mardi 7 mai 2024

Covid-19, Réserves, mystique de la Levée en masse et impréparation des élites – Plaidoyer pour l’organisation de réserves civiles et militaires face aux crises à venir

— « Where is the strategic reserve? Où est la masse de manœuvre ?

Question posée par Winston Churchill au commandement français le 16 mai 1940.

— « Aucune ! »

Réponse donnée par le commandant en chef Maurice Gamelin.

 

Où sont les réserves ? C’est une des nombreuses questions que l’on pourrait poser à propos de la crise du Covid-19 en France. La gestion de la crise actuelle par les pouvoirs publics, loin d’être uniquement un exercice rationnel mu par une démarche scientifique, mobilise également les vieux modèles mentaux français : « débrouillardise », « levée en masse », « pilotage vertical de la province par Paris », « engagement total et résolu, mais tardif et sans plan préétabli » et surtout « absence de réserves ». En somme, nous sommes en plein exercice de furia francese comme on disait pendant les guerres d’Italie : pris au dépourvu, on serre les dents et on y va à fond, tous ensemble, en comptant sur l’espoir qu’un Bayard, un Kléber ou un Foch nous guidera, et Vive la République !

Avons-nous le choix ? Pas vraiment, puisque nous n’avons pas de réserves et pratiquement pas de réservistes. Parce que, au fond, nos décideurs ne croient pas à la pertinence d’avoir des stocks de réserve, des emprises de réserve, des personnels de réserve.

Pourtant, le mot « réserves » est sur toutes les lèvres. Le gouvernement a lancé, tambour battant, une « réserve civique ». Mais elle n’a de réserve que de nom : il s’agit plutôt une « levée en masse », un appel aux volontaires et aux bonnes volontés et non le rappel de personnels préalablement formés et instruits. Cet appel reprend une méthode ancienne du pouvoir français. En 1709 Louis XIV écrivait à toutes les paroisses du royaume pour appeler à l’engagement de volontaires : ce fut l’armée de Malpaquet et l’arrêt inespéré de l’invasion du royaume. La méthode sera reprise, en 1792 pour défendre la République en 1792. Quand le pouvoir parisien vacille, le plus souvent du fait de l’impréparation ou de l’incurie de l’appareil d’État, il en appelle au courage individuel et collectif de ses sujets qu’on découvre citoyens. Et comme les Français sont courageux, cela permet, parfois, souvent, de surmonter la crise. Et en cas d’échec, c’est sur eux que tombera l’opprobre d’une élite qui aime à s’exonérer de son impréparation, comme en 1940.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on avait vu, après les attentats de 2015, une émotion monter sur l’absence de d’effectifs militaires suffisants pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire et sur le manque criant de réserves aptes à assurer une expansion rapide des forces disponibles. Qu’on y songe : il ne s’agissait pas de mener une expédition lointaine avec des moyens lourds, mais de pouvoir déployer rapidement et dans la durée, partout sur le territoire métropolitain, des hommes à pied ou en véhicules légers, avec des armes individuelles. Une mission de sûreté du territoire dévolue par essence à la Gendarmerie mais qui n’en est tout simplement plus capable, pas plus que l’Armée de terre : la première, nonobstant son statut, a presque totalement abandonné son métier « militaire » pour se concentrer sur des opérations de police tandis que la deuxième est devenue une force professionnelle de projection, très agile mais avec des capacités minimales de maillage territorial en France.

La création de la « Garde Nationale » avait, tambour battant, les accents de Lafayette et Carnot : on allait mobiliser durablement les citoyens pour disposer d’une réserve apte à assurer la sécurité sur le territoire. Finalement, faute de moyens mais surtout faute de conviction et d’intérêt de la part des pouvoirs publics et de la hiérarchie militaire, la Garde Nationale n’est qu’un instrument de communication : une marque, un « branding » qui permet de regrouper les différentes composantes de la réserve militaire et policière sous un même sigle, pour donner une impression de masse tout en facilitant le « rayonnement ».

