mardi 30 mai 2023

Situation en Ukraine au 6 novembre 2022; mes interventions sur LCI depuis le 4 novembre

Cette période a été peu intéressante du point de vue militaire mais beaucoup plus sur la question de la propagande ou des signes d’une guerre qui va durer au moins jusqu’à l’été 2023 avec des incertitudes sur l’évolution du conflit et sur le degré d’usure sinon de récupération des forces en présence.

Il est clair que la Russie a compris son échec en termes de diffusion de messages peu adaptés aux publics occidentaux. Poutine se « montre », bien loin de la rumeur qui circulait au 100e jour de la guerre sur sa (ses) maladie(s) sinon sur ses sosies supposés. Des vidéos russes « humoristiques » circulent sur les réseaux sociaux et répondent aux codes occidentaux. Au bout de huit mois de guerre, il semble que des enseignements aient été tirés dans le domaine de la guerre de l’information.

Le groupe paramilitaire Wagner, bien que société de mercenaires théoriquement interdite en Russie et ayant son siège social en Argentine, affiche désormais sa présence dans un immeuble très moderne à Saint-Pétersbourg. Non seulement pourvoyeur en mercenaires, Wagner a aussi depuis longtemps engagé des opérations d’influence à l’étranger notamment par ses « usines à trolls ».

Autre point que j’évoquais depuis plusieurs mois : la pression potentielle sinon croissante sur Zelenski des Etats-Unis pour l’amener à négocier. Cette négociation peu acceptable dans le cas de victoires militaires ukrainiennes trouve une certaine logique aujourd’hui avec la difficulté de reconquérir le territoire ukrainien jusqu’au Dniepr, c’est-à-dire la ville de Kherson dont l’avenir reste soumis à de nombreuses hypothèses dus à un « brouillard de la guerre » entretenu par un black-out total de l’information.

Prendre Kherson dépend de la progression de forces terrestres ukrainiennes importantes (40 000 hommes, plus si les Russes sont en nombre et retranchés) qui devront se déplacer sur une large zone à découvert, avant d’aborder une zone urbaine en principe fortifiée par les Russes et désormais vidée d’une grande partie de ses habitants, source de renseignements. Accepter les pertes devient un enjeu majeur malgré les sacrifices déjà acceptés.

  • Reste la situation des Russes et de leurs supposés 20 000 hommes à l’ouest du fleuve, comprenant notamment une division parachutiste, donc entrainée et combative. Poutine va-t-il demander à ses troupes de rester sur place et d’infliger une défaite à tout prix aux forces ukrainiennes ? L’abandon de la ville au fort impact politique négatif pour le pouvoir russe a-t-il été engagé avec discrétion sous couvert de l’évacuation des civils ? Dans ce cas, pour ne pas perdre la face ne s’agirait-il-pas d’attirer les forces ukrainiennes pour les détruire par exemple grâce à la destruction du barrage de Kakhovka qui submergerait la ville et son environnement, la frappe nucléaire étant une hypothèse trop lourde de conséquences ?

Dernière hypothèse, faire tenir les troupes russes le plus longtemps possible, c’est-à-dire jusqu’au gel de l’hiver. Il s’agirait de conduire aux négociations d’une part par la dégradation des conditions de vie de la population ukrainienne (destruction du réseau électrique), y compris en provoquant une crise migratoire, d’autre part en exploitant la lassitude des opinions publiques occidentales face notamment aussi à la dégradation de leur quotidien avec le renchérissement de la vie (énergie, inflation…). Il n’en reste pas moins que le président Zelenski a publié un décret interdisant les négociations avec Poutine, ce qui impose le préalable du changement de pouvoir en Russie.

Reste enfin la position des Etats-Unis, qui, selon le Washington Post de ce WE, inciteraient en privé l’Ukraine à négocier mais en même temps maintiennent leur soutien (50 milliards de dollars annoncés depuis le début de la guerre) alors que des militaires américains sont officiellement sur le territoire ukrainien… pour contrôler les flux d’armement envoyés. Un engrenage par un engagement croissant des Etats-Unis ?

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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3 Commentaires

  1. On ne discute pas avec un dictateur et comme le dit l’Ukraine, les conditions sont connues, « dégagez de notre territoire » ce qui est tout à fait normal, après un discute, otan ou pas etc…mais cela ne se fera pas avec Poutine qui s’entête irrationnellement , à moins que la chine appuyé un max, mais encore, il faudra une sortie soit disant, « tête haute » pour cet émule d’Hitler!
    Encore quelques mois et l’Europe aura appris à se passer totalement de la russie, et c’est pas un mal!

  2. Bonjour Général,

    D’après certains spécialistes en hydroelectricité, la rupture du barrage de Kakhovka innonderait les villages en aval du barrage mais n’atteindrait pas Kherson, juste une légère montée des eaux. De toutes les façons, cela priverait la Crimée d’eau donc j’imagine mal les russes faire sauter ce barrage, vu qu’il n’y a aucun autre moyen d’alimenter la Crimée en eau.

    L’avantage des russes c’est qu’ils sont en position défensive. L’inconvénient pour eux c’est qu’ils sont du mauvais côté du fleuve, et que les régiments du génie vont être cruciaux parce que la durée de vie des ponts sur le Dnepr va être réduite, et que sans ces ponts je vois pas bien comment la logistique sera amenée (des barges la nuit ?). Et si les russes perdent Kherson, ce sont les ukrainiens qui se retrouveront du mauvais côté du fleuve et qui seront bloqués dans leur avancée. Même si les combats sont plus violents dans le Donbass en ce moment, en termes de stratégie militaire, Kherson va probablement devenir un cas d’école.

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