mardi 30 avril 2024

Mon entretien du 10 avril 2024 avec Atlantico sur la guerre de haute intensité

Atlantico. Le chef de la diplomatie européenne pense qu’une guerre de haute intensité menace le territoire de l’Union et voilà pourquoi

https://atlantico.fr/article/decryptage/le-chef-de-la-diplomatie-europeenne-pense-qu-une-guerre-de-haute-intensite-menace-le-territoire-de-l-union-et-voila-pourquoi-francois-chauvancy

Atlantico : Le chef de la diplomatie européenne Josep Borell a déclaré : “La guerre conventionnelle de haute intensité en Europe n’est plus un fantasme.” Qu’est-ce qu’il entend par les termes de : ”guerre conventionnelle de haute intensité” ? De quelles menaces parle-t-il ?

François Chauvancy : Ce que veut exprimer sans doute Josep Borell est la menace de plus en plus crédible d’un affrontement armé entre Etats en Europe sinon dans d’autres parties du monde, c’est-à-dire la désinhibition politique du recours à la force militaire pour faire valoir ce qu’un Etat estime légitime de défendre.

Plus précisément, une guerre conventionnelle de haute intensité s’exerce dans différents domaines à travers une approche stratégique. La confrontation dépasse le strict périmètre d’engagement des armées et elle peut nécessiter la mobilisation de nombreuses ressources dans le temps. Un tel affrontement génère en outre de fortes attritions humaines et matérielles qui mettraient à l’épreuve les citoyens européens dans la durée. Cependant, une dimension est oubliée. Certes il faut envisager la possibilité d’une guerre mais si elle est engagée, elle ne se limiterait pas à la seule défense d’un territoire.

La défaite de l’adversaire, sinon de l’ennemi, bref le but de guerre, la victoire, doit être clairement affichée et donc la guerre chez l’ennemi et sa défaite doivent aussi être envisagées. Je ne suis pas convaincu que Josep Borell, sinon les dirigeants européens, ait totalement envisagé cette éventualité. La menace est donc militaire. Elle touchera cependant non seulement les forces armées mais aussi les infrastructures susceptibles d’aider à l’effort de guerre. Elle conduit à faire appel à toutes les capacités d’un Etat pour soutenir cet affrontement potentiel « de haute intensité » qui mettra à l’épreuve l’Union européenne mais aussi les différents Etats membres.

Ceux-ci devront garder la cohésion dans la prise de décision collective, autre enjeu fondamental qui sera la cible des agresseurs potentiels notamment à travers les pressions économiques (énergie, terres rares, matières premières) et les opérations d’influence de tout type.

La Russie apparaît comme le principal danger pour la sécurité européenne, mais est-ce le seul ?

Aujourd’hui, étant aux frontières physiques de l’Union européenne, la Russie est la menace la plus visible contre les intérêts européens. Son succès, ou son échec, sera une source de réflexion sur le recours à la force militaire par d’autres acteurs étatiques qui auraient l’ambition d’atteindre leurs objectifs politiques à travers un rapport de force, notamment militaire.

Tout Etat qui veut combattre l’influence occidentale pourrait être tentée de mettre en difficulté les Etats européens. La politique étrangère de la Chine qui s’arme à grand pas pourrait être tentée de menacer la sécurité européenne, sans doute pas directement dans le domaine militaire. Elle s’exercerait dans le cadre d’une stratégie indirecte qui affaiblirait par exemple économiquement les capacités d’autonomie de décision de l’Union européenne ou dans le soutien des Etats opposés à l’influence européenne considérée par ailleurs trop proche des Etats-Unis, cible principale.

Les déclarations de Monsieur Borell sont très offensives. Quel but cherche-t-il à atteindre avec ces dernières ?

Josep Borell, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ne s’exprime pas en son nom propre mais en principe au nom de l’Union européenne. Il conforte la stratégie de communication des différents leaders politiques et militaires européens qui, depuis plusieurs mois, émettent des messages inquiétants sur la situation internationale en Europe et la menace russe.

Cependant, je ne pense pas que ces messages s’adressent directement à la Russie qui connait bien l’Union européenne et ses faiblesses, notamment militaires. Il s’agirait avant tout de mobiliser les opinions publiques de l’Union européenne pour construire une adhésion commune au réarmement des Etats membres et une acceptation progressive de l’existence de la menace d’une guerre.

Pour écarter cette dernière, la fermeté politique associée à des capacités militaires crédibles doit être en mesure de dissuader d’une manière crédible toute velléité d’agression contre nos intérêts communs. Or, en démocratie, le soutien des opinions publiques est un élément fondamental à toute action militaire.

Les Européens ont un discours de plus en plus offensif vis-à-vis de la Russie et investissent plus d’argent dans leur complexe militaro-industriel. Nous préparons-nous à la guerre ?

« Qui veut la paix, prépare la guerre », cet adage antique est toujours d’actualité. Il ne signifie pas vouloir la guerre mais en accepter l’éventualité, en développant les moyens nécessaires pour qu’aucune agression militaire extérieure envers « nous » ne laisse supposer son succès.

Le discours du personnel politique paraît donc sans aucun doute offensif, sans doute parce qu’il est nouveau ! Il conduit à développer la montée en puissance d’un complexe militaro-industriel européen moins dépendant des Etats-Unis mais aussi à assurer la crédibilité politique des propos notamment envers la Russie, principale menace actuelle.

Savoir y répondre dissuadera d’autres acteurs étatiques de violence de tenter une aventure militaire contre les États européens.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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