Cette seconde partie de mon article à nouveau en trois épisodes aborde les conséquences militaires de cette « Europe de la mondialisation heureuse ». Elle traite brièvement aujourd’hui de « L’instrumentalisation du droit » (II.1.), section qui mériterait sans aucun doute un large approfondissement aussi bien à l’aune du droit international tel qu’il a été construit depuis 1945 mais aussi à l’aune de son usage dans les conflits contemporains. La dénonciation des armes utilisées durant la guerre en Ukraine est à ce titre un exemple intéressant notamment sur les mines antipersonnel mais aussi à sous-munitions.
La première partie sur les enseignements géopolitiques de la guerre en Ukraine, réflexion non exhaustive sur une guerre inachevée, traitait du contexte général en trois points : « Le désarmement européen (I.1.) » (Cf. Billet du lundi 13 mars 2023), « La fin de la mondialisation heureuse (I.2.) » (Cf. Billet du mercredi 15 mars 2023) et « Une guerre (en Ukraine) aux enjeux vitaux pour l’occident (I.3.) » (Cf. Billet du vendredi 17 mars 2023).
Depuis, le président chinois a visité cette semaine son homologue sans annoncer un quelconque appui militaire officiel mais sans que cela n’exclue un soutien plus discret comme l’ont signalé le secrétaire d’état américain et le site Politico après une enquête sur des documents douaniers chinois. Certes, ce qui a été dévoilé (gilets pare-balles et fusils d’assaut appelés « fusils de chasse », pour quel gibier ?) ne changera pas grand-chose au conflit du point de vue militaire. Son importance est politique, engagement de la Chine auprès de la Russie mais aussi capacités du renseignement américain « vous ne pouvez pas rien nous dissimuler, donc faites attention à nos mesures de représailles. »
S’inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre de la Boussole stratégique adoptée sous la Présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 qui appelait l’UE à devenir un acteur dans les espaces stratégiques contestés tels que le cyberespace ou l’espace extra-atmosphérique, l’Union européenne a publié sa stratégie spatiale de défense. Elle se met aussi en ordre en marche pour disposer à terme d’une industrie de défense capable de fournir les munitions qui manquent à l’Ukraine et qui manqueront demain à l’Union européenne si elle devait être engagée en opération de haute intensité (cf. Le Monde du 21 mars 2023). Elle dispose aujourd’hui d’une quinzaine d’usines de production dans 11 pays producteurs avec l’objectif de fabriquer … 450 000 obus par an.
A toutes fins utiles, ci-joint un état de l’armée polonaise qui a l’ambition de montée en puissance (Cf. Mon billet du 22 mars 2023) et sans doute de rassembler autour d’elle les anciens Etats historiques du grand-duché polono-lituanien existant du XVe au XVIIIe siècle et disparaissant en 1795 lors de l’un des partages de la Pologne au profit de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche. Cette entité comprenait l’Ukraine, la Biélorussie, les Etats baltes et la Pologne. Aujourd’hui la reconstitution de ce bloc, soutenu largement par les Etats-Unis, pourrait bien faire basculer le centre de gravité de l’Union européenne vers l’Est.
Enfin, je joins cet article du Figaro auquel j’ai participé sur les sosies de V. Poutine, un « serpent de mer ». Ecrit par Hugues Maillot, il a été publié ce mardi (Cf. Le Figaro du 20 mars 2023). Le hasard a voulu que cela soit l’objet d’un échange intéressant sur le sujet sur LCI le dimanche 19 mars 2023 entre 15h30 et 17h00 (Cf. Le Club de Marie-Aline Meliyi).
II. Les conséquences militaires de l’aveuglement européen
La guerre en Ukraine a été le révélateur des aveuglements consentis par les européens dans leur conception des relations internationales et de leur sécurité. De fait, le règlement par la force militaire est désormais une éventualité plausible. Remettant en cause la suprématie militaire occidentale, le conflit ukrainien met l’occident face à une guerre de haute intensité éventuelle et crédible, ignorée depuis la fin de la guerre froide. Elle s’intègre désormais dans une stratégie générale faisant appel aux actions indirectes au service de l’hybridité des modes d’action employés.
II.1. L’instrumentalisation du droit
Le droit devrait tout résoudre alors que le droit sans la force manque singulièrement d’efficacité. La stratégie du non-recours à la force a contribué à affaiblir nos sociétés occidentales qui rejettent la guerre mais se donnent une bonne conscience aujourd’hui en aidant les sociétés civiles en guerre, notamment la société civile ukrainienne. Certes en s’appuyant sur un droit international, conséquence des horreurs de la seconde guerre mondiale, la « philosophie » du non-recours à la force militaire s’est mise en place. Cependant, ce droit international s’est complexifié sous l’action d’Etats, d’organisations internationales ou d’associations ignorant ce qu’est la guerre, prenant bien souvent leurs désirs pour la réalité malgré des conflits qui pourraient nous (les) concerner directement. Année après année, il a visé à entraver tout recours à la force militaire, hormis sous le contrôle théorique du Conseil de sécurité de l’ONU avec cependant un certain nombre de dérives : Kosovo (1999), Irak (2003), Géorgie (2008)… pour n’évoquer que des conflits dans lesquels les européens ont été impliqués.
La perception pacifiste et l’action juridique de nos sociétés n’ont cessé de s’exprimer au détriment de notre capacité à agir militairement si cela était nécessaire et légitime, ce qui peut dépasser le seul concept de légalité. A titre d’exemple, les ONG ayant combattu l’emploi des mines antipersonnel pendant de nombreuses années ne manifestent pas aujourd’hui lorsque les Etats-Unis livrent à l’Ukraine des mines antipersonnel (mines claymore) dans la plupart de leurs aides militaires. Les européens désormais concernés par une guerre « à l’ancienne » à leurs frontières sont beaucoup moins regardants sur les moyens à donner pour permettre à l’Ukraine d’être victorieuse.
Les combats en zone urbaine et de leurs effets sur les populations civiles comme à Marioupol ont fait l’objet de multiples dénonciations. Faut-il rappeler que l’article 59 du protocole 1 du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève précise qu’il « est interdit aux parties au conflit d’attaquer, par quelque moyen que ce soit, des localités non défendues ». Combattre en ville est donc un choix à la fois politique et militaire, montrant l’instrumentalisation du droit par la propagande notamment dans le conflit ukrainien pour dénoncer les dommages collatéraux causés aux civils, y compris par l’armée ukrainienne. Le court rapport d’Amnesty international ne s’y est pas trompé en août 2022. Enfin, la discrimination entre combattants et non-combattants s’avère aujourd’hui difficile. Certes résister à l’agression est honorable mais le faire en civil, renseigner sur l’ennemi avec son téléphone en se déplaçant avec son véhicule civil contribuent au brouillard de la guerre et ne peut que conduire à des réactions violentes d’une force militaire en uniforme.