être « partagées » avec de proches alliés de ces deux États serait sans doute perçue avec méfiance et défi par les chancelleries occidentales. Son caractère inenvisageable dans les faits par ces puissances illustre bien le fait qu’au-delà d’une simple alliance militaire, l’enjeu de l’arme nucléaire, parce qu’il touche à la survie des États, concerne d’avantage la communauté de valeurs et de destin que d’intérêts, sous l’égide du gouvernement par les lois et de l’État de droit. C’est ce qui fait de la situation des alliés occidentaux un cas particulier historique peu susceptible d’analogie. Le partage nucléaire, par essence, n’est guère envisageable qu’entre (certaines) démocraties occidentales. Dans ce cadre spécifique, il permet de limiter la prolifération des arsenaux et répond à l’enjeu de sécurité inhérent à la possession des armes nucléaires et qui est objectivement le plus redoutable frein au désarmement : dans un contexte mondial incertain, l’arme nucléaire est toujours porteuse de sécurité pour les États qui en sont dotés ou qui vivent sous son « parapluie ». Il faut le rappeler, plus de la moitié de la population mondiale vit dans un État qui est doté, possède, héberge l’arme ou peut se prévaloir d’une alliance avec un État doté garantissant sa sécurité par ce moyen [41]. A ce titre, le « partage » est à la fois une garantie et un risque, qui ne saurait s’envisager qu’entre très proches alliés, ayant plus que des intérêts immédiats en commun.

L’arme nucléaire reste au cœur des mécanismes de sécurité collective du XXIe siècle et ce n’est qu’en les refondant qu’on pourra espérer un jour tendre vers ce désarmement universel qui demeure un horizon souhaitable. Dans l’attente, la sécurité de l’Europe face à cette menace doit être assurée sur son sol, comme au-delà, si des forces européennes venaient à devoir intervenir dans une situation qui les placerait face à un emploi potentiel d’armes de destruction massive [42]. Pour l’heure, elle l’est, au quotidien, par la dissuasion américaine, notamment via le partage nucléaire de l’OTAN et par les dissuasions françaises et britanniques, « sans cadre précis ». Car, Brexit ou pas, Londres et Paris témoignent toujours, dix ans après, de la communauté étroite de vue sur le nucléaire qui a présidé aux accords de Lancaster House et il n’y a sans doute pas de situations dans lesquelles un agresseur pourrait menacer l’Europe de manière sérieuse sans que la France et le Royaume-Uni n’aient aucun intérêt vital en jeu. Pour l’heure, la situation actuelle qui place l’OTAN au cœur de la sécurité européenne et la garantie du Léviathan américain comme son fondement est pour les partenaires européens de la France une situation satisfaisante que l’hypothèse d’une « autonomisation » européenne ne pourrait, selon eux, que remettre en cause. Les Français ont tort de mépriser souvent la position d’Européens qui fondent leur vision de la sécurité collective sur le poids de l’histoire : mieux vaut pour eux une Union fondée sur les échanges économiques et le règlement pacifique et judiciaire des différents et un parapluie garanti par Washington que de s’en remettre à nouveau au « concert des Nations » et au jeu infernal Paris-Berlin-Londres, discrédité au regard de l’histoire.

Mais l’éloignement américain des rives de l’Europe est sans doute inéluctable et c’est sur ce point que la France doit insister : quelles que soient les garanties que les Européens donneront à leur allié outre-Atlantique, quelle que soit la communauté de « valeurs » qui nous lie, les États-Unis ont entrepris depuis la présidence Obama un recentrage sur l’Asie qui les fera, à terme, ne plus considérer l’Europe que comme un théâtre secondaire susceptible d’être « aidé » mais qui ne constituerait plus un « intérêt vital » valant la mise en péril de leur propre intégrité.

La question n’est donc sans doute pas « si » mais « quand » Washington viendra à s’éloigner encore un peu plus du vieux continent. La question d’un partage nucléaire français se posera alors de manière plus urgente et les membres de l’Union européenne seront sans doute les premiers à le demander. Dès lors, on pourrait, on l’a vu, l’envisager tout en préservant le TNP.

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NOTES :

[1] L’intégralité du discours est accessible sur le site de l’Élysée : https://www.elysee.fr/. Pour une analyse de l’intervention, voir Tiphaine de Champchesnel : Repenser la dissuasion nucléaire, analyse de l’intervention présidentielle du 07 février 2020, Paris, IRSEM, 17 février 2020.

[2] Beatrice Fihn et Jean-Marie Collin, « La France semble décidée à ne pas respecter ses obligations du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)», Le Monde, 14 février 2020. https://www.lemonde.fr/

[3] Alain Juppé : discours devant l’IHEDN, 7 septembre 1995.