Dans la gestion de la crise actuelle, la contribution des armées est somme toute minime en valeur absolue. Elle est certes cruciale dans certains secteurs, et en particulier dans le soutien et le ravitaillement des populations d’outre-mer. Mais qu’on y songe : en Métropole quelques dizaines de lits dans un hôpital de campagne, quelques vols sanitaires, quelques soutiens logistiques. Et c’est tout. Aux États-Unis la mobilisation de la Garde Nationale, force de réserve par excellente, atteint déjà 33 000 hommes au 20 avril et est appelée à augmenter. En rapport avec notre population, cela pourrait (devrait) représenter 7000 hommes sur le terrain. Ils n’y sont pas. Alors qu’on pourrait attendre de la part des armées une large mobilisation pour assurer la continuité des approvisionnements et ainsi soulager les travailleurs les plus exposés au risque sanitaire, il n’en est rien. Pourquoi ? « Parce que les armées n’ont pas les effectifs requis » répondent un peu vite les experts : l’outil militaire a été professionnalisé et dimensionné au plus juste pour ses missions permanentes, pour lesquelles il est « juste (in)suffisant ».

Et si la réponse était, plus simplement « parce que, à l’instar du reste du pays, les armées n’ont pas de réserves » ?

On a beaucoup parlé, à raison, du manque criant de capacités nationales de production, résultat d’un abandon de l’industrie en grande partie motivé par la croyance dans la société des « services » et l’avènement de la virtualité mondialisée. On parle moins, à part pour les masques chirurgicaux, du manque de réserves humaines, mais aussi matérielles et immobilières. La France n’a pas de masques, elle n’a pas non plus de lits d’hôpital en réserve. Elle a peu de stocks alimentaires dans les grandes villes, peu de matériels stockés « au cas où ». Et peu de personnels de réserve aptes à renforcer les effectifs sous tension. Nous vivons le revers de la médaille du triomphe de la société « zéro stock, juste à temps ».

Car disposer, en temps de paix, d’effectifs permanents de sécurité civile et militaire pour gérer toute crise, aussi imprévisible soit-elle, est un luxe à la fois coûteux et illusoire. L’alternative, c’est la préparation de stocks et de réserves. La méthode de la constitution massive de réserves en temps de paix est un héritage européen. Il fut créé en Prusse, après sa défaite de 1806. Il s’agissait alors pour ce qui n’était qu’un petit pays de préparer le retour de la guerre contre la France sans surcharger le budget de l’État. La solution résidait dans l’instruction permanente de réserves, mobilisables rapidement en cas de crise : le « service militaire ». Le système prussien, qui s’imposa à toute l’Europe, permit la victoire de 1870. Il permit dès le début du conflit la mise en ligne d’effectifs militaires deux fois supérieurs pour une population sensiblement égale. Deux visions de la force armée s’opposaient et à bien des égards le système militaire du Second empire étaient proche du notre : il était fondé sur une armée professionnelle, avec une infanterie de grande qualité, bien armée et motivée. Une armée « projetable », en Italie ou au Mexique, et donc légère dans son mouvement. Au niveau des effectifs, le commandement français ne croyait pas aux réserves, présumées inefficaces et peu motivées. Sur le champ de bataille, les réserves allemandes de citoyens soldats issus du service militaire firent pourtant la différence. Lorsque l’Empire s’effondra, la République revint à la vieille recette de la « levée en masse » des volontaires. Malgré l’énergie de Gambetta et la combativité de ces armées constituées à la hâte, la situation de 1870 n’était plus celle de 1793 : la motivation ne suffit pas dans le monde moderne, si elle n’est pas complétée par l’instruction préalable. L’exemple de la Guerre de sécession aux États-Unis de 1861 à 1865 avait pourtant montré les limites de la quasi-absence de réserves en temps de paix et les problèmes liés au « tout volontariat » pour un conflit majeur.

Vaincue en 1871, la IIIe République adopta, comme toute l’Europe, le système du service militaire qui consiste à instruire en continu tout ou partie d’une classe d’âge pour disposer à la fois d’effectifs importants sous les drapeaux et de réserves mobilisables en temps de crise. Ainsi, l’armée française comptait environ 700 000 hommes sur le territoire métropolitain en 1914 (contre moins de 150 000 aujourd’hui – alors que la population a augmenté de près de 50%). Après la mobilisation générale, les effectifs atteignirent plus de 3,5 millions d’hommes, avec près de 700 000 réservistes encore disponibles (le haut commandement étant toujours dubitatif sur l’intérêt et la combativité des réserves). Les effectifs « en réserve », mobilisables, représentaient donc cinq fois les effectifs actifs. Aujourd’hui les effectifs des réserves militaires ne représentent qu’un cinquième des effectifs actifs et ne sont pour la plupart pas destinés à être mobilisables en complément des unités d’active.

