mardi 19 mars 2024

II. Ukraine : les conséquences militaires de l’aveuglement européen

Cette seconde partie de mon article à nouveau en trois épisodes aborde les conséquences militaires de cette « Europe de la mondialisation heureuse ». Elle traite brièvement aujourd’hui de « L’instrumentalisation du droit » (II.1.), section qui mériterait sans aucun doute un large approfondissement aussi bien à l’aune du droit international tel qu’il a été construit depuis 1945 mais aussi à l’aune de son usage dans les conflits contemporains. La dénonciation des armes utilisées durant la guerre en Ukraine est à ce titre un exemple intéressant notamment sur les mines antipersonnel mais aussi à sous-munitions.

La première partie sur les enseignements géopolitiques de la guerre en Ukraine, réflexion non exhaustive sur une guerre inachevée, traitait du contexte général en trois points : « Le désarmement européen (I.1.) » (Cf. Billet du lundi 13 mars 2023), « La fin de la mondialisation heureuse (I.2.) » (Cf. Billet du mercredi 15 mars 2023) et « Une guerre (en Ukraine) aux enjeux vitaux pour l’occident (I.3.) » (Cf. Billet du vendredi 17 mars 2023).

Depuis, le président chinois a visité cette semaine son homologue sans annoncer un quelconque appui militaire officiel mais sans que cela n’exclue un soutien plus discret comme l’ont signalé le secrétaire d’état américain et le site Politico après une enquête sur des documents douaniers chinois. Certes, ce qui a été dévoilé (gilets pare-balles et fusils d’assaut appelés « fusils de chasse », pour quel gibier ?) ne changera pas grand-chose au conflit du point de vue militaire. Son importance est politique, engagement de la Chine auprès de la Russie mais aussi capacités du renseignement américain « vous ne pouvez pas rien nous dissimuler, donc faites attention à nos mesures de représailles. »

S’inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre de la Boussole stratégique adoptée sous la Présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 qui appelait l’UE à devenir un acteur dans les espaces stratégiques contestés tels que le cyberespace ou l’espace extra-atmosphérique, l’Union européenne a publié sa stratégie spatiale de défense. Elle se met aussi en ordre en marche pour disposer à terme d’une industrie de défense capable de fournir les munitions qui manquent à l’Ukraine et qui manqueront demain à l’Union européenne si elle devait être engagée en opération de haute intensité (cf. Le Monde du 21 mars 2023). Elle dispose aujourd’hui d’une quinzaine d’usines de production dans 11 pays producteurs avec l’objectif de fabriquer … 450 000 obus par an.

A toutes fins utiles, ci-joint un état de l’armée polonaise qui a l’ambition de montée en puissance (Cf. Mon billet du 22 mars 2023) et sans doute de rassembler autour d’elle les anciens Etats historiques du grand-duché polono-lituanien existant du XVe au XVIIIe siècle et disparaissant en 1795 lors de l’un des partages de la Pologne au profit de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche. Cette entité comprenait l’Ukraine, la Biélorussie, les Etats baltes et la Pologne. Aujourd’hui la reconstitution de ce bloc, soutenu largement par les Etats-Unis, pourrait bien faire basculer le centre de gravité de l’Union européenne vers l’Est.

Enfin, je joins cet article du Figaro auquel j’ai participé sur les sosies de V. Poutine, un « serpent de mer ». Ecrit par Hugues Maillot, il a été publié ce mardi (Cf. Le Figaro du 20 mars 2023). Le hasard a voulu que cela soit l’objet d’un échange intéressant sur le sujet sur LCI le dimanche 19 mars 2023 entre 15h30 et 17h00 (Cf. Le Club de Marie-Aline Meliyi).

II. Les conséquences militaires de l’aveuglement européen

La guerre en Ukraine a été le révélateur des aveuglements consentis par les européens dans leur conception des relations internationales et de leur sécurité. De fait, le règlement par la force militaire est désormais une éventualité plausible. Remettant en cause la suprématie militaire occidentale, le conflit ukrainien met l’occident face à une guerre de haute intensité éventuelle et crédible, ignorée depuis la fin de la guerre froide. Elle s’intègre désormais dans une stratégie générale faisant appel aux actions indirectes au service de l’hybridité des modes d’action employés.

II.1. L’instrumentalisation du droit

Le droit devrait tout résoudre alors que le droit sans la force manque singulièrement d’efficacité. La stratégie du non-recours à la force a contribué à affaiblir nos sociétés occidentales qui rejettent la guerre mais se donnent une bonne conscience aujourd’hui en aidant les sociétés civiles en guerre, notamment la société civile ukrainienne. Certes en s’appuyant sur un droit international, conséquence des horreurs de la seconde guerre mondiale, la « philosophie » du non-recours à la force militaire s’est mise en place. Cependant, ce droit international s’est complexifié sous l’action d’Etats, d’organisations internationales ou d’associations ignorant ce qu’est la guerre, prenant bien souvent leurs désirs pour la réalité malgré des conflits qui pourraient nous (les) concerner directement. Année après année, il a visé à entraver tout recours à la force militaire, hormis sous le contrôle théorique du Conseil de sécurité de l’ONU avec cependant un certain nombre de dérives : Kosovo (1999), Irak (2003), Géorgie (2008)… pour n’évoquer que des conflits dans lesquels les européens ont été impliqués.

La perception pacifiste et l’action juridique de nos sociétés n’ont cessé de s’exprimer au détriment de notre capacité à agir militairement si cela était nécessaire et légitime, ce qui peut dépasser le seul concept de légalité. A titre d’exemple, les ONG ayant combattu l’emploi des mines antipersonnel pendant de nombreuses années ne manifestent pas aujourd’hui lorsque les Etats-Unis livrent à l’Ukraine des mines antipersonnel (mines claymore) dans la plupart de leurs aides militaires. Les européens désormais concernés par une guerre « à l’ancienne » à leurs frontières sont beaucoup moins regardants sur les moyens à donner pour permettre à l’Ukraine d’être victorieuse.

Les combats en zone urbaine et de leurs effets sur les populations civiles comme à Marioupol ont fait l’objet de multiples dénonciations. Faut-il rappeler que l’article 59 du protocole 1 du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève précise qu’il « est interdit aux parties au conflit d’attaquer, par quelque moyen que ce soit, des localités non défendues ». Combattre en ville est donc un choix à la fois politique et militaire, montrant l’instrumentalisation du droit par la propagande notamment dans le conflit ukrainien pour dénoncer les dommages collatéraux causés aux civils, y compris par l’armée ukrainienne. Le court rapport d’Amnesty international ne s’y est pas trompé en août 2022. Enfin, la discrimination entre combattants et non-combattants s’avère aujourd’hui difficile. Certes résister à l’agression est honorable mais le faire en civil, renseigner sur l’ennemi avec son téléphone en se déplaçant avec son véhicule civil contribuent au brouillard de la guerre et ne peut que conduire à des réactions violentes d’une force militaire en uniforme.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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