[4] Georges-Henri Soutou : l’alliance incertaine – les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996, Paris, 1996, Fayard,  497 pages, p. 304.

[5] Il faut rappeler qu’il n’existe aucune définition dans les traités de ce qui constitue une « arme nucléaire », pas plus dans le TNP que dans le projet de TIAN. Toutefois, le glossaire élaboré par le groupe de travail du P5 propose « système d’arme en mesure de produire une explosion ainsi qu’une destruction et des dommages massifs résultant de la libération soudaine de l’énergie dégagée instantanément par une fission et/ou une fusion nucléaire(s) -. Autoentretenue(s) contrôlée(s)  ». P5 Working Group, P5 Glossary of Key Nuclear Terms ;  2015, page 7.

[6] La Nouvelle Zélande de son côté est « sortie » de la garantie nucléaire américaine, l’Etat étant d’autant plus facilement anti-nucléaire que le niveau de menace stratégique perçu à Wellington est (pour l’instant encore) très faible.

[7] Harriet et William Scott : Soviet Military Doctrine – continuity, formulation and dissemination ; Boulder, 1988, Westview Press, 315pages. p 92.

[8] En toute rigueur, les prémices de cette vision européenne étaient déjà inscrites dans le premier Livre Blanc de 1975 : « nos intérêts vitaux se situent sur notre territoire et dans ses approches. La stratégie de dissuasion couvre cette zone géographique grâce aux moyens nucléaires et classiques ». Livre  blanc  sur  la  Défense  nationale,  Cedocar,  Paris,  juin  1972,  68  p.

[9] Jacques Chirac : Allocution du Président de la République lors de sa visite aux forces aériennes et océanique stratégiques, Île Longue, 19 janvier 2006.

[10] Nicolas Sarkozy : Discours du Président de la République lors de la présentation du sous-marin nucléaire Le Terrible, Cherbourg, 21 mars 2008.

[11] François Hollande : Discours sur la dissuasion  à l’occasion du déplacement auprès des forces aériennes stratégiques, Istres, 19 février 2015.

[12] Repris en 2015, les exercices de l’OTAN impliquant une  composante nucléaire sont secrets mais on en trouve parfois mention dans la presse. Ainsi, « Bundeswehr Trains for Possible Nuclear War », Deutsche Welle German radio, 18 octobre 2019, https://www.defense-aerospace.com/

[13] NATO SACT, Managing Change – NATO’s Partnerships and Deterrence in a globalized world, Bologna, 2011, p I-7.

[14] « Je suis au bout de mes capacités », Général François Lecointre, audition au Sénat, projet de loi de finances 2020, 16 octobre 2019.

[15] “Questions on the draft Non‐proliferation Treaty asked by US allies together with answers given by the United States”; NPT Hearing, US Senate, 90‐2, p. 262. Bien entendu, d’autres traités ont pu mettre sous contrôle la partie « vecteurs » ou introduire des dispositions duales, comme le défunt traité sur les Forces Nucléaires Intermédiaires.

[16] Article invoqué par la Corée du Nord pour justifier son retrait, même si Pyongyang avait joué de manière discutable sur le calendrier.

[17] Bruno Tertrais : La dissuasion française après la Guerre froide – continuité, ruptures, interrogations ; Annuaire Français des relations internationales, Paris, 2000, Volume 1, pp 773-774.

[18] Laura Spagnuolo : Nato nuclear burden sharing and NPT obligations ; British American Security Inormation Council, BASIC Getting to Zero papers, Londres, 2009, pages 2-3.

[19] A une époque, il est vrai, où la France n’était elle-même pas encore dotée… Avery Goldstein : Deterrence and Security in the 21st Century, China, Britain, France and the Enduring Legacy of the Nuclear Revolution ; Stannford, 2000, Stanford UP, 356 pages, pp. 192-193.

[20] OTAN, Politique et forces de dissuasion nucléaire, octobre 2019. https://www.nato.int/

[21] Par exemple Office of the Assistant Secretary of Defense : Sixteenth Meeting of the Nuclear Planning Group, NATO HQ, Brussels, 10 décembre 1974. Disponible sur https://www.archives.gov/

[22] Eric Croddy et James Wirtz (eds) : Weapons of Mass Destruction ; Volume 2 – Nuclear Weapons, Santa Barbara, 2005, 602p. pp 255-256.

[23] Ces deux pays recherchaient, notamment via EURATOM, les moyens d’être en capacité de produire leurs propres armes en cas de besoin, dans une logique d’Etats du « seuil ». Là encore, les doutes sur l’engagement américain jouaient, depuis que le territoire américain était vulnérable aux missiles balistiques soviétiques. Benoit d’Aboville, « batailles diplomatiques autour de la dissuasion », dans Céline Jurgensen (dir) : Résistance et dissuasion, des origines du programme nucléaire français à nos jours ; Paris, 2019, Odile Jacob, pp 218-219.

