Parallèle peut-être osé, même si l’histoire ne se répète pas, mais l’ouvrage « Bazeilles : la gloire, le sang et le feu » de Guy Sallat (Editions, OD2C, octobre 2015, 331 pages) me conduit à cette réflexion. Préfacé par le général Charles Sioc’han de Kersabiec, « père » de l’Arme des Troupes de marine, ce livre qui a reçu début février 2016 le prix de l’Epaulette (Association des élèves et anciens élèves de l’école militaire inter-armes et des officiers des recrutements internes et contractuels) nous présente l’épopée de l’infanterie de marine, réunie dans la Division bleue, face à l’armée coalisée des Etats allemands et notamment des Bavarois.
L’infanterie de marine y gagnera son titre de gloire lors des combats de Bazeilles les 31 août et 1er septembre 1870 qui sont commémorés chaque année à Fréjus (Cf. Mon billet du 28 juillet 2013, Ma contribution modeste aux commémorations de la bataille de Bazeilles).
Cependant, le contexte de la guerre de 1870 présente, par bien des aspects, des similitudes avec notre période actuelle. A de multiples reprises, le texte laisse apparaître des parallèles entre l’Empereur/ président et le président d’aujourd’hui. Nul ne sait si le narrateur se positionne d’ailleurs comme un témoin de l’une ou l’autre époque.
Ainsi, l’ouvrage rappelle la situation politique du 2nd empire et l’engagement militaire de Napoléon III sur tous les fronts, pas toujours avec succès mais voulant faire de la France une puissance qui compte. L’Empereur garde autour de lui des personnels souples et peu capables de s’opposer à lui. L’auteur rappelle que « les chefs militaires sont choisis en fonction de leur capacité à se taire et à ne pas déplaire, non point en fonction de leurs talents au combat », ce qui n’est certes pas forcément vrai aujourd’hui. Le pouvoir politique est cependant contesté. La division entre le peuple et ses élites est perceptible sans toutefois atteindre le stade d’aujourd’hui, leur « trahison » étant dénoncée pour reprendre un commentaire de Laurent Wauquiez dans le Figaro de ce 13 février 2016.
C’est aussi la condition militaire et la pauvreté des militaires d’avant 1870, disposant de peu de moyens, n’ayant pas le droit de s‘exprimer alors qu’aujourd’hui la tentation du contrôle de la parole des militaires revient de temps en temps (Cf. Mon billet du 31 janvier 2016) et que la condition militaire peut encore interpeller comme le montre Louvois. La stagnation intellectuelle s’impose même si le colonel Lewal commence à développer ses idées sur la réforme de la pensée militaire (Cf. Mon billet du 23 mars 2014, dans sa dernière partie), beaucoup de tactique, donc d’obéissance, pas de réflexions stratégiques mais aujourd’hui, est-ce mieux ?
L’armée professionnelle s’est donc imposée avec une forme de sclérose intellectuelle mais cette situation a été soutenue par l’ensemble de la société. Par exemple, l’Empereur souhaitait rétablir un service militaire personnel et citoyen pour revenir à un système de Nation en armes, c’est-à-dire une organisation citoyenne de la défense, débat bien contemporain. Hier comme aujourd’hui, la nation s‘est relâchée, les élites refusent le changement s’il menace leurs avantages.
Cet ouvrage est aussi la mise en valeur avec passion de l’abnégation, du sacrifice, de l’honneur (et pas des honneurs), du courage, de l’exemplarité de ceux qui servent et non ceux qui se servent, exemples aussi présents hier qu’aujourd’hui avec de multiples prébendes, avantages indus justifiés par les fonctions passées et non par le service présent ou réel. L’auteur précise la valeur de l’obéissance qui pourrait susciter aussi quelques réflexions : « L’obéissance n’est pas une castration mais bien la connaissance d’une forme supérieure d’intérêts », « L’obéissance convainc le cœur face au sacrifice, là où l’esprit tremblerait peut-être ».
Il n’en reste pas moins que la campagne de 1870 est expliquée en détail que ce soit du côté allemand ou français. Ce que l‘on voit dans cet affrontement est la désorganisation française avec une armée mal équipée, le soutien faisant cruellement défaut notamment en raison de son organisation dont le modèle a plus ou moins été repris aujourd’hui, un manque de vision stratégique, des combats violents sans utilité militaire mais au nom du panache qui, parfois, font fléchir l’ennemi mais qui s’effondrent devant la puissance de feu allemande et l’organisation méthodique, pragmatique, disciplinée des contingents allemands, où les principes d’honneur d’un côté ne résistent pas à la violence et à la brutalité germaniques de l’autre.
Après la reddition du 2 septembre 1870, c’est la dénonciation de ceux qui ne se battent pas jusqu’au bout. La capitulation de Paris ne sera effective que le 28 janvier 1871. La commune sera l’expression d’une certaine façon de ce refus de la défaite. L’auteur rappelle cependant une phrase de Clemenceau, si souvent cité aujourd’hui, maire du 17e arrondissement à l’époque qui appelle le 1er mars 1871 à la fin de la résistance à l’Allemand et donc à accepter son entrée dans Paris. L’insurrection parisienne éclate le 18 mars. La défaite a fait lever le peuple. C’est aussi l’incompréhension allemande devant la guerre civile française alors que la France est occupée et que les Allemands encerclent Paris dans l’attente du paiement de cinq milliards de francs « or » finalement payés avec deux ans d’avance. « Vae Victis » !
Cependant, hormis la bataille de la division bleue magnifiquement décrite dans ses actes d’héroïsme, il est intéressant de lire la partie concernant l’après-bataille de Bazeilles et comment ont été traités les soldats français blessés, annonce bien prophétique du futur, tout comme le sort réservé au village de Bazeilles par les Allemands. Ce qui s’appellerait aujourd’hui des crimes de guerre a lieu avec l’exécution de civils, de prisonniers et de blessés. N’oublions pas qu’en 1914, l’empereur d’Allemagne donnera l’ordre à ses troupes envahissant la France d’insuffler la terreur pour faire plier les Français (Cf. Mon billet du 20 avril 2014 sur l’histoire militaire et les conflits contemporains)
La conclusion de cet ouvrage que les Français de base sont bien souvent à la hauteur dans une période de crise mais que les « élites » vivant bien souvent en vase clos perdent le sens des réalités et ne sont plus capables de faire face, engoncés dans leur vision décalée du monde, pensant pour le peuple et pour son bien, ce qui peut susciter alors des révoltes sanglantes de la France d’en bas envers la France d’en haut. Hier la commune, demain…
Je conclurai par ces quelques phrases extraites de l’ouvrage : « Dis-moi quel soldat tu as été et je te dirai quel citoyen français tu es ! ». Comme de moins en moins de Français auront été soldats, la seconde citation peut la suppléer : « Dis-moi ce que tu fais pour ta Défense et je te dirai ta place dans un tel ordre des choses ». Une dernière phrase de l’auteur me semble intéressante en 1870 comme aujourd’hui, « Les plus redoutables « va-t-en-guerre » sont ceux qui sont assurés de ne jamais porter les armes ». 1870, 2016 beaucoup de similitudes donc.