Depuis 1997, la suspension du service militaire a consacré la (re)professionnalisation de l’outil de défense et l’abandon de la réserve comme vase d’expansion des unités. Seule l’armée de Terre conserve quelques unités de combat composées de réservistes. La Marine et l’armée de l’Air ne disposent pas d’unités de réserve, leur métier et leurs matériels étant perçus comme trop techniques et les moyens à mettre en œuvre trop chichement comptés. Qu’on ne se trompe pas : l’abandon du service militaire était parfaitement rationnel sur le plan du besoin des armées en même temps qu’il s’inscrivait dans une tendance sociétale de fond. Les armées avaient un réel besoin de professionnalisation, démontré par les insuffisances de la Guerre du Golfe de 1991. En abandonnant la masse des effectifs d’appelés, les militaires se sont concentrés sur la création d’une force moderne, technologique, avec des doctrines professionnelles plus abouties. Elles ont renoué avec une efficacité qui place la France parmi les nations disposant des outils les plus efficaces dans le monde.

Mais ce recentrage indispensable a vu en même temps la France toute capacité de réserve. Ce mouvement de professionnalisation s’est en effet déroulé dans un contexte de coupes budgétaires systématiques accompagnant la fin de la Guerre froide. Les « dividendes de la paix », l’austérité européenne, les crises économiques ont été autant de justifications pour « raboter » d’année en année les budgets consacrés à la défense. Or modernisation et professionnalisation entraînent une hausse mécanique du coût unitaire de chaque soldat. Coût que l’on espère compensé par l’efficacité démultipliée de l’outil ainsi obtenu. C’est sans doute vrai en grande partie pour les opérations que mènent aujourd’hui les forces : des projections limitées, « coup de poing » dans des foyers de crise aux quatre coins du monde, le plus souvent en coalition.

Mais il y a toujours des situations de crise pour lesquels les effectifs mobilisables comptent plus que l’efficacité accrue de chaque soldat : durer, contrôler physiquement un territoire, faire face à une situation généralisée qui entraîne des problèmes simultanés, subir des pertes tout en restant opérationnel, que ces pertes soient le fait du combat ou de la maladie. Pour gérer ce genre de crise, puisqu’il n’est pas possible de disposer en tout temps d’un outil à la fois moderne, professionnel ET largement dimensionné, il existe deux possibilités : soit mobiliser à la hâte des volontaires non instruits et non préparés, en improvisant (la méthode actuelle) ; soit mobiliser des réserves préalablement instruites, pour permettre une expansion rapide des effectifs avec des personnels en partie déjà opérationnels.

Dans un cas comme dans l’autre, il y a un autre point important à garder à l’esprit : la réserve matérielle. Appeler des volontaires ou mobiliser des réservistes ne sert à rien si on ne peut pas les équiper, les armer, les rendre mobiles. Là encore, les réserves de l’armée française sont devenues minimales : la faute à des parcs de matériels vieillissants et à l’abandon de l’idée même de défense du territoire jusqu’en 2015. Tout manque et les conditions déplorables sur le plan matériel qui ont accompagné le lancement de l’opération SENTINELLE ont été bien documentés : l’armée n’a plus de voitures, plus de casernes, plus d’armes, plus de chaussures… Tout est mobilisé en priorité pour les unités projetées en opérations extérieures ou devant se régénérer en vue d’y partir. Si de gros efforts ont été faits ces dernières années pour remédier aux manques de petits matériels, la situation reste préoccupante. On peut comparer cette situation avec 1989 : plus de 600 véhicules blindés AML 60 et 90 étaient disponibles pour la défense opérationnelle du territoire, mobilisables par des unités de réserve. Il est vrai que pendant la Guerre froide les armées ne se préparaient pas à affronter quelques djihadistes, mais de possibles incursions de régiments entiers de parachutistes et commandos soviétiques.