[24] La Russie revient régulièrement avec des critiques, même si l’URSS, en son temps, avait admis que le partage nucléaire de l’OTAN ne devait pas bloquer les efforts du TNP. Pour le détail des négociations, voir William Alberque : The NPT and the origins of NATO’s nuclear sharing arrangements ; Paris, IFRI, 2017.

[25] Pour le cas polonais:  Luczak Wojciech : Poland’s Atomic Adventure ; Air International vol. 51 no. 1, Londres, 1996, Key publishing, pp. 18–21.

[26] Comme précisé en détail dans toutes les publications de l’OTAN qui sont toujours claires sur le sujet, les Etats-non dotés n’étant cités que pour la mise en œuvre des « Dual-capable aircrafts ». Voir NATO’s nuclear deterrence policy and forces, https://www.nato.int/cps/ic/natohq/topics_50068.htm

[27] Eric Schlosser, ”Primary Sources : permissive action links and the threat of Nuclear War”; The New Yorker, 17 janvier 2014, https://www.newyorker.com/.

[28] Hans Kristensen : U.S. Nuclear Weapons in Europe ; Washington, FAS, 2019, https://fas.org/

[29]  Cour internationale de Justice : Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (avis consultatif) ; La Haye, 8 juillet 1996, page 263.

[30] Russia threatens to aim nuclear missiles at Denmark ships if it joins NATO shield, Reuters, 22 mars 2015, https://www.reuters.com/

[31] Tout en étant indissociable du contrôle et de la sécurité collective. Voir Suart Casey-Maslen et Tobias Vestner : A Guide to International Disarmement Law ; New-York, 2019, Routledge, 252p. page 10.

[32] Sur le “Hamburg Grab”, voir Scott D. Sagan et Kenneth N. Waltz, The spread of nuclear weapons – a debate renewed ; New-York, 2003, 223 pages, p. 114.

[33] Pierre Vandier : La dissuasion au troisième âge nucléaire, Paris, 2018, Editions du Rocher, 106 pages, pp 71-72.

[34] Ce que pour l’heure seule l’Allemagne se refuse à faire. Dan Goure : “Nuclear burden-sharing dictates that Germany acquires the F-35”, Defense News, 9 mars 2018.

[35] Voir par exemple NATO Defense and Security Committee: A New era for nuclear deterrence? Modernisation, Arms control, and Allied nuclear forces ; 12 octobre 2019, page 14. Le rapport note que les armes sont “a concrete reminder of US nuclear commitment to the security of NATO’s European Allies”.

[36] Belgium narrowly rejects removal of US nuclear weapons, Brussels Times, 17 janvier 2020. https://www.brusselstimes.com/

[37] Les Pays-Bas font figure de notable exception et constituent un des maillons « faibles » de l’OTAN concernant le nucléaire, avec la Norvège et l’Islande. La position gouvernementale de soutien à l’Alliance y est très contestée par voie parlementaire.

[38] Ce paradoxe est d’ailleurs ancien et participe à la dissuasion. Voir l’article de Thomas Schelling : « The Legacy of Hiroshima », dans Strategies of Commitment and other essays ; Harvard, Harvard UP, 2006, 341 pages, pp. 313-325.

[39] Kingston Reif, « NATO weighs Nuclear exercises », Arms Control Today, Novembre 2015. https://www.armscontrol.org/

[40] La controverse lancée par la déclaration de Johann Wadephul, le vice-président du groupe parlementaire de l’Union démocrate-chrétienne (CDU), dépasse sans doute les intentions de l’auteur. Voir Pierre Avril : Berlin défie Paris sur le dossier nucléaire ; Le Figaro, 4 février 2020.

[41] Dont plus de 2,65 milliards dans les seuls Etats dotés au titre du TNP.

[42] Le débat avait existé en 1991 lors de la Guerre du Golfe. Le président Mitterrand avait écarté, par principe, l’usage de l’arme nucléaire en cas d’attaque chimique, ce que les Américains s’étaient refusé à faire. Depuis, les discours de Jacques Chirac et de ses successeurs ont sensiblement fait évoluer la doctrine française, au moins sur le plan déclaratoire. Voir Jean Klein (dir) : Vers une politique européenne de sécurité et de défense, défis et opportunités ; Paris, 2001, CRIS, Economica, 328 pages, p. 168.

Stéphane AUDRAND
Stéphane AUDRAND
Stéphane AUDRAND est consultant indépendant spécialiste de la maîtrise des risques en secteurs sensibles. Titulaire de masters d’Histoire et de Sécurité Internationale des universités de Lyon II et Grenoble, il est officier de réserve dans la Marine depuis 2002. Il a rejoint l'équipe rédactionnelle de THEATRUM BELLI en décembre 2019.
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