Au-delà de la compression des effectifs militaires, le mépris des réserves se retrouve dans la gestion des stocks stratégiques de matériels. L’affaire des masques de protection en est un symbole : c’est l’idée même qu’il faille payer en temps de « paix » pour se préparer aux crises qui est devenue insupportable. Société du temps présent, chasse aux coûts, méthodes de « management » appliquées à la chose publique, stratégies individuelles des décideurs liés à des rotations de poste courtes, prisme financier dominant, quadrature entre cadeaux fiscaux de « relance » et chasse aux déficits imposée par les traités européens… Les causes sont nombreuses, qui aboutissent toutes à cet état de fait : les réserves ne sont pas là et personne ne songe vraiment à y remédier tant que la crise ne vient pas en souligner le manque flagrant. Un effort est alors fait, qui est lentement miné, vidé de sa substance et transformé en coquille vide, jusqu’à la prochaine crise.

Matériel ou hommes, la même ignorance, la même méfiance, voire le même mépris se retrouve dans la gestion des réserves de la part des pouvoirs publics. Alors que des centaines de militaires de réserve ont fait acte de volontariat depuis mars, bien peu se retrouvent « sur le terrain ». On peut questionner, avec quelque effroi, le modèle mental d’un préfet qui, en Seine-et-Marne, considère qu’il est plus opportun pour faire respecter le confinement de réquisitionner des chasseurs que de mobiliser des militaires de réserve. C’est un fait : aujourd’hui, les réservistes dans les armées sont surtout perçus par les pouvoirs publics comme servant le « lien Armée Nation », pour palier au risque que les armées se coupent moralement de la population vu la faiblesse de leurs effectifs et la minceur de leur dispositif métropolitain. À ceci on leur adjoint des spécialistes « intérimaires », comme votre serviteur, qui par leurs compétences spécifiques sont employés sur la base du volontariat pour tenir des fonctions qui ne justifieraient pas un poste permanent et le maintien d’un vivier et d’une filière de spécialistes militaires.

L’opération SENTINELLE a vu l’engagement de jeunes dans la réserve comme militaires du rang, mais l’impact territorial demeure limité, tant les régiments ne sont plus pensés pour une expansion importante de leurs effectifs par des réserves. Seule la Gendarmerie a une composante de réserve « significative » qui permet objectivement faire tourner les brigades. Mais que l’on ne s’y trompe pas : là encore,  il ne s’agit pas d’une réserve permettant l’expansion importante des effectifs en temps de crise, mais plutôt d’une force supplétive qui complète des effectifs permanents contraints par les budgets et qui sont objectivement insuffisants pour assurer les missions confiées. La Gendarmerie a trouvé là un excellent moyen d’assurer ses missions au quotidien sans recruter des gendarmes à temps plein. Le système est très efficace, mais ne permet pas d’assurer la mobilisation de nouveaux escadrons en temps de crise pour « mailler » le territoire.

On le voit, la façon dont on gère les réserves militaires est symptomatique de cet état d’esprit qui conduit à n’envisager que deux alternatives : soit une capacité pleine, entière et professionnelle, soit le recours improvisé aux volontaires en temps de crise. Mais entre les deux, l’idée de préparer un dispositif capable d’expansion et reposant sur des personnels « intermittents » et des stocks de prévoyance semble viscéralement inenvisageable.

La crise sanitaire actuelle n’est sans doute qu’une répétition générale de faible ampleur des crises que nous allons traverser dans le siècle actuel. La sécheresse redoutable des sols à l’heure où j’écris ces lignes est annonciatrice des désastres climatiques, agricoles et environnementaux à venir. Tempêtes, épidémies, pénuries alimentaires, coupures d’eau, pénuries énergétiques… La question n‘est plus « si » mais « quand » et « comment ». Et à ces crises sanitaires et environnementales s’adjoindront des crises sécuritaires liées à un contexte international défavorable. Les besoins en matière de sécurité civile et militaire seront immenses, pour assurer la résilience de la Nation, pour que le projet français ne soit pas emporté par la tourmente de 2050.

En la matière, une organisation nationale de réserve, militaire et civile, serait un des éléments clef de réponse. Plutôt que de bricoler un service national « universel » qui n’est objectivement qu’un instrument de communication d’une utilité limitée pour la Nation et dont on n’attend que des éléments de conscience intangibles associé à un peu de volontariat dans l’économie sociale et solidaire ; il serait plus pertinent de mettre en place une grande organisation nationale destinée à la prévention et à la gestion des crises en Métropole comme Outre-mer et qui mobilise la totalité de nos forces vives.

Cette organisation nationale des réserves passerait par l’inscription systématique de chaque citoyen et citoyenne de 18 à 45 ans dans une structure territoriale qui recenserait les compétences et les disponibilités. Elle imposerait une large préparation logistique et matérielle. Les crises qui viendront demanderont un maillage important de moyens hospitaliers, énergétiques, alimentaires et logistiques, à même de répondre rapidement aux problèmes locaux de toute nature.

Bien entendu, cette organisation serait aménagée en fonction des contraintes familiales et professionnelles, mais elle imposerait chaque année des exercices, des entraînements et des formations. Le volontariat serait recherché pour l’essentiel des effectifs « encadrants », mais une astreinte de quelques jours tous les deux ou trois ans ne serait pas indue pour tous les citoyens et citoyennes : chacun serait ainsi mobilisé trois ou quatre fois par décennie pour se préparer à gérer des crises locales ou nationales. En termes immatériels, cela participerait sans doute bien mieux à la conscience citoyenne que le SNU dans son format actuel.

La participation à cette réserve territoriale serait indemnisée et représenterait « en apparence » un coût considérable pour l’État. Mais ce coût doit être nuancé : d’une part il s’agirait d’une forme d’assurance vie territoriale de la Nation sur elle-même, qui réduirait de manière drastique les coûts des crises. D’autre part, en termes purement comptables, le retour fiscal de la dépense serait important à condition que la partie logistique et matérielle serve à mobiliser l’industrie française. Préparer les territoires à affronter les crises en créant hôpitaux de réserves, dépôts logistiques, centres de tri et unités de sécurité permettrait de flécher les dépenses non pas vers des importations coûteuses pour la balance du commerce extérieur, mais vers des industriels français. Elle créerait des emplois non délocalisables, des emplois induits et créerait des recettes fiscales par rebond. Du reste, l’Organisation Mondiale du Commerce comme l’Union Européenne prévoient des mécanismes dérogatoires en matière de défense nationale. Il est peut-être temps de réaliser que cette « dérogation » est la meilleure façon de s’affranchir de certaines contraintes pour servir l’intérêt général et non les intérêts particuliers catégoriels.

Enfin, sur le plan des libertés publiques et du maintien du gouvernement par les lois, il faut ajouter qu’une organisation pensée et organisée en temps de paix pour la crise, instruite et formée dans un cadre légal et réglementaire approprié serait de nature à garantir la pérennité de notre modèle républicain et démocratique bien mieux que n’importe quelle milice de supplétifs recrutée à la hâte par lubie préfectorale.

Le Code de la défense et les réformes prises en 1945 sur les ruines de la défaite nous donnent les moyens de mettre une telle organisation en place, précisément parce qu’il avait été compris et admis que la défense de la Nation est un sujet permanent, transverse, qui s’organise en temps de paix et concerne la sphère civile comme la sphère militaire. Les crises du siècle ne seront pas limitées à la chose militaire : elles seront globales, affecteront toute notre société et demanderont une mobilisation hélas fréquente et massive, dans un contexte économique de crise permanente qui rendra le recours au marché libre et concurrentiel incertain, voire impossible. Seule une préparation de la population transverse pourra le faire. Encore cela demande-il à nos élites dirigeantes de sortir du modèle mental de la gestion des crises « à la française ». Si l’Armée française a tenu bon en 1914, c’est parce que pendant 40 ans les élites dirigeantes ont préparé et se sont préparées elles-mêmes à une crise qu’elles admettaient comme inéluctable : la guerre contre l’Allemagne en situation d’infériorité. Il est temps de renouer avec cet esprit. Constituer et instruire des réserves partout sur le territoire pour être prêts à faire face dans la durée doit redevenir une mission essentielle de l’État.

 
Stéphane AUDRAND
Stéphane AUDRAND
Stéphane AUDRAND est consultant indépendant spécialiste de la maîtrise des risques en secteurs sensibles. Titulaire de masters d’Histoire et de Sécurité Internationale des universités de Lyon II et Grenoble, il est officier de réserve dans la Marine depuis 2002. Il a rejoint l'équipe rédactionnelle de THEATRUM BELLI en décembre 2019.
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